mercredi 26 décembre 2012

SAS, de Gérard de Villiers : les raisons du succès


SAS ou la quintessence du roman de gare. À la belle époque, dans les années 70-80, il s’en vendait selon la légende 200 000 exemplaires par épisode, quatre épisodes par an. Seul San-Antonio faisait mieux.

SAS, Son Altesse Sérénissime, le prince Malko Linge est une barbouze autrichienne hors cadre de la CIA. Ses missions chics et chocs mêlent action violente, espionnage, géopolitique basique et érotisme programmé.

Qu’est-ce qui faisait le succès de la série, souvent imitée, jamais égalée ? Une réussite en apparence étrange dans la mesure où chaque épisode est formaté à l’identique.

Le style ? « Insignifiant, insignifiant… » trancherait Céline qui qualifiait ainsi celui de Montherlant. D’autant qu’il est régulièrement grevé par un sponsoring grotesque. Malko consulte sa montre de telle marque, les magnétoscopes utilisés par tous les personnages sont de telle marque, etc. J’imagine l’auteur en train de compter le nombre d’apparitions du mot de chaque marque prévu par son contrat. Là où c’est carrément ridicule, c’est quand, dans une suite ultra-huppée, il se sert un whisky de la marque sponsorisée qui s’avère vraiment bas de gamme. Boit-on du gros rouge chez un grand caviste ?

L’érotisme mécanico-torride ? Il confine au pastiche. Toutes les femmes que Malko croise sont jeunes, très belles et terriblement sensuelles, sans enfant, prennent la pilule et n’ont jamais leurs règles. Surtout, elles ont curieusement toutes envie de lui même si elles sont en couple. Un seul regard de ses yeux or, et elles se mettent en position. Une forme d’épidémie de nymphomanie sélective.

L’analyse géopolitique ? L’auteur colle à l’actualité, très bien. En apparence il nous dévoile des informations cachées au grand public. En fait, il s’agit juste de points de vue classiques et paranoïaques, genre l’impérialisme soviétique pendant les années 80, alors que les pauvres gars se débattaient pour éviter la faillite, un peu comme la France des années 2010, finalement…

L’exotisme et la précision documentaire ? Chaque épisode se déroule dans un pays différent (jamais la France à ma connaissance). Ce dépaysement contribue au succès, d’autant que Gérard de Villiers parvient bien à faire ressortir une certaine ambiance de la ville dans laquelle l’action a lieu. Pour mieux immerger le lecteur, il cite souvent les rues par lesquelles les personnages cheminent. Sympa au début, mais finalement vite lourdingue : on se fiche que Malko emprunte Baboon Street, très encombrée puis bifurque à droite sur Dream Avenue, et là le trafic devient plus fluide…

Alors quoi ? Eh bien l’essentiel des ingrédients qui font un bon roman sont présents. La psychologie des personnages tient la route et Gérard de Villiers réussit souvent à éviter le manichéisme. Surtout, le plus important dans un roman comme dirait Stephen King, c’est l’histoire. Or l’intrigue est bien menée : suspense, rebondissements, enquêtes d’espionnage… Et puis, la série offre un plus indéniable : on n’est jamais sûr du happy-end. Parfois, SAS foire complètement sa mission et ça, c’est réaliste !



  

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mardi 18 décembre 2012

Critique : Mémoire en cage, de Thierry Jonquet


Date de parution : 1982
Genre : Néo-polar

Thierry Jonquet fut un des grands romanciers du mouvement néo-polar français, dont le chef de file était Jean-Patrick Manchette. Mémoire en cage est son premier roman publié.

Ce court roman nerveux se passe dans le secteur médical, un monde que connait bien l’auteur pour y avoir travaillé. L’histoire est bien menée, prenante et très sordide : tous les personnages ou presque sont des salopards répugnants. L’histoire est effroyablement glauque, à réserver aux adultes endurcis.

Le procédé narratif est original : certaines scènes sont écrites à la troisième personne tandis que d’autres sont racontées par les personnages. Il y a donc de nombreux narrateurs, technique artificielle mais prenante.

Le style de l’auteur est à l’image du procédé narratif : percutant et assez original.

Exemple, l’inspecteur de police veut poser une question indiscrète à Isabelle :

Isabelle a eu un geste bref et impérieux de la main pour signifier peu importe, posez, posez, nous verrons ensuite.

J’aime bien cette mise en scène parlante d’un simple geste que le narrateur interprète comme une réplique entière.

L’histoire ? Dans un centre de soins, une ado gravement handicapée physiquement voue une haine farouche à l’un des médecins. Elle se fait passer pour débile mentale alors qu’elle a toute sa tête. Que mijote-t-elle ? Et ce jeune stagiaire obsédé sexuel, qu’est-ce qui le tourmente ? Le docteur n’a pas l’air net non plus. Personne n’est net, d’ailleurs. Il y a des cadavres dans les placards et leur odeur est immonde. Préparez-vous à gerber…

En conclusion, Mémoire en cage est un court roman punchy et aussi noir que l’âme humaine peut l’être.

 

 
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mercredi 12 décembre 2012

Critique : Quartier lointain (manga), de Jirô Taniguchi


Éditeur : Casterman pour la version française

Date de parution : 1998

La collection Écritures de Casterman propose souvent des mangas de grande qualité.

Il a 48 ans, un peu alcoolo, assez usé par le boulot et la platitude de la vie quotidienne, comme tant d’autres. Sa mère est morte il y a 20 ans et son père a disparu quand il en avait 14. Soudain, coup de théâtre dans sa routine sclérosante, il se retrouve propulsé dans le passé, à l’âge de 14 ans, dans sa famille japonaise en 1964.

