mardi 26 février 2013

Mon avis sur American Sniper, de Chris Kyle (autobiographie guerrière)


Kyle est un Navy SEAL (unité d’élite de la marine américaine entrainée pour combattre dans tous les environnements). De 2003 à 2008, il sert en Irak, où il s’illustre en devenant le tireur d’élite le plus mortel de l’histoire de l’armée américaine : 160 ennemis tués confirmés par le Pentagone, plus de 250 en réalité.

Voilà un témoignage bouleversant car incroyablement contrasté. D’un côté, l’homme possède une mentalité, des convictions vraiment abjectes et complètement à côté de la plaque, et de l’autre le militaire est d’un courage proprement époustouflant, un héros de guerre.

Dès le début de son engagement en Irak en 2003, le ton est donné : il abat une femme qui préparait une action kamikaze. Il n’a pas de mots trop durs pour qualifier ses ennemis : savages, despicable evil, scum. Une rhétorique simpliste et manichéenne caractéristique des pires égarements paranoïaques et belliqueux des années Bush, mais qui fait encore des ravages. Or cette femme lui ressemble : elle a donné sa vie pour libérer son pays, comme lui qui clame à tout bout de champ qu’il est prêt à mourir pour l’Amérique, en patriote fanatique. D’ailleurs, il reconnait plus loin que les insurgés en Irak ont des motivations plus nationalistes que religieuses. Comme en Afghanistan. Et comme au Vietnam : il s’agissait d’une guerre de réunification nationaliste qui passait bien avant l’idéologie communiste.

Bien sûr, il a besoin de se démarquer de l’ennemi pour pouvoir le tuer. Tout de même, il dépasse tous les niveaux de mauvaise foi et de propagande pitoyable quand il affirme que l’armée américaine a trouvé des armes de destruction massive chimiques en Irak. On ne l’aurait pas révélé, prétend-il, pour ne pas embarrasser les alliés français et allemands qui avaient livré ces armes à Saddam Hussein ! Bullshit ! D’une part, s’il avait eu des armes chimiques, Saddam s’en serait servi. D’autre part, Bush n’aurait fait aucun cadeau à ses alliés qui s’étaient opposés à cette guerre absurde.

American Sniper classe l’armée américaine selon deux catégories. Ses collègues et en général les unités combattantes qui font preuve de courage. Ce sont les bad-asses, les durs à cuire. Et puis il y a les pussies, les femmelettes, lavettes, fiottes : les politiciens et surtout l’état-major de l’armée pusillanime dans l’offensive militaire pour éviter les pertes. Mais sans prendre de risque, on n’arrive à rien.

Sur ce point, je le rejoins : no pain, no gain. On n’a rien sans rien. Si on refuse les pertes, il vaut mieux rester à la maison et éviter les guerres de confort. Un facteur que j’avais pu constater à la lecture d’Appui feu en Afghanistan.

Afin d’humaniser le tueur professionnel (comme il se qualifie lui-même), il nous raconte sa vie de couple. Qu’est-ce qu’on en a à faire des difficultés d’accouchement de sa femme et de ses problèmes de jardinage ? Grand, immense guerrier, mais petite tête : il a recours à la méthode Coué. « J’aime ma femme » répète-t-il à longueur de paragraphe. Pourtant, dès qu’il peut, il retourne à la guerre, sa grande passion. La guerre, c’est fun ; tuer les bad guys, il adore ça. Il vit littéralement pour tuer. Il est tellement conditionné à tuer que sa violence déborde hors du champ de bataille : il passe son temps à se bagarrer dans les bars (peut-être un effet secondaire du dopage). Vers la fin, il souffre d’hypertension artérielle. Les médecins s’aperçoivent que sa tension ne baisse que quand il combat ! Ils n’ont jamais connu un cas pareil, dit-il. En effet, l’homme est unique. Il s’ennuie tellement dans le civil. Il a un mal fou à décrocher malgré un corps épuisé. La bête de guerre sombre temporairement dans l’alcoolisme quand elle décroche enfin en 2009, tant lui manque l’adrénaline du combat.

