mardi 27 décembre 2011

Critique : Journal d’un soldat français en Afghanistan

           Titre : Journal d’un soldat français en Afghanistan

            Auteur : Sergent C. Tran Van Can, avec N. Mingasson

            Éditeur : Plon + Le Figaro Magazine

            Date de parution : Avril 2011

            Genre : Carnets de guerre


Tran Van Can est sergent dans une unité de combat française. Il raconte les six mois intenses qu’il a passés en Afghanistan en 2010, suivi par un journaliste du Figaro.

Le sergent est volontaire pour partir en « opex » (opération extérieure) 6 mois en « Afgha ». Pendant de long mois préparatoires, il s’entraîne dur avec ses camarades. Il est chef d’un groupe de combat, un poste charnière. Il doit encadrer ses  hommes : ordonner, motiver, aider, donner l’exemple.

Le but est de ramener tout le monde (pas de gagner la guerre, diraient les détracteurs de la coalition).

Avant même le départ, l’état-major est d’une rare et louable franchise. Il les prévient que certains ne reviendront pas. En arrivant en Afgha, notre sergent est tout de suite dans l’ambiance. Il croise ceux qu’il est venu relever. Il espère une discussion, un passage de témoin et un retour d’expérience, un contact quoi ! Il déchante. Les hommes qu’il croise sont des zombies : gris de saleté et de fatigue, la tête baissée, muets. Certains pleurent !

Le sergent et ses hommes sont affectés dans l’est du pays, dans une vallée infestée de talibans. La FOB (base avancée) est confortable, surtout par rapport aux conditions de vie de l’ennemi. Cependant, de temps en temps, il faut courir aux abris pour échapper aux tirs d’artillerie des insurgés. Un blessé grave est d’ailleurs évacué d’urgence. Des tirs en plein dans la base ! On est effaré de constater à quel point la coalition est malmenée par les insurgés.

Les soldats, au début de leur mission, s’ennuient. Ils sont partagés entre d’une part le désir d’en découdre, d’accomplir ce pour quoi ils sont là, et d’autre part, la crainte fondée d’avoir des pertes.

L’armée (le contribuable, diraient les détracteurs, celui qui paie les opex aux quatre coins du monde, pour le prestige de la France et tant qu’elle arrive à assumer sa dette écrasante) a fait un réel effort pour équiper correctement les soldats français qui n’ont plus à rougir vis-à-vis des Américains. On apprend que le gilet pare-balles Ciras est réellement efficace mais en contrepartie, il pèse 18 kg. L’ensemble du barda dépasse les 30 kg. Les fantassins sacrifient leur mobilité. On se retrouve en quelque sorte au moyen-âge, du temps des cottes de maille (pas tout à fait quand même du temps des armures de plaque, mais cela viendra peut-être…).

Dans un bel élan de franchise, l’auteur écrit qu’à cause des mesures de sécurité, aucun rapprochement n’est possible avec la population. La coalition est perçue comme une armée d’occupation. Il ajoute que s’il était à leur place, il prendrait les armes contre l’envahisseur !

Quand le sergent retourne à l’arrière, il est ulcéré du manque de soutien et de compréhension des officiers bureaucrates planqués. On retrouve le thème commun à toutes les guerres (notamment 14-18) des embusqués et de l’indifférence de l’arrière aux souffrances des combattants.

Ma conclusion est que l’armée française en Afgha fait preuve d’un réel professionnalisme. Elle fait tout ce qu’elle peut, avec les moyens dont elle dispose, pour remplir sa mission. En comparaison de la campagne de France de 1940 et de Dien Bien Phu, il n’est pas exagéré de dire qu’elle se couvre de gloire (après des débuts difficiles compréhensibles) et qu’elle redore son blason.

À lire absolument pour comprendre comment cela se passe concrètement pour nos troupes en Afghanistan. Et, diraient les détracteurs de la coalition, se rendre compte que la guerre est perdue pour la coalition.



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mardi 20 décembre 2011

La musculation : mes trois conseils de base

      Pour changer des critiques littéraires, voici un billet sur la muscu. Les revues de bouquins, aussi intéressants soient-ils (les bouquins, pas les revues) génèrent peu de commentaires. De plus, j’en rédige pas mal en ce moment sur l’Afghanistan parce que j’écris un thriller avec la guerre d’Afghanistan en toile de fond. Or l’Afgha est un sujet qui intéresse peu les Français et j’imagine qu’il en va de même pour les autres communautés francophones.

 Donc, la muscu : trois conseils en or. En fréquentant les salles de sport, je m’aperçois qu’un certain nombre d’adeptes de la fonte passent à côté de l’essentiel.