Au début, bien sûr, il est abasourdi. Ensuite, il est ravi : il retrouve le corps de sa jeunesse, avec sa conscience et son expérience d’adulte. Son entourage le trouve changé, forcément. Notre personnage principal les déroute, mais aussi les fascine par sa maturité. Puis vient le temps du doute : il a peur de changer le cours des événements puisqu’il se comporte différemment, un dilemme classique des voyages dans le temps. Paradoxalement, il voudrait bien modifier un élément-clé de sa vie : empêcher son père de partir du jour au lendemain sans donner d’explications ni laisser de traces.

Le thème du voyage dans le temps est archi rebattu, mais inépuisable. Ce qui compte, c’est qu’il soit traité avec finesse et talent. C’est le cas ici. Le personnage principal nous invite à des réflexions philosophiques sur la jeunesse, la façon dont elle voit les adultes et vice-versa. Car il se sent à la fois jeune et vieux.

Les personnages sont attachants et leur psychologie tient la route. L’intrigue est prenante.

Le dessin est magnifique. Très fin, surtout pour un manga dont les stéréotypes et les canons donnent en général un aspect certes vivant et énergique, mais produisent un dessin bâclé. Ce n’est pas le cas ici. Les paysages sont représentés avec précision et réalisme, les personnages sont bien expressifs, de visage comme de corps. Bref, c’est du beau dessin artistique.

Quartier lointain se raconte en deux volumes. Je ne dévoilerai pas ici l’intrigue de la suite pour ne pas gâcher le suspense aux futurs lecteurs du premier volume. Il suffit de dire que la seconde partie révèle une histoire incroyablement profonde, dramatique (carrément triste, mais réaliste), touchante voire bouleversante, et pleine de rebondissements à la fois plausibles et étonnants.

L’ensemble donne un manga touchant et profond, un chef-d’œuvre : le mot ne parait pas trop fort. Un roman graphique philosophique et d’une grande psychologie.



 
 
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mercredi 5 décembre 2012

Le maire et l’enfant, par Lordius


D’après une histoire vraie
 
Plus de budget ! Le maire avait tout dépensé, fidèle à la doctrine des emplois assistés. Il avait gaspillé des fortunes en eau potable pour laver, relaver, délaver les trottoirs afin de secouer l’oisiveté de ses cohortes pléthoriques de fonctionnaires municipaux. Il avait fait installer des feux rouges à chaque coin de ruelle. Par contre, comme il n’était pas sot, il n’avait pas augmenté le nombre de policiers municipaux destinés à mettre des PV aux voitures mal garées. Surtout pas pendant l’année électorale !

Au fond de lui, le maire sentait bien que cette politique passéiste conduisait la France vers le sud, vers la Grèce. Keynes avait affirmé qu’il valait mieux payer un chômeur à creuser un trou et le reboucher que de ne rien faire. Très juste quand la dette publique le permet. Or on la creusait, elle aussi, sans jamais la reboucher. On essayait juste de la creuser un peu moins vite, on appelait ça les efforts budgétaires. Alors forcément le coût du travail augmentait pour résorber les déficits, donc le chômage explosait. Et de nouveaux trous apparaissaient.

Soudain, le maire eut une idée inouïe chez un élu : et si la plupart des mesures que les politiciens prenaient n’allaient pas justement à l’encontre de l’effet recherché ? Vite, il chassa cette pensée audacieuse et déprimante. Le maire n’était pas sot, certes, mais comme ses collègues politiciens, il n’aimait pas l’innovation. À la manière des Égyptiens Anciens, grande civilisation qui déclina parce qu’elle perpétuait les recettes du passé qui ne s’appliquaient plus au temps présent.

Au cours d’une réunion de quartier, il avait été pris à partie par des parents d’élèves qui exigeaient un auxiliaire de circulation pour permettre aux enfants de traverser en toute sécurité le passage piéton devant l’école. Comme il répondait que ce passage ne présentait pas de risque particulier, ils invoquèrent le principe de précaution, insistèrent, trépignèrent. Ils étaient venus en nombre. Aussi, il aurait bien voulu les satisfaire, surtout pendant l’année électorale.

Que faire ? Augmenter les impôts locaux ? Pas durant l’année électorale. Détourner des fonds ? Il réservait cette pratique à son enrichissement personnel. Indécis, il lut une circulaire ministérielle qui venait d’arriver : le gouvernement débloquait, oui, débloquait des crédits pour une nouvelle vague d’emplois aidés, grâce à un énième Très Très Grand Emprunt. Emballez, c’est pesé !

Depuis plusieurs semaines, Kevin, neuf ans, traverse en confiance le passage piéton à la sortie de l’école, grâce à la gentille dame en orange qui arrête les voitures. Il ne regarde même pas avant de traverser : il se sent en sécurité.

Aujourd’hui, la dame n’est pas là. Mais Kevin traverse les yeux fermés, comme d’habitude. Il pleut. La voiture pile.

Demain, l’employé municipal ne creusera pas un trou en vain.
 

  
 

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mardi 27 novembre 2012

Critique : Le grand Môme, d’A.D.G


A.D.G fut, avec Manchette, le chef de file du renouveau du roman noir à la française dans les années 1970 et 1980. Ce courant littéraire est parfois appelé néo-polar. Il est aujourd’hui éteint avec la mort de ses meilleurs porte-parole : Manchette, Jonquet et… A.D.G.

Le grand Môme, paru en 1977 fut adapté à l’écran par Jacques Ertaud en 1985.

Le titre est un hommage ou en tout cas un clin d’œil à l’homonyme de l’auteur, dont le vrai nom est Alain Fournier.

Le personnage principal se fait appeler Machin, car son patronyme officiel est imprononçable. Journaliste alcoolique chargé des sports dans le canard local, le cœur sur la main, il sévit à Blois, petite ville française de province où il se ne passe rien. D’habitude.

