jeudi 22 août 2013

Fatale par J.P Manchette, le prince du néo-polar à la française


Date de parution : 1977 chez Gallimard
Genre : Néo-polar

Fatale, comme Le petit Bleu de la Côte Ouest, est un classique du genre, d’un auteur lui-même porte-drapeau de la vague néo-polar française des années 70.

Comme d’habitude, le style de Manchette déroute au début. Il faut quelques chapitres pour s’y habituer. Répétitions, libertés syntaxiques, descriptions méticuleuses des vêtements portés par les personnages, énumération des objets qui composent le décor…

L’auteur prend un soin particulier à décrire les moindres gestes des personnages. Pour lui, la banalité du quotidien permet d’ancrer le récit, de donner de la présence et de la sincérité à l’histoire. Son style contribue en tout cas à la profondeur psychologique des personnages.

L’intrigue n’est pas plus réaliste que celle des autres romans de Manchette. Comme d’habitude, c’est l’histoire d’un tueur. Une femme jeune, jolie, à la fois fluette comme on n’en fait plus au XXIe siècle (45 kg pour 1m61, Manchette raffole des précisions parfois oiseuses, souvent percutantes) mais capable de tuer à main nue plusieurs hommes en quelques minutes, après avoir découvert le délice de donner la mort, décide d’en faire son métier. Alors elle fraie avec les notables d’une petite ville de province. Coup de chance, ils sont tous pourris jusqu’à la moelle. Tous ! Alors ça va être un carnage, sauf si elle s’attendrit ou qu’elle disjoncte, car la petite maigrichonne super costaude dans son corps possède une faiblesse : elle est folle.

On retrouve les ingrédients et les thèmes qui font le succès des romans noirs bien glauques. Et ce qui est bien avec Manchette, c’est qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer. Ses romans sont très courts. 150 pages pour Fatale, en édition de poche.
 



 

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mercredi 14 août 2013

LES NON-HANDICAPÉS de Pierre DESPROGES


Chroniques de la haine ordinaire, diffusé sur France Inter le 24 avril 1986

J’ai pris le plus grand soin à retranscrire verbatim le texte à partir de l’enregistrement audio. La typographie et la ponctuation sont donc de moi. Merci de me signaler les erreurs éventuelles.

 
Mes chers amis,

C’est avant tout en tant que président de l’Association des non-handicapés de France que je m’adresse à vous ce soir. C’est vers vous, les non-vieux, les non-jeunes, les non-chômeurs, les non-femmes, les non-affamés, les non-immigrés, les non-homosexuels, les non-infirmes, les non-mongoliens, c’est vers vous que vont ce soir toutes mes pensées.

Nous formons mes chers amis, dans ce pays, une minorité, certes ! Mais cette minorité, comme les autres minorités, a le droit de se faire entendre et, pour cela, nous devons nous unir et montrer au monde que nous existons, avec nos différences, certes ! Mais ces différences, les autres doivent, au nom de la solidarité nationale, les reconnaître et les accepter.

Nous sommes des hommes comme les autres. Nous ne gênons personne en allant travailler tous les matins la tête haute sans canne blanche ni béquille. Si la nature nous pousse à avoir des rapports intimes avec des personnes du sexe opposé au nôtre, en quoi cette singularité dérange-t-elle le bourgeois ?

Nous devons dénoncer le racisme dont nous sommes de plus en plus souvent les victimes ! J’en parle en connaissance de cause. Pas plus tard qu’hier, mon fils, qui vient d’avoir sept ans, est rentré de l’école en larmes :

— Papa, m’a-t-il dit, qu’est-ce que c’est qu’un blanc ?

Je dois dire que je ne m’attendais pas à cette question si tôt. Oh, je savais bien qu’un jour ou l’autre nous devrions en passer par là. Mais pas si tôt. J’étais désemparé.

— Pourquoi me demandes-tu cela, mon garçon ? ai-je demandé en le prenant sur mes genoux pour le consoler.

— Ben à l’école, les autres se sont moqués de moi, ils m’ont montré du doigt en criant : « Ah le blanc, ah le blanc ! » C’est quoi, papa, un blanc ?