 1. Il est impératif de faire un sport cardio en complément. La musculation entraîne tous les muscles, sauf le plus vital (au sens propre) : le muscle cardiaque. Se cantonner à soulever de la fonte, c’est risquer un infarctus la soixantaine venue. Les sports cardios sont ceux qui font travailler le souffle en endurance : course à pied, vélo, natation, roller, etc…

2. Il est important de se muscler les jambes. Beaucoup mettent la priorité sur le haut du corps et c’est une erreur. Esthétiquement, c’est pathétique d’avoir un torse d’orang-outang monté sur des jambes-allumettes. En outre, la vraie force du corps est dans les jambes et le bas du dos. Même pour des sports comme la boxe anglaise. L’important, ce sont les appuis.

3. Faire des abdos ne fait pas fondre la graisse du ventre, contrairement à un mythe tenace. Travailler les abdos renforce les muscles abdos. Pour brûler les graisses, du ventre et des autres zones, il faut faire un sport cardio (voir conseil 1). Et il faut forcer. No pain, no gain, comme disent les Américains. On n’a rien sans rien.

jeudi 15 décembre 2011

Critique littéraire : La couleur de l’œil de Dieu, de Chris Simon

Éditeur : Éditions du Réalisme Délirant

Format : ebook sur Amazon, iBookstore

                
Ce recueil de six nouvelles nous invite à suivre les pérégrinations d’autant de personnages, entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Les thèmes abordés concernent l’errance et l’abandon, mais aussi le divorce, la mort et la quête de l’identité.

Le style est vivant et alerte. L’auteur a le sens des belles métaphores originales qui sonnent juste. L’ambiance est empreinte de poésie, mélancolique ou joyeuse selon les circonstances.

Dans la nouvelle qui a été donné son nom au recueil, le personnage principal est un aveugle qui visite une amie mourante. Avec grand talent, l’auteur nous montre comment l’aveugle compense dans la vie quotidienne la perte de la vue par le développement et l’exploitation des quatre autres sens.

Dans une autre nouvelle, qui se situe au début des années quatre-vingt dix, une adolescente est en quête de son identité « sexuelle » naissante : est-elle attirée par les hommes ou les femmes ? Un thème effleuré dans la nouvelle précédente. L’auteur traite le sujet sur le registre tragi-comique, où l’humour pointe à chaque paragraphe.

En conclusion, ce recueil de nouvelles se lit avec plaisir et invite à la réflexion. Que demander de plus ?
 

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mardi 13 décembre 2011

Roman marquant : le Feu de Henri Barbusse

         Le Feu est paru en 1916. Il remporte le prix Goncourt la même année. C’est le récit romancé, mais vécu par l’auteur et ses frères d’armes, de la vie quotidienne des Poilus de 14-18.

            Dans le domaine public, il est disponible gratuitement en ebook :




            La première force de ce roman « historique », c’est son réalisme. Avant de le lire, je voulais trouver un livre d’histoire sur la vie quotidienne dans les tranchées. Après l’avoir lu, je n’en avais plus besoin.

            La seconde force du roman, ce sont ses qualités littéraires, son style, son rythme, sa poésie, son « art ».

            La troisième et la plus grande force du roman, c’est, à mon sens, la lucidité du soldat-romancier et son courage à dénoncer les travers de ses compatriotes, la façon dont la société française gérait la guerre. Le livre est sorti en 1916, en pleine guerre ! Ses critiques firent scandale par leur justesse.

            Tout y passe. D’abord, bien sûr, l’atrocité de la vie, de la survie, et in fine de la mort du poilu en première ligne. Ce thème a été depuis traité abondamment. Il suffit de mentionner que les Poilus, aussi courageux et épris du mortel triptyque et cryptique « Travail-Famille-Patrie » fussent-ils, ils espéraient la « bonne blessure », celle qui les éloigneraient de la première ligne quelque temps sans les rendre invalides.

Mais d’autres thèmes, à cette époque étouffés par la propagande sont dévoilés : la lucidité des Poilus vis-à-vis de la propagande, justement, dont ils raillaient l’exagération grotesque destinée à ceux de l’arrière. Mais aussi, les embusqués, les profiteurs de guerre, les civils peu compatissants envers les combattants, les exécutions sommaires des malheureux qui n’avaient pas le courage de sortir de la tranchée pour se faire tuer, les frustrations sexuelles des soldats, l’insuffisance du ravitaillement, les fraternisations et tant d’autres souffrances, tant d’autres scandales : il a tout osé déballer ! Sans exagération et sans complaisance.

