Kyle est un
Navy SEAL (unité d’élite de la marine américaine entrainée pour combattre dans
tous les environnements). De 2003 à 2008, il sert en Irak, où il s’illustre en
devenant le tireur d’élite le plus mortel de l’histoire de l’armée
américaine : 160 ennemis tués confirmés par le Pentagone, plus de 250 en
réalité.
Voilà un
témoignage bouleversant car incroyablement contrasté. D’un côté, l’homme
possède une mentalité, des convictions vraiment abjectes et complètement à côté
de la plaque, et de l’autre le militaire est d’un courage proprement
époustouflant, un héros de guerre.
Dès le début
de son engagement en Irak en 2003, le ton est donné : il abat une femme
qui préparait une action kamikaze. Il n’a pas de mots trop durs pour qualifier
ses ennemis : savages, despicable evil, scum. Une rhétorique simpliste et manichéenne caractéristique des
pires égarements paranoïaques et belliqueux des années Bush, mais qui fait
encore des ravages. Or cette femme lui ressemble : elle a donné sa vie
pour libérer son pays, comme lui qui clame à tout bout de champ qu’il est prêt
à mourir pour l’Amérique, en patriote fanatique. D’ailleurs, il reconnait plus
loin que les insurgés en Irak ont des motivations plus nationalistes que
religieuses. Comme en Afghanistan. Et comme au Vietnam : il s’agissait
d’une guerre de réunification nationaliste qui passait bien avant l’idéologie
communiste.
Bien sûr, il a
besoin de se démarquer de l’ennemi pour pouvoir le tuer. Tout de même, il
dépasse tous les niveaux de mauvaise foi et de propagande pitoyable quand il
affirme que l’armée américaine a trouvé des armes de destruction massive
chimiques en Irak. On ne l’aurait pas révélé, prétend-il, pour ne pas
embarrasser les alliés français et allemands qui avaient livré ces armes à
Saddam Hussein ! Bullshit !
D’une part, s’il avait eu des armes chimiques, Saddam s’en serait servi.
D’autre part, Bush n’aurait fait aucun cadeau à ses alliés qui s’étaient opposés à cette guerre absurde.
American Sniper classe l’armée
américaine selon deux catégories. Ses collègues et en général les unités
combattantes qui font preuve de courage. Ce sont les bad-asses, les durs à cuire. Et puis il y a les pussies, les femmelettes, lavettes,
fiottes : les politiciens et surtout l’état-major de l’armée pusillanime
dans l’offensive militaire pour éviter les pertes. Mais sans prendre de risque,
on n’arrive à rien.
Sur ce point,
je le rejoins : no pain, no gain.
On n’a rien sans rien. Si on refuse les pertes, il vaut mieux rester à la
maison et éviter les guerres de confort. Un facteur que j’avais pu constater à
la lecture d’Appui feu en Afghanistan.
Afin
d’humaniser le tueur professionnel (comme il se qualifie lui-même), il nous
raconte sa vie de couple. Qu’est-ce qu’on en a à faire des difficultés
d’accouchement de sa femme et de ses problèmes de jardinage ? Grand,
immense guerrier, mais petite tête : il a recours à la méthode Coué.
« J’aime ma femme » répète-t-il à longueur de paragraphe. Pourtant,
dès qu’il peut, il retourne à la guerre, sa grande passion. La guerre, c’est fun ; tuer les bad guys, il adore ça. Il vit littéralement pour tuer. Il est
tellement conditionné à tuer que sa violence déborde hors du champ de
bataille : il passe son temps à se bagarrer dans les bars (peut-être un
effet secondaire du dopage). Vers la fin, il souffre d’hypertension artérielle.
Les médecins s’aperçoivent que sa tension ne baisse que quand il combat !
Ils n’ont jamais connu un cas pareil, dit-il. En effet, l’homme est unique. Il
s’ennuie tellement dans le civil. Il a un mal fou à décrocher malgré un corps
épuisé. La bête de guerre sombre temporairement dans l’alcoolisme quand elle
décroche enfin en 2009, tant lui manque l’adrénaline du combat.
Chris Kyle
n’est pas seulement un sniper exceptionnel, il est avant tout un soldat
d’un courage époustouflant. Durant la bataille de Falloujah, quand il n’y a
plus assez de cibles pour lui comme sniper sur les toits, il descend dans la rue
aider les Marines à ratisser chaque maison, une tâche particulièrement
dangereuse. Il se porte toujours au plus près de l’action pour faire avancer
les choses. Jamais il ne craint de s’exposer. Une fois, il traverse un pont que
les renseignements indiquent piégé. Il a peur mais il y va après avoir inspecté
le pont et n’avoir pas trouvé d’explosif. Il se couvre de gloire et de
médailles au cours de maints faits d’armes. L’archétype du super soldat, le
guerrier ultime.
Et le métier
de sniper ? Première qualité nécessaire : l’observation. Ensuite, le stalking : se déplacer sans être
vu, se camoufler. Et enfin vient l’habileté au tir. Contrairement à ce qu’on
pourrait croire, il ne vise pas la tête, mais la poitrine, cible plus large. Il
ne corrige pas les effets du vent car il souffle souvent en rafale. American Sniper ajuste en fonction de la
distance, à peu près, car à la guerre on a très peu de temps pour viser. Son record
de distance de tuerie : environ 1900 mètres. Le record du monde est à 2400
mètres.
Les armes, toujours
les armes, sa passion. Ce fanatique commence à entrainer son fils à l’âge de
deux ans ! Il aide les vétérans déboussolés à revenir à la vie civile.
Pour ça, il les amène tirer, la catharsis. Mal lui en prend : il se fait abattre
par un déséquilibré en février 2013. Les insurgés l’ont eu finalement. La
guerre a détraqué le vétéran qui lui a fait la peau. La devise d’American Sniper était : « La
guerre résout les problèmes. » Son Dieu, auquel il se réfère souvent, l’a
entendu.
Dans Voyage au bout de la nuit, Céline écrit
qu’on se réjouit souvent de la mort d’un homme, car ça fait toujours un salaud
de moins. Good bye American Fanatic !
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Très belle analyse d'un very very bad guy
RépondreSupprimerExcellente description d'un "shooteur shooté"...
RépondreSupprimerFranchement époustouflant! Tellement frissonnant! Véritablement inquiétant!
Tu réussis magnifiquement à introduire le lecteur dans cette atmosphère très inhabituelle. Quelle sensibilité et quel talent!!!
Encore une fois, félicitations Matt!!!
Merci CookieandWhite et Corinne !
RépondreSupprimerJ'ai été inspiré par la personnalité exceptionnelle du gars. Un vrai personnage de roman tout en contrastes, abject au dernier degré et grandiose à la fois.