Chris Kyle n’est pas seulement un sniper exceptionnel, il est avant tout un soldat d’un courage époustouflant. Durant la bataille de Falloujah, quand il n’y a plus assez de cibles pour lui comme sniper sur les toits, il descend dans la rue aider les Marines à ratisser chaque maison, une tâche particulièrement dangereuse. Il se porte toujours au plus près de l’action pour faire avancer les choses. Jamais il ne craint de s’exposer. Une fois, il traverse un pont que les renseignements indiquent piégé. Il a peur mais il y va après avoir inspecté le pont et n’avoir pas trouvé d’explosif. Il se couvre de gloire et de médailles au cours de maints faits d’armes. L’archétype du super soldat, le guerrier ultime.

Et le métier de sniper ? Première qualité nécessaire : l’observation. Ensuite, le stalking : se déplacer sans être vu, se camoufler. Et enfin vient l’habileté au tir. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne vise pas la tête, mais la poitrine, cible plus large. Il ne corrige pas les effets du vent car il souffle souvent en rafale. American Sniper ajuste en fonction de la distance, à peu près, car à la guerre on a très peu de temps pour viser. Son record de distance de tuerie : environ 1900 mètres. Le record du monde est à 2400 mètres.

Les armes, toujours les armes, sa passion. Ce fanatique commence à entrainer son fils à l’âge de deux ans ! Il aide les vétérans déboussolés à revenir à la vie civile. Pour ça, il les amène tirer, la catharsis. Mal lui en prend : il se fait abattre par un déséquilibré en février 2013. Les insurgés l’ont eu finalement. La guerre a détraqué le vétéran qui lui a fait la peau. La devise d’American Sniper était : « La guerre résout les problèmes. » Son Dieu, auquel il se réfère souvent, l’a entendu.

Dans Voyage au bout de la nuit, Céline écrit qu’on se réjouit souvent de la mort d’un homme, car ça fait toujours un salaud de moins. Good bye American Fanatic !



 

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mercredi 20 février 2013

Critique de : Pin-up (Bande dessinée)


Scénario : Yann (alias Balac)
Dessin : Berthet
Éditeur : Dargaud
Date de parution : 1994
Genre : Aventures sarcastiques & amours chahutées 

Ils s’aiment. Lui part faire la guerre dans le Pacifique contre les Japonais pendant la seconde guerre mondiale. Il va lui arriver plein d’aventures tragi-comiques sur une petite île. Elle, oie blanche restée sur le sol américain, est morte d’inquiétude pour son chéri. Cornaquée par une garce cynique, elle devient serveuse dans un bar à soldats. Puis elle pose comme pin-up pour un dessinateur. Celui-ci la choisit comme égérie des bandes dessinées qu’il réalise pour une revue militaire. Or son chéri lit cette revue…

Rebondissements passionnants, personnages à la fois profonds et un peu caricaturaux (juste ce qu’il faut pour leur donner une forte personnalité), humour corrosif : un cocktail réussi pour cette œuvre originale et bien rythmée malgré un titre banal. Le dessin et les couleurs sont très réussis, particulièrement le regard des personnages. Exotisme, érotisme, cynisme : le triptyque de choc.

Exemple de scène entre l’oie blanche (magnifique rousse) et la garce cynique (non moins magnifique brune) :

Après le départ du chéri de l’oie blanche, la garce cynique découvre que son amie s’est fait tatouer. C’est l’époque de Noël.

Garce cynique : Se faire abîmer la peau pour un mec… Tu es cinglée, Dottie…

Oie Blanche : Évidemment, tu ne peux pas comprendre. Si tu devais te faire tatouer les initiales de tous tes amants, tes deux épaules, ton dos et jusqu’à la peau de tes fesses n’y suffiraient pas.

Garce cynique : Ma pauvre Dottie ! L’amour c’est comme un champ de bataille, ça se gère. Moi par exemple, je suis parée… Si ni Howard de la Navy, ni Foster de l’US Air Force, ni Ben l’artilleur ne reviennent, il restera toujours bien Philip ou David des signalisations…

Oie Blanche : Ça suffit ! Laisse-moi, je veux être seule. Merci pour le sapin.