Des racketteurs font irruption dans les établissements que notre brave type d’alcoolique hante. Il fréquente le patron d’un bordel clandestin, victime du racket. Quand celui-ci fait intervenir des tueurs de la pègre, Machin tente de retrouver le premier les racketteurs, sans en parler à la police (sinon il n’y aurait pas d’histoire). Il héberge par ailleurs un homme mystérieux qui le fascine au plus haut : on dirait bien le descendant du Grand Meaulnes revenu sur Terre, dont on ne connait pas les motivations. En fait, on ne sait rien de ce garçon, sauf qu’il sait se battre comme un para et qu’il attire les sympathies les plus chaleureuses. Il prend aussi sous son aile une belle jeune femme homicide.

À Blois, Machin journaliste connait tout le monde, forcément, entre son métier et sa passion éthylique. Alors, il tente d’éteindre les flammes. Comme il se révèle très maladroit, et il faut le dire, très con (car les péripéties sont souvent à la limite de la dérision, à prendre au second degré), notre antihéros ne fait que mettre de l’huile sur le feu qui va en consumer plus d’un.

La force du roman réside dans son style unique, truculent, savoureux et vraiment drôle. Les comparaisons et métaphores à hurler de rire, les calembours si bons qu’on croirait des fautes de frappe, les audaces syntaxiques et sémantiques croustillantes, les néologismes savoureux. Le mélange de mots argotiques et soutenus tient du prodige.

A.D.G, virtuose du style, le top du top du roman noir / néo-polar à la française.
 


 
 
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mardi 20 novembre 2012

Critique : La guitare de Bo Diddley (bande dessinée)


Scénariste : Marc Villard
Dessinateur : Chauzy
Éditeur : Casterman
Date de parution : 2009
Genre : bande dessinée noire

Le personnage principal est la guitare mythique de Bo Diddley, la Blue Hawaï. L’engin a été fabriqué à un seul exemplaire et il aurait été utilisé par Clapton. Cette guitare de grande valeur change souvent de propriétaire, au rythme des dons et surtout des vols. Elle porte malheur, semant mort et désolation sur son passage.

L’histoire se passe à Paris et décrit les pérégrinations de nombreux personnages qui se croisent et se recroisent (sauf ceux qui meurent, et il y en a un paquet). L’œuvre brosse un portrait burlesque et sans concession de toute une faune interlope d’exclus et autres marginaux parisiens : dealers, drogués, prostituées, frics ripoux, éducateurs de rue, canailles en tout genre. Vers la fin, on rencontre le vrai Do Diddley. Ce pionnier du rock est un artiste talentueux certes, mais comme beaucoup d’artistes, il a son caractère…

On a dit que ça se passe à Paris. Le lieu renforce l’originalité de l’œuvre et lui procure un charme indéniable. Typiquement les BDs noires dégoulinantes de vitriol se déroulent dans un cadre américain. Là, c’est à deux pas de chez nous pour les lecteurs français !

Les dialogues sont croustillants et réalistes. Par exemple, les injures raciales crues sont légion. Elles seraient déplacées en général, mais dans le contexte précis de l’histoire glauque, elles sont bienvenues car réalistes. Elles sonnent juste. On est ravi que le scénariste ne cède pas à la censure du politiquement correct.

Il s’agit de Marc Villard, un grand nom du néo-polar à la française. Cette BD est tirée de son roman éponyme, lui conférant une profondeur indéniable.

Voici un exemple typique de dialogue entre un homme et sa femme :

— Tu as demandé à ta sœur pour baiser avec nous ? demande l’homme.
— Loïs est une pute, Farid.
— Justement. Je ne m’attacherai pas.

Pour lecteurs avertis.



 

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mardi 13 novembre 2012

L’animalisme ubuesque

       Dans les années 80 déjà, Frédéric Dard, alias San-Antonio, l’auteur le plus lu des Français durant la seconde moitié du XXe siècle, s’en étonnait. Il avait eu le malheur, dans son roman Y a-t-il un Français dans la salle ? d’écrire une scène de torture de chat. Alors qu’il avait dépeint dans d’autres romans de nombreuses scènes de tortures et de tueries d’humains sans déclencher la moindre réaction, il reçut une bordée de lettres d’injures et de menaces à propos de l’animal martyrisé. Nul doute que si ce chat n’avait pas été fictif, Frédéric Dard aurait été assassiné par un vengeur animaliste.

C’est ce qui a failli arriver à Jean Favre, un artiste belge provocateur. Il a réalisé une vidéo de lancer de chat dans les escaliers de la mairie d’Anvers. Certains chats ont mal atterri, car ils ont besoin d’une surface plane pour bien se réceptionner. Malgré ses excuses et bien qu’aucun chat n’ait été blessé, il a été agressé sauvagement (bestialement ?) par sept individus courageux dans le nombre, et a dû être placé sous protection policière.

On pourrait penser que cet animalisme frénétique dérive de l’humanisme si en vogue depuis le XIXe siècle. Bien qu’excessif dans ses réactions, il serait assurément louable si sur la planète, on tentait vraiment de traiter correctement les animaux. Ce qui est sidérant dans cette affaire, c’est le décalage entre d’une part l’indignation pour quelques chats peu endoloris et d’autre part la façon égoïste et cruelle dont on traite les animaux sur l’ensemble de la planète.

Les animaux sauvages, c’est bien connu, se font de plus en rares, exterminés par la croissance de la population humaine. Certaines associations comme le WWF tentent d’enrayer le massacre en proposant des aides matérielles aux hommes pour qu’ils arrêtent de détruire la nature. On voit bien que jamais les humains ne tempèrent leur bien-être volontairement pour faire de la place aux animaux. Bientôt ne resteront que les animaux en captivité dans les zoos, les rats, quelques espèces d’insectes et d’oiseaux. Les souffrances des animaux sauvages sont telles, qu’en proportion du lancer de chat, elles devraient lancer nos sept courageux justiciers animalistes dans une croisade exterminatrice de l’espèce… humaine.