Le seul élément qui lui a échappé, c’est l’incompétence des généraux français et allemands qui faisaient attaquer leurs troupes au point le plus fort du dispositif de défense ennemi, sans aucune imagination. Mais comment aurait-il pu dénoncer cette aberration, en simple soldat auquel la stratégie de la guerre échappait forcément depuis sa tranchée ? Et d’ailleurs, après la guerre, et aujourd’hui encore, les Grands Bouchers Bornés ont leur nom de rue, les Joffre, Hoche et autres Foch… De Pétain seul, nous sommes épargnés à cause de ses frasques durant la revanche…

            Une œuvre époustouflante, un des plus grands roman en langue française jamais écrits.


 
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jeudi 8 décembre 2011

Critique : Être soldat en Afghanistan de S. Junger

Titre : Guerre - Être soldat en Afghanistan

Auteur : Sebastian Junger

Éditeur : Éditions de Fallois

Date de parution : 2010 pour l’édition originale en anglais, janvier 2011 en français

Genre : récit de guerre mâtiné d’un essai sur la psychologie des combattants


Le journaliste Sebastian Junger a suivi pendant plus d’un an, de 2007 à 2008, une compagnie de l’armée américaine déployée en Afghanistan. Mais attention ! Pas n’importe où ! Dans la vallée de Korengal où plus de 40 soldats US ont été tués et des centaines blessés. On ne compte pas les pertes civiles ni celles de l’Armée Nationale Afghane. Les médias à cette époque l’avaient baptisé « l’endroit le plus mortel de la planète ». L’ogre dévorait à lui seul 70 % des munitions et des bombes utilisées en Afgha par les US.

Les soldats restaient 15 mois, contre 6 pour les autres pays de la coalition. Ils opéraient à partir d’avant-postes qu’ils avaient bâtis eux-mêmes. Le confort était celui d’un bidonville : pas d’eau courante, rations de combat presque à chaque repas, mobilier quasi-inexistant, aucune distraction… Il leur arrivait de rester plus de 30 jours sans se doucher et sans changer de treillis.

Junger a partagé leur vie pendant de nombreux mois, armé de son seul caméscope. Il décrit leurs actions, les interroge, nous fait partager leurs aventures et leur ressenti. Leurs contradictions apparentes aussi. Quand ils se font tirer dessus, ils stressent, forcément. Mais quand il ne se passe rien, ils s’ennuient et souhaitent un engagement car ils sont devenus accros à l’adrénaline. Le retour à la vie civile est très difficile pour ces hommes qui souffrent souvent du stress post-traumatique du combattant.

Junger donne aussi son témoignage de journaliste en première ligne : ce qu’il ressent avant, pendant et après se faire tirer dessus et risquer sa vie. Mais sa démarche transcende le conflit d’Afghanistan. S’appuyant sur un grand nombre de références citées en annexe, comme dans un essai, il réfléchit avec profondeur sur les différents thèmes qui concernent les combattants de toutes les époques : l’héroïsme, la crainte de la mort, les séquelles psychologiques, les motivations, etc…

En 2008, juste avant que s’achève le reportage, une autre compagnie perd 9 hommes, la pire défaite US depuis Mogadiscio en 1993. C’est probablement ce qui a décidé les US à se retirer de la vallée de Korengal qui constitue pourtant un passage important de troupes et d’armes depuis la région pakistanaise sous contrôle taliban. Les US, malgré des moyens colossaux (notamment aériens) ne sont pas plus capables que les Pakistanais de contrôler cette région (la remarque est de moi, pas de Junger).

Mais les survivants de Korengal 2008 s’en moquent bien. Parmi les nombreux enseignements du livre, on apprend que la première motivation des combattants n’est pas l’idéalisme ni même la lutte pour la survie : c’est la solidarité avec le groupe.

Conclusion : cet ouvrage majeur dépasse le cadre du conflit actuel en Afghanistan, sujet qui finalement intéresse peu de gens, surtout en France.

Quelques photos de la mythique vallée de Korengal :






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lundi 5 décembre 2011

Nouvelle courte : Le crooner, sa muse.

            Tous mes amis disent que j’ai un talent fou. Effectivement, mon physique, mon oreille musicale, ma voix de crooner m’ont acquis une notoriété locale. Mon entourage prétend que je vaux mieux, que j’ai le Don. Mais ma mère me tempère : « Ne te brûle pas les ailes, tu es si jeune et si fragile ». Moi, je veux percer, car qui n’avance pas, recule !

