mardi 24 septembre 2013

Gatsby le magnifique de Scott Fitzgerald (le roman)


L’encyclopædia universalis présente bien ce roman mythique :

« Publié en 1925, Gatsby le Magnifique est le troisième roman et l'œuvre la plus célèbre de l'écrivain américain Francis Scott Fitzgerald (1896-1940). Accueillie en son temps avec peu d'enthousiasme par le public et la critique, cette chronique désenchantée n'allait pourtant pas tarder à devenir l'œuvre phare de toute une génération, la « génération perdue » des rugissantes années 1920 (« roaring twenties »), celle des jeunes gens qui cherchaient à noyer leur désespoir né de la guerre dans le jazz et l'alcool de contrebande. »

Les années rugissantes aux États-Unis correspondent aux années folles en Europe. Admettons qu’une génération se soit reconnue dans ce roman, cela n’explique pas son succès ultérieur jusqu’à nos jours. Alors d’où vient-il, ce succès ? Pourquoi Gatsby nous touche-t-il ?

Le romantisme, pardi ! Le thème le plus classique et le plus porteur des romans. Car Gatsby, par ailleurs un escroc engendré par la prohibition (à chaque fois qu’on interdit une substance psychoactive, on favorise le crime, organisé ou non) ne vit et meurt que pour une femme. Pendant cinq ans, il monte un stratagème habile mais incroyablement lourd pour la retrouver de manière la plus convenable possible, lui qui est loin d’être convenable comme on l’apprend progressivement. Bref, il ne vit que pour elle. Or, qu’a-t-elle de particulier ? Rien à part une plastique agréable. Elle n’a pas l’esprit brillant, elle ne sait pas conduire une voiture (une incapacité lourde de conséquences dans l’intrigue tragique) et surtout elle ne l’attend pas pendant la guerre malgré leur idylle parfaite juste avant son départ au front. Elle se marie sans vergogne à un autre. Bref une jolie cruche salope comme il y en a tant…

Mais voilà ! Lui est dans son rêve. Certains ont parlé de rêve américain. Plus largement, je dirais rêve humain, utopie : les Hommes raffolent de ces constructions idéalistes complètement détachées de la réalité : Dieu, le communisme, l’humanisme et… l’amour romantique.

Une fois accoutumé au style soutenu (des passés simples dans les dialogues, par exemple) et malgré le prisme de la traduction qui mériterait un dépoussiérage, on est charmé par l’humour sarcastique et subtil qui transparait dans de nombreuses scènes du roman. Gatsby n’est pas seulement une tragédie romantique émouvante, c’est aussi une satire sociale d’autant plus féroce qu’elle est fine. Jamais ou presque de caricature. Des piques fines donc aiguës qui banderillent habilement le genre humain.

On appréciera aussi l’absence de manichéisme : tous les personnages ont des points de vue défendables. Ainsi le mari de la femme que convoite Gatsby, sous des dehors grossiers au début, se révèle sincère et rationnel autant qu’un des personnages du roman peut l’être. Car si on y réfléchit, ils sont tous abjects et sans moralité… Fitzgerald n’était pas un humaniste mais un réaliste, un très grand romancier maitre de son art.

En conclusion, Gatsby le magnifique est un roman de chevalerie moderne et dépravée. Le personnage principal est obsédé par l’idée de faire revivre le passé, une forme d’immortalité peut-être. La dernière phrase du roman en témoigne :

Car c'est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé.

Cette phrase a été gravée dans la pierre de la tombe de Francis Scott Fitzgerald. N’est-ce pas romantique ?

L’œuvre est tombée – non, hissée – dans le domaine public. Donc téléchargeable gratuitement et légalement.





mercredi 18 septembre 2013

Critique : La Patrouille du Temps par Poul Anderson


Injustement peu connu en France, Poul Anderson fait partie des grands maîtres américains de la science-fiction du XXe siècle. Son abondante bibliographie s’est couverte d’honneurs et de nombreux prix littéraires (Nebula, Hugo et tant d’autres).

La Patrouille du Temps, parue initialement dans The Magazine of Fantasy & Science Fiction en 1955, est sûrement la série la plus connue de Poul Anderson.

Dans le futur lointain, l’Homme a inventé le voyage dans le temps. Seulement voilà, cette invention merveilleuse en théorie est en pratique une source terrible de tracas. En effet, certaines personnes sont tentées de changer le cours de l’Histoire, anéantissant du coup l’humanité telle que nous la connaissons. Aussi la mission de la Patrouille du Temps est de veiller à ce que personne n’altère l’Histoire, une tâche dangereuse, grandiose, démesurée et bourrée d’aventures uchroniques.