Les animaux de compagnie sont-ils mieux traités ? Beaucoup sont maintenus en captivité, pour le plaisir de leur maître. Les oiseaux et hamsters en cage, par exemple. Mais aussi les chats. Quand ils vivent en étage en immeuble, beaucoup de ces pauvres bêtes ne sortent jamais, de peur de les perdre. Ça ferait tant de peine à leur maître qui ne se demande pas s’il vaut mieux un chat libre dehors ou bien enfermé à vie.

Et les animaux de boucherie ? Un milliard de morts par an en France, tout de même… Il faut bien manger, voyons ! Certes, mais si on avait un peu de compassion, on mangerait peu de viande, à la fois pour des raisons écologiques et animalistes évidentes. Or c’est le contraire qui se produit : n’écoutant que leur bon plaisir, les gens se gavent de plus en plus de viande. Et l’étiquette « élevé en plein air » n’est pas destinée à témoigner d’un animaliste souci des conditions d’élevage souvent effroyables. Elle sert juste à témoigner d’un goût meilleur de la viande. Donc encore pour satisfaire le bien-être égoïste des humains. En comparaison de l’innocent lancer de chat, nos sept courageux justiciers animalistes doivent immédiatement prendre les armes et trucider tous les gros qu’ils croisent ! Combien de centaines de vies animales, le meurtre de chaque gros porc-humain épargnerait-il ? On pourrait aussi calculer combien chacun de nos kilos superflus tue d’animaux…

Qu’ils soient sauvages, de compagnie ou destinés à finir sous les dents de leurs bourreaux, il y a tout à faire pour améliorer le sort des animaux. Monsieur Jean Favre n’est pas leur pire tortionnaire, loin s’en faut…

 

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mercredi 7 novembre 2012

Critique de : Kabbale par Grégory Charlet (bande dessinée)


Gaël est un jeune homme bizarre. Il fréquente une jeune femme à qui il n’ose déclarer sa flamme, malgré les exhortations de son meilleur ami, son miroir. Elle-même joue un jeu assez trouble : elle a déjà un copain, auquel elle ne semble pas tenir particulièrement. Mais Gaël, on l’a dit, est spécial, alors elle hésite, c’est bien naturel. D’autant que Gaël est affublé d’un caractère, disons… difficile qui ne favorise pas l’épanouissement de relations amoureuses sereines.
Notre héros est auteur de bandes dessinées. Il est révolté par ce qu’il perçoit comme les injustices de notre société. Idéaliste et fougueux comme seule la jeunesse en est capable, il veut changer le monde, rien de moins. Et en mieux, bien sûr. Dans ses moments de rêverie, il se voit enfant, en train de parler à un dragon très mystique qui lui demande de croire en lui afin de pouvoir changer le monde.
On ne sait pas si ces visions sont le fruit de son imagination débordante de créatif, ou bien si on est dans un univers fantastique. Ce suspense accroit l’intérêt du lecteur, c’est le but.
Avec son ami, Gaël participe à une manifestation anti-raciste qui dégénère. Il se fait tabasser grave. Alors il est morose, encore plus qu’avant. Un peu déboussolé, on le serait à moins.
Le personnage se révèle ambigu au fil des péripéties. Pacifiste mais capable de grande violence.

Où va cette histoire ? C’est ce que voudrait savoir le lecteur de cette intrigue prenante et déroutante.

Le dessin de type manga en couleur est accrocheur et efficace. Une œuvre originale à découvrir.

 
 

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mercredi 31 octobre 2012

Critique littéraire de : Le petit bleu de la côte Ouest par J.P Manchette


Date de parution : 1976 
Genre : Néo-polar

 Jean Patrick Manchette fut le pionnier français du genre néo-polar dans les années 70. En plus d’écrivain, il exerça une foule de métiers connexes. À la fin de sa vie, il souffrait d’agoraphobie et ne pouvait quasiment plus sortir de chez lui. C’est cette forme de trouble mental plutôt handicapante qui m’a inspiré le personnage de La Mangaka française.

C’est quoi le genre néo-polar ? Selon Wikipédia : « L'ambiance du néo-polar est souvent violente et macabre : il dénonce la société contemporaine, les scandales politiques, affectionne le monde des marginaux et des exclus. Son terrain de prédilection est la ville et plus spécialement l'univers glauque des banlieues, il n'y a pas nécessairement d'enquête, mais la mort y est présente sous une forme souvent dure, œuvre de psychopathes et de tueurs en séries effrayants. »

Le style Manchette déconcerte de prime abord avec ses répétitions et ses tournures bizarres qui ressemblent à des fautes de syntaxe, mais sont, bien sûr, voulues. Des néologismes syntaxiques, en quelque sorte. Au début, ça fait décrocher de l’histoire. Puis on s’habitue et on s’aperçoit que son style ne manque pas de… style. Il a une façon de décrire systématiquement les fringues des personnages qui souvent n’apporte rien (comme de préciser la musique qu’ils écoutent), mais parfois le narrateur en déduit quelque chose sur le caractère du personnage, et alors c’est bon. Manchette aime aussi décrire les faits et gestes prodigieusement anodins des persos, sûrement pour les humaniser et apporter une touche de réalisme : genre, j’y étais, voilà exactement comme ça s’est passé, tous ces détails, je ne peux pas les avoir inventés…

L’intrigue ? Pas réaliste comme toutes les fictions genre thriller et apparenté. Ce n’est pas ce qu’on lui demande. Un cadre rangé conduit un blessé à l’hôpital. Alors sa vie bascule : deux tueurs tentent de le supprimer. Il ne sait pas pourquoi, le pauvre bougre. Ça chauffe, il se sauve ; ainsi débute son errance sanglante.

Durant ses pérégrinations, le personnage principal s’interroge sur sa vie. En effet, au lieu d’aller à la police, il a tout plaqué : femme, enfants, boulot… Que souhaite-t-il faire de sa vie ? Et que peut-il ?

