jeudi 25 octobre 2012

Nouvelle courte : La romancière boulimique


Elle publia son premier roman à vingt ans, aussitôt propulsé en tête des ventes françaises. Son second roman devint un best-seller mondial. À trente ans, elle était la romancière la plus vendue du monde et de tous les temps. Ses histoires, racontées avec des mots simples, possédaient le don de toucher l’âme de tous : des enfants aux vieillards, de l’Amérique à l’Asie. Ses œuvres offraient plusieurs niveaux de lecture, en fonction de la sensibilité du lecteur. Elle écrivait des œuvres tout public et tout média : ses récits s’adaptaient à merveille en films, bandes dessinées, séries animées et pièces de théâtre. Cette multiplication des supports accroissait d’autant sa notoriété et ses ventes.

Toutefois, elle n’avait pas la plume facile. Elle passait de longues heures à écrire devant son PC chaque jour. Et quand elle n’écrivait pas, elle lisait. Pour l’inspiration, pour la recherche, pour disposer du bon schéma mental et se rassurer.

Ces heures de labeur l’épuisaient. Alors elle fumait, car la nicotine est un stimulant cérébral ; elle buvait, car l’alcool retarde la fatigue. De plus, elle grossissait car elle était sédentaire à l’extrême, toujours assise à sa table de travail, la seule source d’inspiration qui la visitait.

À trente-cinq ans, son hygiène de vie exécrable engendra un cancer des voies digestives. Le grand cancérologue qui la sauva fut consterné : à peine convalescente, encore à l’hôpital, elle reprenait déjà ses mauvaises habitudes.

Il tenta de la raisonner ; en vain. Elle courait à sa perte. Il lui conseilla de changer de cadre de vie, de rompre avec ses habitudes, d’arrêter d’écrire même, car, affirmait-il, une belle histoire ne vaut pas une vie ; sans succès. Grand admirateur de l’écrivain et tombé très amoureux de la femme après quelques mois à la soigner, le professeur l’enleva et la retint captive dans son manoir isolé au cœur des montagnes suisses. Le public croyait qu’elle avait disparu volontairement pour se ressourcer.

Tabac et alcool lui furent interdits. Elle n’avait le droit d’écrire qu’après avoir fait une heure d’exercice quotidien. Cette nouvelle hygiène de vie améliora sa santé physique. Par contre, la romancière manquait de stimulants et ses textes s’en ressentaient : son roman en cours n’avançait pas, son moral miné minait par effet domino son inspiration.

Elle essaya d’attendrir son geôlier pétri de bonnes intentions. Elle plaida qu’il était vain d’aider l’humanité malgré elle ; sans succès. Elle voulut monnayer ses faveurs contre un peu de substances psychoactives ; le chaste médecin se montra incorruptible, malgré son désir ardent. Elle tenta de s’évader par deux fois ; échec. Alors, la plus adulée et la plus riche des romancières, mince, poumons aérés et foie régénéré, se pendit dans sa cellule.
 

 

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2 commentaires:

  1. Belle histoire, comme quoi on ne peut aider une personne que si elle le veut bien.

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  2. Exactement ! On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif...

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