Avec une grande habileté, Poul Anderson réussit à justifier autant qu’il est possible cette construction de l’esprit humain qu’est le voyage dans le temps, remplie de paradoxes insurmontables en pratique. Mais pas pour Poul, le magicien de l’assemblage des mots ! Ainsi il introduit des lois de causalité et de conservation associées au principe de discontinuité : si un agent de la Patrouille du temps tuait ses parents, il continuerait cependant d'exister. De plus, le cours de l’histoire ne se déforme pas aisément : il est élastique. Ainsi si vous tuez un lointain ancêtre d’un homme célèbre, il existera quand même car il est le fruit d’une multitude de gènes. Par contre, si vous tuez Scipion, le seul général romain valable de l’époque, alors Hannibal triomphe, Rome tombe, et la civilisation celte triomphe (même si les Carthaginois étaient des Phéniciens donc des Sémites, mais bref, l’histoire du monde est chamboulée). Et c’est dans ces cas dramatiques là que la Patrouille du Temps doit intervenir.

 La maîtrise narrative de l’auteur est remarquable. Comme le récit est destiné à paraître par épisode dans un magazine, Poul Anderson arrive à rappeler au lecteur l’essentiel du contexte en quelques phrases habiles disséminées au début de chaque épisode. Ses connaissances historiques et surtout l’efficacité de son écriture tiennent du prodige : il est capable de brosser des tableaux historiques convaincants, que ce soit l’ambiance d’une ville du temps de l’empire perse, ou bien une bataille entre Rome et Carthage.

Le thème sous-jacent des épisodes est souvent l’amour romantique. Non sans humour, il met ses personnages masculins dans des situations inextricables et devant des contradictions à la fois pitoyables et réalistes, pour les beaux yeux d’une femme.

Cette plongée dans le passé de l’humanité, outre les connaissances historiques, apporte des réflexions d’une profondeur insoupçonnée. La Patrouille du Temps est bien plus qu’une œuvre de science-fiction : elle aborde les genres de la romance, du roman historique, de la (contre) uchronie et même, oui, même du conte philosophique.
 
 
 

jeudi 12 septembre 2013

Pastiches de Haïkus par Lordius


Le Haïku est un petit poème japonais extrêmement bref visant à dire l'évanescence des choses, selon la belle définition de Wikipédia. Il se compose de trois vers. Le thème est la nature et les saisons.

Alors voici quelques Haïkus de Lordius sur le thème du printemps.

 
La biche gracile gambade,

Sa course exprime la joie,

Le sourire du chasseur aussi.

 

La neige a fondu,

La glace est brisée,

Promesse d’amour.

 

Les bourgeons bourgeonnent,

Les jours s’allongent,

Ma tronche aussi.

 

L’herbe pousse,

La feuille verdit,

Je suis vert devant la feuille d’impôt.

 

La feuille verdit et pousse,

Je pousse un cri,

La feuille d’impôt me vire au vert.

 

Le temps se dégèle,

Les cœurs itou,

Vive l’antigel du bistro.

 

Ô mon âme sœur, que je t’aime,

Vois l’hiver fuir, ne l’imite point,

Ou alors présente-moi ta sœur.

 

La sève monte,

Les bêtes se montent,

Je monte me coucher seul.
 
 
 

mardi 3 septembre 2013

Critique : Morgan (Bande dessinée) de Segura et Ortiz


Titre : Morgan
Sous-titre : T.1 : Repose en paix
Scénariste : Antonio Segura
Dessinateur : José Ortiz
Éditeur : Soleil Productions
Date de parution : 1989-1993
Genre : roman graphique noir d’encre 

Le brillant commissaire quinquagénaire est en bout de course. Il a une balle logée près du cœur. Sa femme l’a quitté parce qu’il ne peut plus prendre le risque de faire l’amour : son palpitant pourrait lâcher. Il lui reste sa fille. Mais voilà, un gang l’assassine. Alors il se fâche vraiment, notre fort de l’ordre. Lui qui a été réglo toute sa vie, qui n’a même pas cherché à se faire justice quand un malfrat lui a logé une bastos calibre 45 dans le poitrail, cette fois il fait un carnage. Il n’hésite pas notamment, à tuer le frère innocent du malfrat pour descendre celui-ci à l’enterrement. Ce garçon n’a plus de cœur… On est dans l’archétype du genre noir. Il n’y a d’espoir pour personne. Souffrance, ennui ou mort brutale, voilà le programme.

On retrouve le thème classique de la vengeance qui libère et assouvit, quel qu’en soit le prix. Et le prix est lourd. Condamné à perpète. Un flic au milieu des taulards, ça va être sa fête. Mais lui n’a plus rien à perdre, même pas la vie, ce mort en sursis. C’est ce qui le rend si dur de dur.

L’histoire est habilement découpée en épisodes autonomes. Comme un recueil de nouvelles graphiques, une série dont le fil conducteur est le pénitencier. Comme souvent pour aboutir à un chef-d’œuvre, on a sous les yeux le fruit d’une magnifique synergie entre le dessinateur et le scénariste : histoire et dialogues scotchants, dessin énergique et chargé d’émotions et d’atmosphère. Glauque, effroyable, cette atmosphère, mais prenante. Elle nous aspire dans un tourbillon de haine, violence, enfer carcéral, mais aussi solidarité, amitié et loyauté.

Comme toute œuvre noire, Morgan ne se laisse approcher que par les lecteurs avertis.
 
 


 

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