Globalement, ce court roman a un style unique, des personnages attachants, une intrigue bondissante. C’est du bon. Du très bon. Il est considéré comme le meilleur roman de Manchette, avec La position du tireur couché.

 

 

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jeudi 25 octobre 2012

Nouvelle courte : La romancière boulimique


Elle publia son premier roman à vingt ans, aussitôt propulsé en tête des ventes françaises. Son second roman devint un best-seller mondial. À trente ans, elle était la romancière la plus vendue du monde et de tous les temps. Ses histoires, racontées avec des mots simples, possédaient le don de toucher l’âme de tous : des enfants aux vieillards, de l’Amérique à l’Asie. Ses œuvres offraient plusieurs niveaux de lecture, en fonction de la sensibilité du lecteur. Elle écrivait des œuvres tout public et tout média : ses récits s’adaptaient à merveille en films, bandes dessinées, séries animées et pièces de théâtre. Cette multiplication des supports accroissait d’autant sa notoriété et ses ventes.

Toutefois, elle n’avait pas la plume facile. Elle passait de longues heures à écrire devant son PC chaque jour. Et quand elle n’écrivait pas, elle lisait. Pour l’inspiration, pour la recherche, pour disposer du bon schéma mental et se rassurer.

Ces heures de labeur l’épuisaient. Alors elle fumait, car la nicotine est un stimulant cérébral ; elle buvait, car l’alcool retarde la fatigue. De plus, elle grossissait car elle était sédentaire à l’extrême, toujours assise à sa table de travail, la seule source d’inspiration qui la visitait.

À trente-cinq ans, son hygiène de vie exécrable engendra un cancer des voies digestives. Le grand cancérologue qui la sauva fut consterné : à peine convalescente, encore à l’hôpital, elle reprenait déjà ses mauvaises habitudes.

Il tenta de la raisonner ; en vain. Elle courait à sa perte. Il lui conseilla de changer de cadre de vie, de rompre avec ses habitudes, d’arrêter d’écrire même, car, affirmait-il, une belle histoire ne vaut pas une vie ; sans succès. Grand admirateur de l’écrivain et tombé très amoureux de la femme après quelques mois à la soigner, le professeur l’enleva et la retint captive dans son manoir isolé au cœur des montagnes suisses. Le public croyait qu’elle avait disparu volontairement pour se ressourcer.

Tabac et alcool lui furent interdits. Elle n’avait le droit d’écrire qu’après avoir fait une heure d’exercice quotidien. Cette nouvelle hygiène de vie améliora sa santé physique. Par contre, la romancière manquait de stimulants et ses textes s’en ressentaient : son roman en cours n’avançait pas, son moral miné minait par effet domino son inspiration.

Elle essaya d’attendrir son geôlier pétri de bonnes intentions. Elle plaida qu’il était vain d’aider l’humanité malgré elle ; sans succès. Elle voulut monnayer ses faveurs contre un peu de substances psychoactives ; le chaste médecin se montra incorruptible, malgré son désir ardent. Elle tenta de s’évader par deux fois ; échec. Alors, la plus adulée et la plus riche des romancières, mince, poumons aérés et foie régénéré, se pendit dans sa cellule.
 

 

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mercredi 17 octobre 2012

Critique de Weëna (bande dessinée)


Scénario : Corbeyran
Dessin et couleurs : Alice Picard
Éditeur : Delcourt
Date de parution : 2003 pour le volume 1
Genre : Bande dessinée de Fantasy

 L’univers de la Fantasy, c’est la magie omniprésente, des humains affublés d’oreilles pointues, des animaux bizarres comme des mutants, qu’on dit fantastiques, une civilisation oscillant entre l’Âge de Fer et le Moyen Âge. Très classique, jusque-là.

L’histoire est dramatique : quand le bébé nommé Weëna nait, une prophétesse (on ne sait pas si c’est une sorcière ou un Esprit, mais elle est puissante, rancunière et pas commode du tout) affirme que si elle vit, le village dont son père est chef sera exterminé et des tonnes de malheurs s’ensuivront. Le papa envoie paître le rapace de mauvais augure, il aime son bébé et refuse la prophétie. Malheur à lui ! Malheur aux siens !

Mais pas tout de suite. L’enfance et l’adolescence de Weëna sont heureuses, elle s’éprend d’un berger, qui lui ne pense qu’à devenir guerrier, car il en a marre de garder ses bêtes bizarres dans la montagne. Il est en fait aussi bizarre que les herbivores qu’il garde : il n’est pas obsédé sexuel, comme beaucoup de jeunes hommes. Son trip, c’est de tuer d’autres hommes, mais des méchants bien sûr, des barbares qui menacent le royaume. La jeune fille envie sa liberté et sa solitude, mais lui s’ennuie et veut changer de vie, car on désire souvent ce qu’on n’a pas, alors que le bonheur de l’amour lui tend les bras, là, tout près. Par les Esprits ! Quel nigaud !

Weëna, qui est très attirante malgré ses cheveux gris (couleur cendre froide, d’après les dialogues) lui fait des avances qui tombent à l’eau. Alors elle l’embrasse par surprise, parce qu’elle a un caractère somme toute très masculin : énergique, rebelle, dragueur, presque agressif. Bon, quand il découvre le goût du baiser, le pâtre niais en redemande. Hélas ! C’est à ce moment que le super-méchant débarque… Il nous bousille la romance avec la dernière énergie…

Souffle épique, romance pas mièvre, tragédie, action violente, conflits et tensions de partout : l’histoire est prenante.

Le dessin est bon, mais pas transcendant. On a droit à la couleur, c’est quand même mieux qu’un manga, sur ce point au moins. Parce que si le dessin n’est pas extraordinaire, la couleur rattrape le coup.

Une très bonne BD globalement. Essayez le tome 1, vous verrez !
 