— Un blanc, c’est… c’est un homme comme un autre !

— Alors pourquoi les autres ils se moquent ?

— Ben ils ont tort ! Vois-tu, nous avons… nous avons nos coutumes, notre religion qui ne sont pas tout à fait les mêmes que les leurs. Nous portons des pantalons, nous mangeons avec des fourchettes, nous buvons du vin et, c’est vrai qu’il y a dans le vin comme un goût primitif qu’on ne retrouve pas dans l’eau ! Cela peut surprendre… Mais tu ne dois en aucun cas, mon enfant, en avoir honte. Nous sommes blancs, descendants des Gaulois et des Francs et alors ! Les raisons de nous en féliciter ne manquent pas : le franc est stable et jamais les Gaulois n’ont donné la gale aux Romaines ; nos Charolais sont laids, mais nos Bordelaises sont girondes ; l’Alsace nous a donné ses Ballons, Sophia nous a donné la Lorraine ; nos ancêtres du Berry nous ont donné le béret et nos ancêtres basques, les baskets… L’art blanc, mon enfant… l’art blanc existe autant que le lard fumé ! La Joconde, Versailles, le Cid, le jeu des mille francs, c’est nous ! La bombe H et le Mistral gagnant, c’est nous ! Austerlitz, c’est nous ! Auschwitz, c’est loin… Mon enfant, nous sommes blancs et nous devons assumer notre blanchitude !

— Mais pourquoi on est blancs, papa ?

— C’est naturel… C’est Dieu qui l’a voulu ainsi ! D’ailleurs, l’été nous ne sommes plus très blancs, il nous suffit d’aller au soleil et de ne plus bouger, c’est chiant, mais ça banalise !

— Oui papa, mais eux ils ont du pot, ils ont même pas besoin d’aller au soleil.

— Oui, mais ça c’est un autre problème, c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens, ils gaspillent tout leur argent en nourriture… Vois-tu mon chéri, nous ne sommes pas tellement à plaindre !

J’ai réussi à consoler cet enfant… mais pour combien de temps ? Combien de temps encore devrons-nous subir les humiliations des minorités handicapées de ce pays ?

L’affaire Jean Dupont a certes, secoué les torpeurs et ému les esprits. Mais il aura fallu ce drame pour que le gouvernement vote enfin le décret de reconnaissance publique de l’Association des non-handicapés de France.

Les faits sont connus de tous, mais nous les répèterons une fois de plus à l’intention du grand rabbin nègre non-comprenant, de l’Association pour le racisme et contre l’antisémitisme qui a tenu à être des nôtres ce soir pour montrer à tous qu’à ses yeux, nous étions des Français à part entière.

Lors des derniers Jeux olympiques pour handicapés, la finale du quatre cents mètres haies mettait aux prises une équipe de trente chômeurs immigrés cancéreux non-voyants à la colonne vertébrale brisée à tout jamais, et un non-handicapé de quarante ans, Monsieur Jean Dupont, Auvergnat, hétérosexuel et cadre.

Ce dernier arriva le premier avec trente-neuf heures, douze minutes et six secondes d’avance sur le second. Par la suite, Jean Dupont devait reconnaître qu’il avait été distrait et qu’il était fatigué le jour de la compétition, c’est cette distraction qui lui avait fait oublier qu’en pareil cas, le non-handicapé doit attendre les handicapés. De même qu’à l’école, les surdoués doivent attendre que les tri-chromosomiques aient compris « un et un égalent deux », avant de passer le mois suivant à « deux et un égalent trois ».

Mais cela n’excuse en rien que de retour aux vestiaires, les chômeurs immigrés cancéreux non-voyants à la colonne vertébrale brisée à tout jamais aient roué le malheureux de coups de canne blanche avant de lui rouler sur le corps jusqu’à ce que mort s’ensuive en chantant la chanson pour l’Éthiopie.

