mercredi 26 décembre 2012

SAS, de Gérard de Villiers : les raisons du succès


SAS ou la quintessence du roman de gare. À la belle époque, dans les années 70-80, il s’en vendait selon la légende 200 000 exemplaires par épisode, quatre épisodes par an. Seul San-Antonio faisait mieux.

SAS, Son Altesse Sérénissime, le prince Malko Linge est une barbouze autrichienne hors cadre de la CIA. Ses missions chics et chocs mêlent action violente, espionnage, géopolitique basique et érotisme programmé.

Qu’est-ce qui faisait le succès de la série, souvent imitée, jamais égalée ? Une réussite en apparence étrange dans la mesure où chaque épisode est formaté à l’identique.

Le style ? « Insignifiant, insignifiant… » trancherait Céline qui qualifiait ainsi celui de Montherlant. D’autant qu’il est régulièrement grevé par un sponsoring grotesque. Malko consulte sa montre de telle marque, les magnétoscopes utilisés par tous les personnages sont de telle marque, etc. J’imagine l’auteur en train de compter le nombre d’apparitions du mot de chaque marque prévu par son contrat. Là où c’est carrément ridicule, c’est quand, dans une suite ultra-huppée, il se sert un whisky de la marque sponsorisée qui s’avère vraiment bas de gamme. Boit-on du gros rouge chez un grand caviste ?

L’érotisme mécanico-torride ? Il confine au pastiche. Toutes les femmes que Malko croise sont jeunes, très belles et terriblement sensuelles, sans enfant, prennent la pilule et n’ont jamais leurs règles. Surtout, elles ont curieusement toutes envie de lui même si elles sont en couple. Un seul regard de ses yeux or, et elles se mettent en position. Une forme d’épidémie de nymphomanie sélective.

L’analyse géopolitique ? L’auteur colle à l’actualité, très bien. En apparence il nous dévoile des informations cachées au grand public. En fait, il s’agit juste de points de vue classiques et paranoïaques, genre l’impérialisme soviétique pendant les années 80, alors que les pauvres gars se débattaient pour éviter la faillite, un peu comme la France des années 2010, finalement…

L’exotisme et la précision documentaire ? Chaque épisode se déroule dans un pays différent (jamais la France à ma connaissance). Ce dépaysement contribue au succès, d’autant que Gérard de Villiers parvient bien à faire ressortir une certaine ambiance de la ville dans laquelle l’action a lieu. Pour mieux immerger le lecteur, il cite souvent les rues par lesquelles les personnages cheminent. Sympa au début, mais finalement vite lourdingue : on se fiche que Malko emprunte Baboon Street, très encombrée puis bifurque à droite sur Dream Avenue, et là le trafic devient plus fluide…

Alors quoi ? Eh bien l’essentiel des ingrédients qui font un bon roman sont présents. La psychologie des personnages tient la route et Gérard de Villiers réussit souvent à éviter le manichéisme. Surtout, le plus important dans un roman comme dirait Stephen King, c’est l’histoire. Or l’intrigue est bien menée : suspense, rebondissements, enquêtes d’espionnage… Et puis, la série offre un plus indéniable : on n’est jamais sûr du happy-end. Parfois, SAS foire complètement sa mission et ça, c’est réaliste !



  

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mardi 18 décembre 2012

Critique : Mémoire en cage, de Thierry Jonquet


Date de parution : 1982
Genre : Néo-polar

Thierry Jonquet fut un des grands romanciers du mouvement néo-polar français, dont le chef de file était Jean-Patrick Manchette. Mémoire en cage est son premier roman publié.

Ce court roman nerveux se passe dans le secteur médical, un monde que connait bien l’auteur pour y avoir travaillé. L’histoire est bien menée, prenante et très sordide : tous les personnages ou presque sont des salopards répugnants. L’histoire est effroyablement glauque, à réserver aux adultes endurcis.

Le procédé narratif est original : certaines scènes sont écrites à la troisième personne tandis que d’autres sont racontées par les personnages. Il y a donc de nombreux narrateurs, technique artificielle mais prenante.

Le style de l’auteur est à l’image du procédé narratif : percutant et assez original.

Exemple, l’inspecteur de police veut poser une question indiscrète à Isabelle :

Isabelle a eu un geste bref et impérieux de la main pour signifier peu importe, posez, posez, nous verrons ensuite.

J’aime bien cette mise en scène parlante d’un simple geste que le narrateur interprète comme une réplique entière.

L’histoire ? Dans un centre de soins, une ado gravement handicapée physiquement voue une haine farouche à l’un des médecins. Elle se fait passer pour débile mentale alors qu’elle a toute sa tête. Que mijote-t-elle ? Et ce jeune stagiaire obsédé sexuel, qu’est-ce qui le tourmente ? Le docteur n’a pas l’air net non plus. Personne n’est net, d’ailleurs. Il y a des cadavres dans les placards et leur odeur est immonde. Préparez-vous à gerber…

En conclusion, Mémoire en cage est un court roman punchy et aussi noir que l’âme humaine peut l’être.

 

 
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mercredi 12 décembre 2012

Critique : Quartier lointain (manga), de Jirô Taniguchi


Éditeur : Casterman pour la version française

Date de parution : 1998

La collection Écritures de Casterman propose souvent des mangas de grande qualité.

