jeudi 27 juin 2013

Critique de : Ikigami par Motorô Mase (manga)


Titre : Ikigami
Sous-titre : Préavis de mort
Auteur : Motorô Mase plus les petites mains appelées assistants
Éditeur : Asuka éditions
Date de parution : 2005 au Japon
Genre : Thriller d’anticipation contre-utopique
 
Cette société pourrait être la nôtre. À une exception près : un jeune sur mille est mis à mort automatiquement par un vaccin entre 18 et 24 ans. Le but est de faire apprécier la vie, dans ce monde au confort aseptisé. D’autre part, cette pratique réduit les suicides et la délinquance. On peut aussi y voir une métaphore de la guerre, endémique chez les humains, qui moissonne la jeunesse, souvent sans raison valable.

Le thème fait penser à Hunger Games, sauf que là, le jeune n’a aucune chance de s’en sortir et puis ça se passe de nos jours. On s’identifie donc mieux à cet univers.

Le personnage principal n’est pas un de ces jeunes qui cherchent à échapper à la mort, genre thriller haletant. D’ailleurs il est impossible aux jeunes victimes expiatoires d’échapper à leur funeste destin. Le personnage central est un fonctionnaire qui vient annoncer aux malheureux qu’il leur reste 24 heures à vivre. Il leur remet leur préavis de mort pour que les condamnés vivent à fond leur dernière journée. Si possible sans faire de dégâts, sinon c’est leurs parents qui morflent.

Le tome 1 raconte le dernier jour de deux jeunes. L’intrigue et la psychologie des personnages sont tout à fait remarquables. On est dans la tragédie, mais la tragédie subtile, pas le mélodrame. Plutôt le psychodrame.

Dans le tome 2, l’auteur fait un parallèle choquant et réaliste avec la guerre. L’État demande le sacrifice de sa jeunesse en cas de conflit. Souvent, la nécessité n’est pas plus claire de faire la guerre que d’injecter la mort programmée à un millième. L’État est un ogre, même en démocratie. Il exige parfois le sang de sa jeunesse (guerre) et toujours sa sueur (impôt).

Les dessins sont tout simplement époustouflants de réalisme et d’émotion. On est à des années-lumière des mangas bâclés qu’on désigne d’habitude pudiquement du terme dessin stylisé. Les expressions des personnages, les décors même, tout est réussi. D’autre part, les Japonais ont des têtes de Japonais et ça renforce le réalisme. Il est courant dans les mangas de représenter les personnages japonais sous des traits européens. Mais, quand par exemple au sein d’une famille japonaise campagnarde des années 40, la fille est une Blanche blonde, ça le fait pas. Ici, pas de ça, on y croit, on est immergé, pris aux tripes et au cœur.

Globalement un manga époustouflant pour adultes, dont un film a été tiré au Japon.




 

 

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mercredi 19 juin 2013

Un grand classique : La maison aux pignons verts (Tome 1 de la saga d’Anne), de Lucy Maud Montgomery


Lucy Maud Montgomery fut une romancière canadienne. Paru en 1908, son premier roman publié devint un best-seller mondial, plus de 50 millions d’exemplaires vendus selon Wikipédia.

C’est l’histoire d’un frère et d’une sœur assez âgés qui décident d’adopter un garçon orphelin pour les aider aux travaux de la ferme. Or par erreur, c’est une fille nommée Anne qui se présente. La sœur veut la renvoyer, mais elle finit par s’attacher à l’enfant.

Car Anne n’est pas une fille de onze ans comme les autres. Elle a quelque chose de « piquant », comme un supplément d’âme. Sensible, enthousiaste, ardente, passionnément romantique, théâtrale, elle déborde d’imagination et de verve. Cette imagination lui permet de transcender la réalité, de se réfugier dans un monde enchanteur afin de supporter les grandes difficultés de sa vie d’orpheline. Comme elle fait preuve d’un caractère indomptable et d’un orgueil à la mesure de son intellect, alors, lecteurs, attendez-vous à des zones de turbulence tantôt amusantes, tantôt déchirantes.

Le récit de Montgomery fleure bon la poésie. Son style n’apparait pas désuet, peut-être grâce à une traduction dépoussiérée. Certains passages sont vraiment intenses, touchants, bouleversants, sans tomber dans la mièvrerie moralisatrice. La psychologie des personnages principaux est crédible, le récit bien mené, les descriptions (prisées à l’époque) sont digestes grâce à la plume poète de l’auteur. Il y a même de l’humour.

La maison aux pignons verts n’est pas un roman pour la jeunesse, non, c’est un roman pour tout public, les plus difficiles à écrire, dans la veine de Heidi de Johanna Spyri et de Black Beauty d’Anna Sewell, mais encore mieux si la chose est concevable.