 

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mardi 9 octobre 2012

Critique : Le roi Léo par Osamu Tezuka (manga)


Éditeur : Glénat pour l’édition française
Titre original : Janguru Taite (L’empereur de la jungle)
Date de parution : 1950 pour la version originale (premier volume)
Genre : manga d’aventures animalières fantaisistes 

De son vivant, Osamu Tezuka était surnommé le dieu des mangas par ses compatriotes. Au début de sa carrière, il fut inspiré par les œuvres de Walt Disney, notamment Bambi dont il aurait vu le film 80 fois ! En retour, il inspira Le roi Lion. La boucle était bouclée.

L’histoire ? Au fin fond de l’Afrique, dans la jungle où règne la loi du même nom, un lion nommé Pandja, très fort, mais surtout très intelligent, lutte contre l’avancée dévastatrice des hommes blancs et noirs. Longtemps, il les tient en échec. Un jour, il tombe amoureux d’une lionne et les diaboliques hommes en profitent pour le tuer. La lionne a un bébé, Léo, qui parvient à s’échapper de captivité. Après bien des péripéties, il revient sur le territoire de son père. Hélas ! Les hommes lui ont inculqué d’autres valeurs que celles des animaux sauvages. Il doit mener un combat à la fois intérieur et contre les méchants humains tout en préservant les humains qui l’ont aidé. Un défi grandiose et titanesque l’attend.

Parmi l’œuvre immense et marquante du père des mangas modernes, Le roi Léo fait figure de classique voire de chef-d’œuvre. À sa parution en 1950, c’était d’une nouveauté et d’une fraîcheur renversante. Aujourd’hui encore, l’œuvre est saisissante. Combien de bandes dessinées de 1950 ont réussi cet exploit ?

L’humour y est omniprésent par le dessin presque animé comme par le texte. Les péripéties sont haletantes. Les personnages sont habilement ambivalents, comme dans toute l’œuvre de Tezuka. Le chasseur qui a tué Pandja, par exemple, est un ancien bourreau nazi. Mais il se révèle aussi un père de famille modèle et ses scrupules moraux l’honorent en maintes circonstances.

Comme beaucoup de grandes fictions, l’œuvre recèle plusieurs niveaux de lecture. Elle cible bien sûr les enfants. Toutefois sa profondeur en fait aussi une satire sociale voire un conte philosophique qui régaleront les adultes.

Trop peu connue des adultes français rebutés à juste titre par certains titres de mangas pour la jeunesse, l’œuvre de Tezuka mérite vraiment d’être découverte.


 
 

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mardi 2 octobre 2012

Critique : Pacifico, de Comte Kerkadek


Pacifico est le premier roman du Comte Kerkadek publié au format numérique par les dynamiques Éditions de Londres.

L’histoire loufoque est une suite de péripéties rocambolesques et surréalistes qui, en comparaison, catapulte les pieds nickelés dans la catégorie des œuvres d’introspection psychologique. Deux jeunes Français exilés aux États-Unis (car la recherche d’emploi en Royaume de France se situait à mi-chemin entre la flûte de Pan station Glacière et la mendicité) travaillent dans une chaine de fast-food. Or il vient à leurs oreilles que le fondateur de cette chaine, un nain qui a disparu du jour au lendemain, détiendrait un manuscrit ésotérique qui explique le sens de la vie.

Pacifico est un roman drôlement noir, c’est-à-dire bourré d’humour (noir) et en même temps empreint d’un pessimisme nihiliste (le pire est à crainte quant au sens de la vie), certes réaliste mais dévorant. Pour paraphraser un chanteur, l’auteur joue de la dérision comme d’un fusil de précision, voire parfois d’un lance-flamme qui ne grille pas que les poulets du fast-food.

Voici une très juste description de la France, pays d’origine du Comte, qui illustre le sens de la métaphore de l’auteur :

Notre République aux institutions trop grandes pour son corps, trop étriquées pour son âme, une sorte de pays médiocre passé au régime Weight Watchers de l’Histoire mais sans un sou vaillant pour refaire sa garde-robe oubliée sur des cintres comme des libertés à des crocs de boucher.

L’Amérique, terre d’aventure de nos antihéros, n’est pas en reste :

La bouffe américaine était à l’image de sa classe moyenne : copieuse, gueularde et sans imagination. Elle était égalitaire, économique, une bouffe rapide et efficace, sans préambules. Une bouffe pornographique.

Le récit fleure bon les idées libertaires :

Le dossard socialiste, c’était la meilleure invention de la bourgeoisie pour ne rien changer à une société figée.

— Tous perpétuent la même oppression, dit Léo, Bakounine appelle cela « la fiction liberticide du bien public représenté par l’État », Hölderlin parle du pêché qui consiste à faire de l’État une école des mœurs, et déplore que l’homme ait fait de l’État un enfer, à vouloir en faire son paradis.

Mais comme disait Céline, les idées, c’est pas le plus important. On en trouve des tonnes dans l’Encyclopédie. Ce qui compte, c’est le style. Or notre aristocrate fait preuve dans ce domaine d’une facilité qui tutoie la virtuosité. Il passe avec fluidité de l’élan lyrique à la description poétique puis enchaine par une logorrhée contrôlée. Contrôlée, car contrairement au jeune Spiderman qui découvre ses balbutiants superpouvoirs, notre noble superhéros de la plume acerbe sait tisser la toile capable de retenir le lecteur. Exemple :

On croisa des individus d’un autre âge, enfants couverts de brûlures, cherchant l’éther dans des sacs, putains décharnées, clochards analphabètes, des paquets de nerfs et de sang bercés par une bise tuberculeuse, tourbillonnant dans un abysse noir à la rencontre des monstres oubliés de la création, des créatures macrocéphales au sang ammoniaqué, ramenés à la vie par des cauchemars nuit de poudre blanche.

On se régale à la lecture de cette œuvre originale, burlesque et mélancolique à la fois, sublimée par un style éblouissant.

Allez, je ne résiste pas à une petite dernière :

J’ai connu une fille qui était si courte sur pattes qu’elle faisait les pompiers sur une échelle.