Il a 48 ans, un peu alcoolo, assez usé par le boulot et la platitude de la vie quotidienne, comme tant d’autres. Sa mère est morte il y a 20 ans et son père a disparu quand il en avait 14. Soudain, coup de théâtre dans sa routine sclérosante, il se retrouve propulsé dans le passé, à l’âge de 14 ans, dans sa famille japonaise en 1964.

Au début, bien sûr, il est abasourdi. Ensuite, il est ravi : il retrouve le corps de sa jeunesse, avec sa conscience et son expérience d’adulte. Son entourage le trouve changé, forcément. Notre personnage principal les déroute, mais aussi les fascine par sa maturité. Puis vient le temps du doute : il a peur de changer le cours des événements puisqu’il se comporte différemment, un dilemme classique des voyages dans le temps. Paradoxalement, il voudrait bien modifier un élément-clé de sa vie : empêcher son père de partir du jour au lendemain sans donner d’explications ni laisser de traces.

Le thème du voyage dans le temps est archi rebattu, mais inépuisable. Ce qui compte, c’est qu’il soit traité avec finesse et talent. C’est le cas ici. Le personnage principal nous invite à des réflexions philosophiques sur la jeunesse, la façon dont elle voit les adultes et vice-versa. Car il se sent à la fois jeune et vieux.

Les personnages sont attachants et leur psychologie tient la route. L’intrigue est prenante.

Le dessin est magnifique. Très fin, surtout pour un manga dont les stéréotypes et les canons donnent en général un aspect certes vivant et énergique, mais produisent un dessin bâclé. Ce n’est pas le cas ici. Les paysages sont représentés avec précision et réalisme, les personnages sont bien expressifs, de visage comme de corps. Bref, c’est du beau dessin artistique.

Quartier lointain se raconte en deux volumes. Je ne dévoilerai pas ici l’intrigue de la suite pour ne pas gâcher le suspense aux futurs lecteurs du premier volume. Il suffit de dire que la seconde partie révèle une histoire incroyablement profonde, dramatique (carrément triste, mais réaliste), touchante voire bouleversante, et pleine de rebondissements à la fois plausibles et étonnants.

L’ensemble donne un manga touchant et profond, un chef-d’œuvre : le mot ne parait pas trop fort. Un roman graphique philosophique et d’une grande psychologie.



 
 
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mercredi 5 décembre 2012

Le maire et l’enfant, par Lordius


D’après une histoire vraie
 
Plus de budget ! Le maire avait tout dépensé, fidèle à la doctrine des emplois assistés. Il avait gaspillé des fortunes en eau potable pour laver, relaver, délaver les trottoirs afin de secouer l’oisiveté de ses cohortes pléthoriques de fonctionnaires municipaux. Il avait fait installer des feux rouges à chaque coin de ruelle. Par contre, comme il n’était pas sot, il n’avait pas augmenté le nombre de policiers municipaux destinés à mettre des PV aux voitures mal garées. Surtout pas pendant l’année électorale !

Au fond de lui, le maire sentait bien que cette politique passéiste conduisait la France vers le sud, vers la Grèce. Keynes avait affirmé qu’il valait mieux payer un chômeur à creuser un trou et le reboucher que de ne rien faire. Très juste quand la dette publique le permet. Or on la creusait, elle aussi, sans jamais la reboucher. On essayait juste de la creuser un peu moins vite, on appelait ça les efforts budgétaires. Alors forcément le coût du travail augmentait pour résorber les déficits, donc le chômage explosait. Et de nouveaux trous apparaissaient.

Soudain, le maire eut une idée inouïe chez un élu : et si la plupart des mesures que les politiciens prenaient n’allaient pas justement à l’encontre de l’effet recherché ? Vite, il chassa cette pensée audacieuse et déprimante. Le maire n’était pas sot, certes, mais comme ses collègues politiciens, il n’aimait pas l’innovation. À la manière des Égyptiens Anciens, grande civilisation qui déclina parce qu’elle perpétuait les recettes du passé qui ne s’appliquaient plus au temps présent.

Au cours d’une réunion de quartier, il avait été pris à partie par des parents d’élèves qui exigeaient un auxiliaire de circulation pour permettre aux enfants de traverser en toute sécurité le passage piéton devant l’école. Comme il répondait que ce passage ne présentait pas de risque particulier, ils invoquèrent le principe de précaution, insistèrent, trépignèrent. Ils étaient venus en nombre. Aussi, il aurait bien voulu les satisfaire, surtout pendant l’année électorale.

Que faire ? Augmenter les impôts locaux ? Pas durant l’année électorale. Détourner des fonds ? Il réservait cette pratique à son enrichissement personnel. Indécis, il lut une circulaire ministérielle qui venait d’arriver : le gouvernement débloquait, oui, débloquait des crédits pour une nouvelle vague d’emplois aidés, grâce à un énième Très Très Grand Emprunt. Emballez, c’est pesé !

Depuis plusieurs semaines, Kevin, neuf ans, traverse en confiance le passage piéton à la sortie de l’école, grâce à la gentille dame en orange qui arrête les voitures. Il ne regarde même pas avant de traverser : il se sent en sécurité.

Aujourd’hui, la dame n’est pas là. Mais Kevin traverse les yeux fermés, comme d’habitude. Il pleut. La voiture pile.

Demain, l’employé municipal ne creusera pas un trou en vain.
 

  
 

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