            Ce qui manque à un chanteur de mon envergure, c’est un texte poétique, une romance à déchirer le coeur ! Alors, je tente de composer le chant d’amour ultime, celui qui sublimera le désir physique cru.

            Mais j’ai du mal à trouver l’inspiration. Mon texte n’avance plus. Je suis même obligé de me battre avec le papier pour que les mots ne reculent pas. Biffer, c’est reculer. « Qui n’avance pas, recule », un aphorisme obsédant et angoissant, finalement. Ah l’angoisse ! Elle me dévore ! Ô maman, toi qui, dans ta sagesse, me conseillais d’accepter mon sort, je vais te faire de la peine : je veux devenir célèbre ou me consumer. Les deux peut-être.

            Je prie, j’implore ma muse, la tête sur l’oreiller, les yeux clos mais l’âme censée être ouverte. Ouverte sur les mots. Les mots qui font avancer les textes. C’est ma prière.

Enfin, je m’endors. Un rêve mystique me visite, fruit de ma prière nocturne. La déesse de l’inspiration m’apparaît ! Une magnifique jeune femme nue, la poitrine énorme. C’est parce que je n’ai pas connu l’amour depuis longtemps, obsédé que je suis par l’écriture qui ne veut pas avancer, qui me résiste plus que la femme la plus inaccessible et pourtant la plus désirable.

— Ô muse, console-moi ! imploré-je.

— Une muse ne console pas, répond-elle, elle inspire.

— Tu m’inspires le désir.

— Le désir ?

— Le désir de toi.

— Tu as déjà un toit. Ce qu’il te manque, c’est l’inspiration.

— Du désir, insisté-je.

Elle fronce ses sourcils divins.

— Ne sois pas obtus. C’est pour cela que l’inspiration créatrice te boude. Et cesse de me tutoyer, impertinent garnement !

— Que dois-je faire, maîtresse ? demandé-je, suspendu à ses lèvres pulpeuses et sages, douloureux oxymoron.

— Hum ! Tu peux m’appeler maîtresse, mais attention au double sens du mot ! Tu dois transcender ton désir charnel pour l’élever, pour produire un texte puissant.

— Mais aussi, maîtresse ! Quelle idée de m’apparaître nue ! Vous tentez mes bas instincts.

— Insolent ! Crois-tu dicter à ta muse son apparence ! Une muse ne se commande pas. Elle s’offre.

— Oh ! C’est mon plus cher désir !

Dépitée, elle secoue sa divine tête et fait la moue.

— Vous faites la moue, maîtresse ? demandé-je du ton le plus innocent possible.

— Il récidive sans vergogne ! Crois-tu que ta muse va t’inspirer si tu uses de sous-entendus graveleux ?

— Ah ! Je regrette maîtresse, vos seins m’empêchent d’élever mon âme.

— Ferme les yeux et apaise les tensions qui t’habitent.

— Ô maîtresse, voyons, ne vous y mettez pas vous aussi ! Je rentre en moi, mais je vous vois avec le cœur.

— C’est un tout petit peu mieux.

— Votre beauté est si captivante qu’elle excite tous mes sens malgré moi.

— Peut mieux faire…

— L’amour que j’ai pour vous est au-delà de l’eros grec, il tutoie la philia, l’amour inconditionnel. Votre simple présence suffit à mon contentement.

— Cette fois, tu t’élèves trop. La philia ne parle pas au commun des mortels. Tu dois écrire une chanson qui plaira à tous.

— Inspirez-moi, alors !

— Ce n’est pas facile…

— Alors, pardonnez ma franchise, mais pourquoi êtes-vous venue ?

— Pardi ! Je diagnostique ton problème et il n’est pas mince. Il est sordide. Tu dois combattre le feu par le feu.

— Quel feu ?

— Le feu de l’amour. Tu dois l’éteindre par une passion amoureuse : aime et chante ton amour !

— Oh oui ! Je me consume d’amour pour vous !

— Il recommence, l’impertinent obsédé ! Pas avec ta muse, nigaud ! Le prix à payer serait trop fort. Éteins l’incendie de l’amour vital avec une mortelle.

— L’ennui serait mortel après vous avoir connue, maîtresse.

— Encore ! La tentative de séduction par insistance ne fonctionne qu’aves les mortelles. Et encore. Je viens de te dire qu’il n’est pas question, pour ton bien, de me connaître bibliquement.

— Si vous assouvissez ma passion prosaïque pour vous, je satisferai votre goût poétique en composant, et surtout en interprétant une ode à l’amour comme aucun mortel moderne ne…

Son rire délicieux quoique moqueur interrompt ma tirade.