 

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mardi 25 septembre 2012

Sketch : L’hommage posthume à Patrick R.


Patrick représentait la quintessence de l’autodidacte à la française. Quand un self-made-man à l’américaine entre dans une firme sans diplômes, il en devient le dirigeant après vingt ans de dur et brillant labeur. Patrick lui aussi entra dans l’entreprise sans diplômes, mais se révéla plus foudroyant qu’un Américain : en cinq ans à peine, il prit la succession du patron… son papa Paul.

Patrick et son papa se sont battus toute leur vie pour défendre les traditions françaises les plus ancestrales. De toutes leurs forces, ils ont lutté contre le déclin de la consommation d’alcool en France. Aujourd’hui le peuple français mange de plus en plus, mais boit moins, hélas ! S’il se trouvait encore parmi nous, Patrick dirait que nous sommes devenus comme des légumes bourrés… d’engrais, mais manquant d’arrosage. Toute sa vie, il a œuvré pour faire connaitre aux jeunes générations les joies de l’ivresse, l’insouciance de l’éthylisme et les paradis naturels des produits du terroir fabriqués avec amour, avec la passion du missionnaire prosélyte. En effet, Patrick était un prêtre de la religion moderne, la philanthropie : ne proposait-il pas aux pauvres, tel un Saint-Vincent-de-Paul moderne, le seul paradis à la portée des bourses indigentes ? Oui ! Patrick s’est montré solidaire des plus démunis !

De plus, son humanisme désintéressé débordait des frontières hexagonales : dans un élan visionnaire prophétique de profits, il a internationalisé son sacerdoce, baptisé généreusement de son goupillon calibre 45 % anisé, au nom de son père, de lui-même et du spiritueux tant de peuples qui souffraient de soif à l’heure du réchauffement climatique et de l’ennui angoissé au temps du chômage.

Alors, bien sûr, Patrick restait un être humain avec ses défauts. Confessons-le sans ambages : c’était un salaud de riche. Toutefois, il a toujours payé ses impôts en France, ou du moins les réinvestissait-il aussitôt dans son entreprise. Et puis il a créé et, fait rarissime, maintenu des emplois locaux. Car l’alcool, comme les armes, constitue un produit stratégique que la France, au nom de sa souveraineté nationale et en vertu de ses ingérences internationales, ne peut pas se permettre de sous-traiter à l’étranger. Surtout, Patrick sacrifia son corps à son entreprise, en goûtant lui-même les produits à la sortie de l’usine : honorons sa conscience professionnelle et son souci de contrôle-qualité.

Et puis, Patrick possédait une profonde conscience sociale, un civisme irréprochable. Alors que les caisses de retraite prennent l’eau de toutes parts parce que les vieux refusent de mourir, Patrick a donné l’exemple en nous quittant juste avant la retraite, pour sauver les jeunes générations de la dette écrasante qu’il leur faudra oublier en buvant et surtout éponger à la sueur du front, si possible, de la génération suivante. Il a tiré sa révérence après avoir accumulé le double d’annuités de travail d’un salaud de privilégié, ratpiste fumiste ou député sans valeur ajoutée.

Bill Gates, un autre philanthrope, donne un peu de son argent. Patrick, Christ moderne, donna son corps tout entier en sacrifice à l’humanité !
 

 

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mardi 18 septembre 2012

Critique : Trente jours de nuit (bande dessinée)


Scénariste : Steve Niles
Dessinateur : Ben Templesmith
Éditeur : Delcourt
Date de parution : 2003 pour la version originale anglaise
Genre : horror survival, horreur / épouvante
 

Il existe deux types principaux d’histoires de morts-vivants : les zombies depuis 1968, année du film culte La nuit des morts-vivants et les vampires depuis 1897, année du roman mythique Dracula de Bram Stoker.

Trente jours de nuit traite du second cas. Au fin fond de l’Alaska, dans un petit village isolé, des vampires attaquent. La nuit arctique y dure un mois, ce qui fait bien les affaires des vampires qui craignent la lumière du soleil.

Alors ils massacrent et se gavent de sang après avoir coupé les communications entre le village et le reste du monde. Seule une poignée de villageois se terre. Arriveront-ils à trouver un stratagème pour survivre ? L’amour entre un homme et une femme peut-il les sauver ?

Thème classique, mais histoire prenante. Le dessin paraît particulier au premier abord. Il est blur, flouté. Les couleurs prédominantes sont le rouge du sang et le gris de la nuit enneigée arctique. On se rend vite compte que ce dessin contribue grandement à l’ambiance oppressante de l’histoire. Un peu comme une peinture artistique : plutôt que d’imiter la réalité, il la transcende pour faire naître en nous des émotions.

Une excellente bande dessinée de vampires, bourrée de bonnes idées scénaristiques, pour lecteurs assez avertis (16 ans à mon avis).

Un film américain de David Slade a adapté cette bande dessinée en 2007.



 

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mardi 11 septembre 2012

Nouvelle courte : Le Maître des Ours


Osamu avait huit ans quand sa mère mourut dans les bombardements au Japon, en 1943. Depuis, sa mamie s’occupait de lui. Un an après, son père était revenu du front, en permission. Osamu rayonnait de joie ! Il croyait que son papa resterait toujours. Quand celui-ci avait annoncé qu’il devait repartir, Osamu avait beaucoup pleuré. À l’école, l’instructeur militaire avait expliqué qu’il fallait combattre l’ennemi américain de toutes ses forces. C’est ce qu’Osamu avait fait. Il avait perdu toutes ses forces quand sa maman était morte. Maintenant, il n’en avait plus, des forces, pour laisser mourir son papa. Osamu avait décidé que celui-ci ne retournerait pas à la guerre. Il aimait le Japon, il était patriote comme disait l’instructeur, mais il aimait son père encore plus.