Garce cynique : Ok, Ok ! À propos de sapin… N’oublie pas que c’est avec ses planches qu’on fait les cercueils ! Joyeux Noël !

 




  

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mercredi 13 février 2013

Critique : Hunger Games, de Suzanne Collins (le roman, tome 1)


Paru en 2008 aux États-Unis, ce roman de science-fiction devint aussitôt un best-seller. Depuis, deux autres tomes ont complété la trilogie, et une série d’adaptations cinématographiques est en cours. Je traiterai ici du premier roman.

Hunger Games est une dystopie ou contre-utopie, c’est-à-dire un monde très merdique. Mais en fait, guère plus que l’âpre révolution industrielle du XIXe siècle, la 1ere guerre mondiale, la seconde, la Grande Dépression… La Grande Dépression, justement ! L’auteure s’est inspirée de la vie de son père à cette époque : il avait tellement faim qu’il devait chasser pour survivre. Et la guerre du Vietnam, merdique aussi. Là encore, Collins s’est souvenue de l’angoisse qu’elle éprouvait devant la télé, pendant que son père combattait là-bas. Le monde des Hunger Games est un peu plus hard que notre époque, soit. Quand les États-Providence auront fait faillite en cascade, il faudra toutefois réévaluer le confort de notre monde par rapport à celui de la dystopie des Hunger Games.

Chaque année, les douze provinces doivent envoyer un jeune homme (entre 12 et 18 ans) et une jeune fille pour s’entretuer dans une arène moderne. Quel crève-cœur pour les familles ! Quel spectacle alléchant pour les voyeurs télévisuels ! Notre héroïne y va et elle doit survivre ; la galère…

L’auteure affirme s’être inspirée du mythe de Thésée et du Minotaure. Périodiquement, Athènes devait envoyer sept jeunes filles en Crète pour y être sacrifiées au Minotaure dans son labyrinthe, car Athènes avait déplu aux Crétois qui entendaient leur rappeler de rester cois.

On a reproché à Collins d’avoir plagié Battle Royale, voire The running man. La bonne blague ! Le thème du gladiateur qui défend sa peau dans l’arène est… antique et n’appartient à personne.

L’intrigue générale est donc classique. Ce qui fait la force du roman, outre l’intrigue secondaire de type romance un peu cousue de fil blanc mais quand même assez attendrissante, c’est la façon dont la partition est mise en musique.

Le roman est écrit à la première personne. L’avantage, c’est qu’on s’identifie plus fort au personnage principal. L’inconvénient, c’est qu’on n’a droit qu’à ses monologues intérieurs à elle. Heureusement, qu’elles sont riches, ses pensées à notre héroïne ! Elle nous fait part de ses sentiments très régulièrement, ce qui l’humanise et la rend présente, vivante, réelle. Pas de fioriture de style ni de digressions. On ne lira pas de métaphores flamboyantes ou autres effets de style, ni de pensées profondes voire philosophiques. Non ! Efficacité, sobriété, intensité, précision rythment le récit haletant sans temps mort ou presque. Enfin, si, on s’attarde sur ses robes, car il faut mettre en avant sa féminité qu’on pourrait oublier dans le feu de l’action sanglante. Il s’agit-là de gommer le tempérament très masculin de notre héroïne : agressive, énergique, violente même : un vrai petit homme… On s’appesantit aussi sur les menus des repas : comme elle vient d’une région très pauvre où on connait la faim, elle se préoccupe beaucoup de nourriture. Dès qu’elle peut, elle se goinfre, de peur de manquer.

La psychologie des personnages est très bien rendue. On ne sombre jamais dans la mièvrerie. On déplorera juste un peu de manichéisme : il y a les bons, les méchants, et les cons-cons moutons. Mais en fait c’est la faute du système. C’est lui qui corrompt la bonne nature de l’être humain, n’est-ce pas…

  

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mercredi 6 février 2013

Géronimo, le dernier chef apache, par Leigh Sauerwein (biographie)


Titre : Géronimo
Sous-titre : Le dernier chef apache
Auteur : Leigh Sauerwein
Genre : Biographie un peu romancée
Cible éditoriale : Tout public 

Beaucoup de mystères auréolent cet homme extraordinaire devenu une légende de son vivant. Dans sa jeunesse, les Apaches vivaient en Arizona dans les montagnes aux confins du Mexique et des États-Unis. Ils avaient été chassés des meilleures terres par les Mexicains et s’en accommodaient par des compensations. Ils organisaient des raids économiques pour voler un peu de bétail aux Mexicains, préférant souvent la fuite à la violence quand ils étaient découverts.