— Pauvre mortel ! Ta pitoyable conversation ne laisse pas présager d’un don poétique, hélas.

Humilié, les larmes aux yeux, j’entends la voix de ma maman : « Mon garçon, tu es si fragile dans ta tête, reste auprès de moi… ». Puis, l’orgueil me submerge, le besoin de prouver ma valeur, de percer, d’accomplir mon destin. Maintenant ou jamais.

— C’est parce que je suis frustré de votre amour, maîtresse. Donnez-moi ma chance…

Seul son sourire ironique me répond. Alors, je ferme enfin les yeux pour me concentrer sur l’amour vrai et je chante :



Laisse-moi t'aimer toute une nuit
Laisse-moi toute une nuit
Faire avec toi le plus long le plus beau voyage



À son tour, pour la première fois, elle ferme les yeux. Dans un souffle, elle murmure :

— Ta voix, beau crooner mortel, est si envoûtante…

Je reste coi : parler après chanter me ferait retomber de mon piédestal. Les yeux mi-clos, comme en transe, elle reprend :

 — Mais une nuit seulement ? Transcende la médiocre concupiscence de l’instant…



Laisse-moi t'aimer toute ma vie
Laisse-moi, laisse-moi t'aimer
Faire avec toi le plus grand de tous les voyages



Elle soupire. Son doux visage devient mélancolique.

— Écoute Mike, tu possèdes la beauté, la voix et tu tiens ta première grande chanson, celle qui pourrait te rendre immortel auprès des mortels. Peu d’artistes sont autant bénis des dieux.

— Pourtant je végète… Et l’amour m’échappait, jusqu’à votre apparition.

— Je peux exaucer ton souhait de réussite. Mais tu devras payer un lourd tribut : ta vie sur Terre sera intense mais brève. Car le succès immense accentuera ta fragilité. Le cygne, après son chant, s’éteint. L’argent, l’amour des mortelles et toutes ces futilités qui passionnent les hommes ne trouveront plus grâce à tes yeux. Tu souffriras puis tu partiras en pleine gloire. Et alors, nous serons ensemble pour l’éternité, toi et moi.

— Qui n’avance pas, recule ! C’est mon plus cher souhait, de vous aimer pour l’éternité…

— Tu ne sais de quoi tu parles : l’éternité, c’est bien long. Mais qu’il en soit ainsi. Voici l’étincelle qui te manque : quitte ton petit pays. À bientôt, Mike, mon cygne d’amour.

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jeudi 1 décembre 2011

Roman marquant : Black Beauty d’Anna Sewell

            Ce roman de 1877 raconte les péripéties d’un cheval en Angleterre. Le narrateur est Black Beauty. Il dialogue avec les autres chevaux, mais pas avec les humains. Au fur et à mesure qu’il vieillit, le cheval doit changer de maître et de fonction. Il est confronté à la cruauté des hommes mais aussi à leur amour.

            Dans son unique roman, Anna Sewell a voulu dénoncer les pratiques cruelles dont étaient victimes les chevaux à son époque. Objectif accompli puisque l’ouvrage a fait sensation et a contribué à améliorer les conditions de vie des animaux d’attelage. Handicapée, l’auteure se déplaçait souvent en calèche et possédait une profonde connaissance des chevaux d’attelage. Elle n’a pas connu le succès de son roman : elle est morte cinq mois après la parution de l’œuvre de sa vie qui lui a demandé six ans de labeur entrecoupé de problèmes de santé.

            Chaque épisode se termine par une morale, concernant le traitement des chevaux, mais aussi parfois l’alcoolisme qui ravageait l’Angleterre de l’époque. Mais attention ! Le livre n’est pas ennuyeux. Au contraire ! Il est touchant et se lit avec facilité.

            Il est de nos jours destiné à la jeunesse. Mais Anna Sewell l’a écrit à l’origine pour les gens qui s’intéressent aux chevaux, quel que soit leur âge. Je note au passage comme certains romans tout public du XIXème siècle sont faciles à lire, par exemple les Aventures de Tom Sawyer ou Heidi de Johanna Spiri, alors que les romans pour adultes étaient assez souvent des pavés indigestes, débutant par des dizaines de page de portraits psychologiques, descriptions et autres passages rasoirs, tous exercices imposés de l’époque.

            Émouvant mais pas mélo, facile à lire mais pas mièvre, véhiculant des messages mais pas barbant, Black Beauty n’est pas sans raison un best-seller mondial, une des plus grosses ventes de tous les temps.



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