En ces temps troublés, on ne pouvait pas circuler au Japon sans papiers. Osamu était très malin : il vola les papiers de son papa, laissa à la place un petit mot pour le rassurer, et s’enfuit dans la grande forêt. Il ne reviendrait au village qu’à la fin de la guerre. Il craignait de vivre seul dans la forêt, mais l’idée de perdre son papa l’effrayait encore plus.

Les villageois le cherchèrent. En vain : il s’était dissimulé dans les hauteurs d’un grand arbre.

Il avait peur, la nuit surtout. Il faillit rentrer au village après avoir enterré les papiers sanguinaires, quand il se lia d’amitié avec un autre habitant de la forêt : une ourse brune qu’il avait délivrée d’un piège mis en place par des chasseurs. Souvent, il jouait avec elle. Il avait même réussi à force de patience, comme seuls les enfants en sont capables, à lui faire comprendre une trentaine de mots, car les ours sont très intelligents. Quand la nuit était froide, il dormait même lové dans la fourrure de l’animal.

Osamu connaissait les plantes comestibles de la forêt, comme tous les villageois, et, à sa surprise, mangeait mieux en forêt qu’à la maison où de terribles rationnements sévissaient. Il avait toute la journée pour cueillir, alors qu’au village il fallait aller à l’école et suivre les cours d’instruction militaire si ennuyeux.

Un jour, grâce à son odorat aiguisé, l’ourse l’informa de l’arrivée d’intrus sur leur territoire. Ils suivirent la piste et se hâtèrent en entendant des cris : deux soldats étaient en train de rouer de coups un civil.

Le cœur tremblant, Osamu reconnut son père. Il n’eut qu’un mot à dire, et l’ourse se jeta par surprise sur les deux soldats. Elle les tua, car il le fallait.

— N’aie pas peur, papa ! cria Osamu. L’ourse est mon amie.

— Osamu, que… que fais-tu là ?

Le garçon ressentait tant de bonheur de revoir son papa ! Il se jeta dans ses bras. L’ourse les regardait comme si elle comprenait leur bonheur.

— Tu es venu à ma recherche ? demanda Osamu.

— Non, j’ai déserté. Je me cachais dans la forêt quand ces deux soldats m’ont rattrapé.

Osamu lui raconta sa fugue et lui rendit ses papiers. Son père déclara :

— Nous resterons tous les deux dans la grande forêt tant que la guerre durera.

— Tous les trois, corrigea l’enfant.

C’est ainsi que naquit la légende d’Osamu, le Maître des Ours appelé aussi l’Enfant Roi de la Forêt, un héros mythique très connu au Japon et même en Chine.

 

En hommage à l’enfant que fut Osamu Tezuka.

 

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mardi 4 septembre 2012

Critique de : Un voyage chez les Aïnous


Titre : Un voyage chez les Aïnous
Sous-titre : Hokkaïdo - 1938
Auteurs : Arlette et André Leroi-Gourhan
Date de parution : 1988
      Genre : essai d’ethnologie / anthropologie
 
Les Aïnous sont les premiers habitants du Nord du Japon, arrivés à la préhistoire bien avant les peuples mongoloïdes. On ne sait pas exactement d’où ils viennent. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne ressemblent pas aux Japonais. Ils sont de type caucasien : peau pâle, yeux non bridés, système pileux très développé.

Quand le couple d’anthropologues belges Leroi-Gourhan va les étudier en 1938 sur la grande île Hokkaïdo, ils mènent encore la vie de leurs ancêtres, même s’ils importent quelques produits japonais comme le saké, les pointes de flèche en métal ou pour les plus riches, le fusil.

Sur Hokkaïdo, gibier et poisson abondent. L’hiver se fait particulièrement rigoureux, l’océan allant jusqu’à glacer près des côtes. Les sédentaires Aïnous sont regroupés en villages de huttes construites en paille, roseau et bois. Ils ne cultivent pas la terre.

Comme tous les peuples aborigènes, ils opèrent une nette division du travail entre sexes. Les femmes pratiquent la cueillette, s’occupent des enfants et tissent. Les hommes chassent, pêchent et travaillent le bois qui est leur matériau de base pour tous les objets. Suivant la saison, ils chassent l’ours à l’arc avec des flèches empoisonnées à l’aconit, le cerf, pêchent le saumon, le phoque, et jusqu’au XIXe siècle, ils pêchaient même la baleine au harpon sur de frêles barques en bois.

Ils pratiquent la religion animiste (qui est encore de nos jours la quatrième au monde). Ils croient que toutes les manifestations de la nature sont animées par un esprit. Ça leur fait beaucoup d’esprits à honorer et surtout à ne pas fâcher. Comme tous ceux qui croient en l’au-delà, ils sont superstitieux, souffrent des contraintes imposées par les rites et se consolent en espérant la vie après la mort. Il n’y a ni prêtre ni chaman, aucun guide spirituel, car la spiritualité est suffisamment forte en eux.

Ils pratiquent (de moins en moins) la fête de l’ours. Quand ils chassent les ours adultes, ils ramènent au village le bébé. Il est alors élevé dans une famille, allaité par la mère comme le bébé humain ! Quand il devient trop fort, on le met en cage. Puis on organise une grande fête qui dure trois jours, pendant laquelle on invite les parents d’autres villages, on boit force saké, on met l’ours à mort au cours d’une cérémonie religieuse et on le mange.

Le livre est bien écrit, sans longueurs ni jargon abscons (contrairement à beaucoup de livres sur la préhistoire) et remarquablement illustré par des photos et des dessins. On déplore juste quelques sujets non traités, comme la régulation des crimes.

Les Japonais ont essayé d’introduire chez les Aïnous l’agriculture, et plus généralement le mode de vie civilisé. Mais les Aïnous préféraient rester libres et pauvres, plutôt que d’obtenir le confort au prix des contraintes aliénantes de la civilisation.


Famille Aïnou, 1904
Chasse à l'ours

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