En 1858, les militaires mexicains exterminent sa famille. Il devient « Celui qui a tout perdu » : sa femme, ses trois enfants en bas âge et sa mère sont massacrés. Alors les raids de vol se transforment en expéditions punitives. Les Apaches massacrent les Mexicains au cours d’une bataille, ils vengent les leurs. Le jeune homme devient Géronimo, le chef de guerre. Les Apaches sont satisfaits. Pas Géronimo, qui multiplie les raids guerriers, animé par sa haine des Mexicains et sa soif de vengeance inextinguible jusqu’à la fin de sa vie.

Les Apaches étaient un peuple guerrier car ils menaient contre les Mexicains une guerre ancestrale, depuis la colonisation espagnole. D’autres grands chefs apaches ont comme Géronimo tracé leur sillon sanglant en territoire mexicain : Juh, Nana et Victorio.

Quelques années plus tard, les Américains s’en prennent aux Apaches, grignotant leur territoire. Ces Blancs sont des ennemis plus coriaces. Les Apaches qui ne sont qu’une poignée, se retrouvent submergés par le nombre : plus ils en tuent, plus d’autres arrivent, bien nourris, bien armés.

Les tribus apaches, sous la houlette de grands chefs, déploient des trésors de résistance. Mangus Colorado, le géant juste. Cochise, le sage dont un simple regard pouvait faire taire le guerrier indien le plus féroce. Et leur successeur, le dernier chef Apache, Géronimo.

Peuple de montagne, ils marchent 14 heures par jour dans la rocaille, 70 kms. Ils incarnent la quintessence de la guérilla : ils frappent par surprise et disparaissent. Les meilleurs cavaliers américains n’arrivent pas à les rattraper, même quand les Apaches sont à pied.

Géronimo entraine lui-même les jeunes à devenir des guerriers endurcis, les faisant repousser sans relâche les limites de la douleur, de l’endurance et de la frugalité. Ils sont les insaisissables guerriers ultimes, à la fin 18 seulement contre 5000 tuniques bleues, sans compter les Mexicains à leurs trousses !

Le général Crook, chargé de les défaire, utilise leurs méthodes. Il s’entoure d’éclaireurs apaches pour les pister. Il les pourchasse avec des commandos mobiles et bien approvisionnés (contrairement aux Apaches démunis). Il combine les atouts de la civilisation et les tactiques de ses ennemis. Courageux, il prend tous les risques, à la façon des Apaches.

Géronimo est insaisissable. Partout où il passe, il exécute les témoins, y compris femmes et enfants, afin de ne pas être repéré. Il applique la seule morale valable à la guerre : faire ce qu’il faut pour survivre.

Après plusieurs redditions suivies d’évasions, l’épopée sanglante prend fin. Les femmes, les enfants et même les guerriers apaches sont fatigués de fuir à travers les montagnes de la Sierra Madre. Ils décident de se rendre. Géronimo s’incline, il suit la décision de son peuple, même s’il préfèrerait continuer la lutte. Car l’homme a deux passions dans sa vie : la haine des Mexicains et l’amour de la liberté.

Après s’être couvert de gloire au cours de maints combats dont il est sorti indemne (8 blessures tout de même, dont il a mis plusieurs mois à se remettre pour certaines) pendant 30 ans, comme s’il était invincible, comme s’il avait le pouvoir magique que lui prêtent ses frères apaches, Géronimo, le guerrier ultime mourra en captivité, déporté dans l’Oklahoma à 80 ans. Sa vie fut plus invraisemblable qu’une fiction, étonnante illustration du fait qu’il n’y a pas besoin d’espérer pour combattre.



 
 

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