N’ayons pas peur des mots mes amis : c’est une attitude qui est contraire à l’esprit de la Déclaration des Droits de l’Homme. Jean-Marie Le Pen ne me contredira pas sur ce point. Et c’est bien ce qui m’emmerde !
 

mercredi 7 août 2013

Critique : Les sentinelles (BD) par Dorison et Breccia


Titre : Les sentinelles (volume 1)
Sous-titre : Chapitre premier : juillet-août 1914. Les moissons d’acier
Scénariste : Xavier Dorison
Dessinateur : Enrique Breccia
Éditeur : Robert Laffont
Date de parution : 2008
Genre : Fantastique & historique ou science-fiction & guerre ou BD de super-héros

Début des années 1910. L’armée française renonce à ses expériences de prototype de super-soldat : la technologie n’est pas au point et, aussi, les généraux sont trop cons. Été 1914 : les généraux sont toujours aussi cons, mais la technologie a évolué. Hélas ! Le scientifique pacifiste refuse de vendre son invention à l’armée. Sur ces entrefaites, la guerre éclate et notre idéaliste est grièvement blessé au front. Pour éviter la mort, il accepte de devenir Taillefer, la nouvelle sentinelle.

Entre parenthèses, ça me fait penser à la blague de Pierre Desproges qui cible la guerre d’après : « En 39, tout le monde savait que Gamelin était un con, sauf les militaires. C’est ce qu’on appelle un secret militaire. » C’est là qu’on se rend compte de l’infamie des Allemands de l’époque, l’un de leurs plus grands crimes de guerre : ils nous ont rendu Gamelin intact en 45, après avoir tué des millions d’autres humains… Fin de la parenthèse.

Cette bande dessinée reprend un thème devenu classique, l’homme bionique. Elle réussit cependant à traiter ce thème avec une grande originalité puisque l’action se passe en 1914. Il s’agit donc d’une sorte de science-fiction vintage, laquelle s’immerge, autre originalité passionnante, dans un récit historique de guerre ultra-réaliste.

Le scénario est vraiment époustouflant et très abouti. Les personnages possèdent une profondeur psychologique et évitent tout manichéisme. Un grand soin a été apporté aux recherches historiques et même à l’aspect scientifique : la manière dont les super-soldats sont façonnés est expliquée avec luxe de détails, sans que cela devienne barbant. Du grand art.

Le docteur qui fabrique les super-soldats et fait des expériences si cruelles sur les animaux, on hésite entre Mengele, Frankenstein et un patriote qui ne pense qu’à sauver son pays. Et Djibouti le vieux légionnaire au corps cassé, ancien cobaye volontaire du doc, ça le dégoûte de tuer des jeunes hommes allemands mais d’un autre côté, il kiffe de faire son mâle dominant. La guerre, c’est plein de dilemmes qui vous déchirent le cœur, mais sans elle, qu’est-ce qu’on s’emmerderait…

Le dessin est au diapason. Les couleurs, formidables, évoquent à la fois les BDs de super-héros et des images d’Épinal. Mais le plus frappant, ce sont les visages. Beaucoup de dessinateurs de BD et de manga sont experts dans cet exercice imposé. Mais Breccia les surpasse. Ces visages taillés à la serpe, on ne les oublie pas une fois l’album refermé. Il les dessine souvent montrant les dents. Ça leur donne un air féroce de carnivore, cruel, satanique même, mais énergique aussi.

À propos des couleurs, on s’aperçoit que chaque planche possède une couleur dominante. Ce procédé permet de donner une ambiance et un rythme à chaque scène. Il est d’autant plus remarquable qu’il est difficile de faire coïncider les couleurs dominantes avec chaque planche. C’est une contrainte qui donne corps au récit, comme les pieds et les rimes donnent corps à un poème. Cette BD est comme un poème graphique moderne.

Au total, une bande dessinée vraiment époustouflante. Trois volumes sont sortis. Le volume 2, c’est la bataille de la Marne. J’imagine le suspense de fou, parce que quand même, le sort de la France se joue entre les mains métalliques de Taillefer, ce super-héros à la française. Pour lecteurs avertis.




 

  

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