Bien sûr, cette enfant de onze ans s’exprime vraiment très bien pour quelqu’un qui a très peu fréquenté l’école. La licence romanesque permet de transcender la réalité, à la manière de l’imagination de l’héroïne. Anne est un super-enfant, magnifiant les qualités mais aussi les travers si attendrissants de l’enfance.

Les Japonais ne s’y sont pas trompés : La maison aux pignons verts est une figure imposée de leur cursus de littérature étrangère depuis 105 ans.
 





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mercredi 12 juin 2013

Nouvelle courte : Le chat du cimetière


Enfin ! Il entendit et sentit la taupe s’approcher. Sa patience allait être récompensée : cela faisait un bon moment qu’il se tenait à l’affût devant le petit trou, à proximité de l’allée principale. Hélas ! Un bruit familier mais effrayant quand même le fit déguerpir. Un gros véhicule suivi de deux bipèdes arrivait. Ils n’étaient pas vraiment dangereux, mais malgré tout leur gigantisme l’effrayait.

Le fossoyeur l’avait installé dans ce cimetière communal pour lutter contre les mulots qui pullulaient et les taupes qui creusaient entre les tombes. Aussi il ne le nourrissait jamais et interdisait aux visiteurs de le faire. Le chat se sentait bien sur son territoire. Il avait trois grandes préoccupations dans sa vie. Dormir : un vrai bonheur, dans cet endroit calme, malgré les bruits lointains des voitures. Manger : les taupes étaient difficiles à attraper, mais il chassait aussi les mulots et les petits oiseaux, parfois une friandise, un lézard. Même un écureuil une fois. Le chat adorait les arbres du cimetière.

Il subsistait cependant un point noir concernant sa troisième fonction vitale. La solitude. Les géants ne l’intéressaient pas : ils ne le nourrissaient pas et gâchaient sa chasse. Ses congénères ne lui manquaient pas : le chat est un animal individualiste. Par contre, il aurait aimé forniquer. Il n’osait pas sortir du cimetière par crainte des voitures. Et puis il devait défendre son territoire.

La grand-mère pleurait en suivant le corbillard. Son petit-fils marchait à ses côtés en tenant un chat dans ses bras.

— J’aime pas te voir si triste, mamie. Regarde, j’ai amené Chipie pour te consoler. Elle a beaucoup gigoté au début, mais elle s’est calmée en arrivant au cimetière : elle partage ton chagrin.

— Laisse-la donc gambader.

L’enfant déposa le bel animal à terre ; Chipie s’éloigna aussitôt entre les tombes.

— Elle rend visite aux morts, dit-il. Un chat, c’est mieux que des fleurs pour leur tenir compagnie. Oh, regarde ! Un autre chat est en train de grimper sur Chipie. Mais pourquoi tu pleures plus ?

— Parce que le désir est l’antidote de la mort.
 

© Lordius 2013


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mercredi 5 juin 2013

Mon avis sur : Les aigles de Rome, de Marini (bande dessinée)


Éditeur : Dargaud
Date de parution : 2007 pour le tome 1
Genre : Aventures érotico-épiques dans la Rome antique

L’histoire se passe au temps du premier empereur romain, Auguste, vers l’an zéro. Deux jeunes hommes unissent malgré eux leur destin. Un prince germanique bouillant guerrier dans l’âme et le corps, et un jeune Romain insolent mais sensible. Ils partagent les épreuves de l’éducation à la romaine et découvrent ensemble l’amour des femmes. Un grand destin les attend, on le sent.

Cette bande dessinée sonne juste. Les dialogues sont émaillés de grossièretés, exactement comme parlent deux adolescents à cent lieues du latin écrit de Cicéron et Virgile, qui d’ailleurs les rasent prodigieusement. La vie en ces temps nous est montrée crûment : esclavage, violence gore, tortures, sexe. Pour adultes donc.

Je ne suis pas spécialiste de la Rome antique, mais les décors comme les mœurs semblent bien restitués. En tout cas, on s’y croirait et c’est ça qui compte.

Les couleurs sont chatoyantes, le dessin magnifique. Certains visages sont particulièrement réussis, notamment celui, anguleux et austère, du père du jeune Romain. Cet homme représente l’archétype du Romain : courageux, travailleur, impitoyable, dévoué corps et âme à la grandeur de Rome et de ses légions. Un adepte du fameux « virtus » romain, qu’un certain manga a exploité bien moins finement que Marini.

Il est remarquable qu’un artiste seul, dessins et scénario, ait créé une histoire aussi prenante. Il semble que les rares auteurs de bande dessinée capables de réunir les deux talents, plume et crayon, réussissent les œuvres les plus populaires. Comme si réaliser une œuvre d’art à deux était plus difficile. Manque de cohésion peut-être. Les deux séries les plus vendues au monde sont Dragon Ball de Toriyama et Tintin de Hergé.





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