mardi 27 novembre 2012

Critique : Le grand Môme, d’A.D.G


A.D.G fut, avec Manchette, le chef de file du renouveau du roman noir à la française dans les années 1970 et 1980. Ce courant littéraire est parfois appelé néo-polar. Il est aujourd’hui éteint avec la mort de ses meilleurs porte-parole : Manchette, Jonquet et… A.D.G.

Le grand Môme, paru en 1977 fut adapté à l’écran par Jacques Ertaud en 1985.

Le titre est un hommage ou en tout cas un clin d’œil à l’homonyme de l’auteur, dont le vrai nom est Alain Fournier.

Le personnage principal se fait appeler Machin, car son patronyme officiel est imprononçable. Journaliste alcoolique chargé des sports dans le canard local, le cœur sur la main, il sévit à Blois, petite ville française de province où il se ne passe rien. D’habitude.

Des racketteurs font irruption dans les établissements que notre brave type d’alcoolique hante. Il fréquente le patron d’un bordel clandestin, victime du racket. Quand celui-ci fait intervenir des tueurs de la pègre, Machin tente de retrouver le premier les racketteurs, sans en parler à la police (sinon il n’y aurait pas d’histoire). Il héberge par ailleurs un homme mystérieux qui le fascine au plus haut : on dirait bien le descendant du Grand Meaulnes revenu sur Terre, dont on ne connait pas les motivations. En fait, on ne sait rien de ce garçon, sauf qu’il sait se battre comme un para et qu’il attire les sympathies les plus chaleureuses. Il prend aussi sous son aile une belle jeune femme homicide.

À Blois, Machin journaliste connait tout le monde, forcément, entre son métier et sa passion éthylique. Alors, il tente d’éteindre les flammes. Comme il se révèle très maladroit, et il faut le dire, très con (car les péripéties sont souvent à la limite de la dérision, à prendre au second degré), notre antihéros ne fait que mettre de l’huile sur le feu qui va en consumer plus d’un.

La force du roman réside dans son style unique, truculent, savoureux et vraiment drôle. Les comparaisons et métaphores à hurler de rire, les calembours si bons qu’on croirait des fautes de frappe, les audaces syntaxiques et sémantiques croustillantes, les néologismes savoureux. Le mélange de mots argotiques et soutenus tient du prodige.

A.D.G, virtuose du style, le top du top du roman noir / néo-polar à la française.
 


 
 
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mardi 20 novembre 2012

Critique : La guitare de Bo Diddley (bande dessinée)


Scénariste : Marc Villard
Dessinateur : Chauzy
Éditeur : Casterman
Date de parution : 2009
Genre : bande dessinée noire

Le personnage principal est la guitare mythique de Bo Diddley, la Blue Hawaï. L’engin a été fabriqué à un seul exemplaire et il aurait été utilisé par Clapton. Cette guitare de grande valeur change souvent de propriétaire, au rythme des dons et surtout des vols. Elle porte malheur, semant mort et désolation sur son passage.

L’histoire se passe à Paris et décrit les pérégrinations de nombreux personnages qui se croisent et se recroisent (sauf ceux qui meurent, et il y en a un paquet). L’œuvre brosse un portrait burlesque et sans concession de toute une faune interlope d’exclus et autres marginaux parisiens : dealers, drogués, prostituées, frics ripoux, éducateurs de rue, canailles en tout genre. Vers la fin, on rencontre le vrai Do Diddley. Ce pionnier du rock est un artiste talentueux certes, mais comme beaucoup d’artistes, il a son caractère…

On a dit que ça se passe à Paris. Le lieu renforce l’originalité de l’œuvre et lui procure un charme indéniable. Typiquement les BDs noires dégoulinantes de vitriol se déroulent dans un cadre américain. Là, c’est à deux pas de chez nous pour les lecteurs français !

Les dialogues sont croustillants et réalistes. Par exemple, les injures raciales crues sont légion. Elles seraient déplacées en général, mais dans le contexte précis de l’histoire glauque, elles sont bienvenues car réalistes. Elles sonnent juste. On est ravi que le scénariste ne cède pas à la censure du politiquement correct.

Il s’agit de Marc Villard, un grand nom du néo-polar à la française. Cette BD est tirée de son roman éponyme, lui conférant une profondeur indéniable.

Voici un exemple typique de dialogue entre un homme et sa femme :

— Tu as demandé à ta sœur pour baiser avec nous ? demande l’homme.
— Loïs est une pute, Farid.
— Justement. Je ne m’attacherai pas.

Pour lecteurs avertis.



 

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mardi 13 novembre 2012

L’animalisme ubuesque

       Dans les années 80 déjà, Frédéric Dard, alias San-Antonio, l’auteur le plus lu des Français durant la seconde moitié du XXe siècle, s’en étonnait. Il avait eu le malheur, dans son roman Y a-t-il un Français dans la salle ? d’écrire une scène de torture de chat. Alors qu’il avait dépeint dans d’autres romans de nombreuses scènes de tortures et de tueries d’humains sans déclencher la moindre réaction, il reçut une bordée de lettres d’injures et de menaces à propos de l’animal martyrisé. Nul doute que si ce chat n’avait pas été fictif, Frédéric Dard aurait été assassiné par un vengeur animaliste.

C’est ce qui a failli arriver à Jean Favre, un artiste belge provocateur. Il a réalisé une vidéo de lancer de chat dans les escaliers de la mairie d’Anvers. Certains chats ont mal atterri, car ils ont besoin d’une surface plane pour bien se réceptionner. Malgré ses excuses et bien qu’aucun chat n’ait été blessé, il a été agressé sauvagement (bestialement ?) par sept individus courageux dans le nombre, et a dû être placé sous protection policière.

On pourrait penser que cet animalisme frénétique dérive de l’humanisme si en vogue depuis le XIXe siècle. Bien qu’excessif dans ses réactions, il serait assurément louable si sur la planète, on tentait vraiment de traiter correctement les animaux. Ce qui est sidérant dans cette affaire, c’est le décalage entre d’une part l’indignation pour quelques chats peu endoloris et d’autre part la façon égoïste et cruelle dont on traite les animaux sur l’ensemble de la planète.

Les animaux sauvages, c’est bien connu, se font de plus en rares, exterminés par la croissance de la population humaine. Certaines associations comme le WWF tentent d’enrayer le massacre en proposant des aides matérielles aux hommes pour qu’ils arrêtent de détruire la nature. On voit bien que jamais les humains ne tempèrent leur bien-être volontairement pour faire de la place aux animaux. Bientôt ne resteront que les animaux en captivité dans les zoos, les rats, quelques espèces d’insectes et d’oiseaux. Les souffrances des animaux sauvages sont telles, qu’en proportion du lancer de chat, elles devraient lancer nos sept courageux justiciers animalistes dans une croisade exterminatrice de l’espèce… humaine.

Les animaux de compagnie sont-ils mieux traités ? Beaucoup sont maintenus en captivité, pour le plaisir de leur maître. Les oiseaux et hamsters en cage, par exemple. Mais aussi les chats. Quand ils vivent en étage en immeuble, beaucoup de ces pauvres bêtes ne sortent jamais, de peur de les perdre. Ça ferait tant de peine à leur maître qui ne se demande pas s’il vaut mieux un chat libre dehors ou bien enfermé à vie.

Et les animaux de boucherie ? Un milliard de morts par an en France, tout de même… Il faut bien manger, voyons ! Certes, mais si on avait un peu de compassion, on mangerait peu de viande, à la fois pour des raisons écologiques et animalistes évidentes. Or c’est le contraire qui se produit : n’écoutant que leur bon plaisir, les gens se gavent de plus en plus de viande. Et l’étiquette « élevé en plein air » n’est pas destinée à témoigner d’un animaliste souci des conditions d’élevage souvent effroyables. Elle sert juste à témoigner d’un goût meilleur de la viande. Donc encore pour satisfaire le bien-être égoïste des humains. En comparaison de l’innocent lancer de chat, nos sept courageux justiciers animalistes doivent immédiatement prendre les armes et trucider tous les gros qu’ils croisent ! Combien de centaines de vies animales, le meurtre de chaque gros porc-humain épargnerait-il ? On pourrait aussi calculer combien chacun de nos kilos superflus tue d’animaux…

Qu’ils soient sauvages, de compagnie ou destinés à finir sous les dents de leurs bourreaux, il y a tout à faire pour améliorer le sort des animaux. Monsieur Jean Favre n’est pas leur pire tortionnaire, loin s’en faut…

 

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mercredi 7 novembre 2012

Critique de : Kabbale par Grégory Charlet (bande dessinée)


Gaël est un jeune homme bizarre. Il fréquente une jeune femme à qui il n’ose déclarer sa flamme, malgré les exhortations de son meilleur ami, son miroir. Elle-même joue un jeu assez trouble : elle a déjà un copain, auquel elle ne semble pas tenir particulièrement. Mais Gaël, on l’a dit, est spécial, alors elle hésite, c’est bien naturel. D’autant que Gaël est affublé d’un caractère, disons… difficile qui ne favorise pas l’épanouissement de relations amoureuses sereines.
Notre héros est auteur de bandes dessinées. Il est révolté par ce qu’il perçoit comme les injustices de notre société. Idéaliste et fougueux comme seule la jeunesse en est capable, il veut changer le monde, rien de moins. Et en mieux, bien sûr. Dans ses moments de rêverie, il se voit enfant, en train de parler à un dragon très mystique qui lui demande de croire en lui afin de pouvoir changer le monde.
On ne sait pas si ces visions sont le fruit de son imagination débordante de créatif, ou bien si on est dans un univers fantastique. Ce suspense accroit l’intérêt du lecteur, c’est le but.
Avec son ami, Gaël participe à une manifestation anti-raciste qui dégénère. Il se fait tabasser grave. Alors il est morose, encore plus qu’avant. Un peu déboussolé, on le serait à moins.
Le personnage se révèle ambigu au fil des péripéties. Pacifiste mais capable de grande violence.

Où va cette histoire ? C’est ce que voudrait savoir le lecteur de cette intrigue prenante et déroutante.

Le dessin de type manga en couleur est accrocheur et efficace. Une œuvre originale à découvrir.

 
 

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