mardi 30 avril 2013

Un pastiche du Nouveau Roman


Le Nouveau Roman est un genre littéraire apparu dans les années 1950. Certains de ses représentants emblématiques affectionnaient un style particulier qui abusait de compléments circonstanciels de lieu, adjectifs qualificatifs, comparatifs, et précisions inutiles. Autre originalité, le narrateur à la deuxième personne du pluriel.

 
Vous êtes dans le train. Vous ouvrez la porte de votre compartiment. Vous faites trois pas et vous pivotez vers la gauche pour lire les numéros de place. À votre droite, la vitre. Le paysage qui défile, vous vous en battez les flancs, au sens figuré s’entend, parce qu’au sens propre, vos bras sont encombrés de bagages, une lourde valise marron dans chaque main. À votre gauche, un homme assis déborde de sa place. Il est plus gros que vous, doux euphémisme. Énorme, adipeux, ventripotent, joufflu, rond, obèse, fessu ô combien.

Chacune de ses fesses occupe une place. Vous posez la valise tenue par votre main droite, (vous êtes droitier) puis vous lisez et relisez votre billet : place 052, c’est ce qui est inscrit, hélas, autant de fois hélas que vous relisez, sur la plaque grise rayée par l’usage et bordée de noir, au-dessus de votre place, au-dessus de la cuisse gauche monstrueuse de ce voisin à l’appétit féroce. Il fait assurément partie du 1 % des obèses pathologiques qui ont le gène de l’appétit détraqué.

Un énorme paquet de bonbons repose sur sa cuisse droite. Au rythme d’un toutes les cinq secondes, un tempo aussi envoutant que celui de la musique techno pourtant plus frénétique, il les engloutit de sa main gauche, boudinée et rose. Les bonbons sont verts, mais moins que vous qui ne savez plus où vous mettre.

 
 
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lundi 22 avril 2013

Court pamphlet : Les lavettes de Boston


Il s’était retrouvé seul, blessé. Son but : faire parler de lui. Ils étaient 9 000 contre lui. Neuf mille ! Épaulés par les meilleurs limiers américains. Appuyés par une cohorte de blindés. Auréolés d’une nuée d’hélicoptères. À 9 000 et plus contre 1, aidés de la suprématie aérienne et de l’appui des blindés, en 24 heures, ils terrassèrent le guerrier isolé, le terroriste d’origine tchétchène.

Ils célébrèrent leur brillante victoire, ces courageux Bostoniens, fêtant leurs héroïques forces de l’ordre, oublieux de l’addition faramineuse pour le contribuable. Courageux certes, mais ils avaient auparavant fermé les universités, arrêté les transports en commun et baissé le rideau de fer des magasins, tellement ils avaient eu la pétoche d’un homme, d’un seul homme dans cette ville immense qui tuait chaque minute par accident de la circulation, homicide non terroriste ou de plein d’autres façons bien plus que le terroriste isolé.

Quel insurgé irakien ou afghan aurait rêvé d’un tel exploit ? Mettre à genou pendant une journée tant de civils américains, terroriser littéralement à lui tout seul une ville américaine de la taille de Boston ?

Pour les civils, il n’y a qu’une façon de combattre le terrorisme : c’est de continuer à vivre comme si de rien n’était. Sinon les terroristes atteignent précisément leur objectif.

American Sniper classait les gens en deux catégories : les badass et les pussies. Les durs à cuire et les lavettes. Les durs à cuire, c’est une poignée de soldats d’élite. Les lavettes, eh bien c’est nous, tous les autres…




 

 
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mardi 16 avril 2013

J.-H. Rosny aîné et la préhistoire


L’excellent site J.-H. Rosny présente une abondante et savante bibliographie de Rosny Aîné (ainsi que de son petit frère) richement documentée.

Loin d’avoir tout lu de cet écrivain prolifique, j’ai été particulièrement époustouflé par ses trois romans préhistoriques, La guerre du feu, Le Félin Géant et Helgvor du Fleuve Bleu. Le style déjà frappe : coloré, poétique, magnifique. Sur le fond surtout, Rosny Aîné a étudié la préhistoire pendant dix ans avant de devenir un précurseur du genre roman préhistorique, le roman des âges farouches comme il le désignait si joliment. Ce qui me stupéfie, c’est sa vision si juste de la préhistoire, dès le début du XXe siècle. Il met en scène guerres et cannibalisme avec un réalisme saisissant.

Depuis, un certain nombre de préhistoriens ont remis en cause le passé violent de la préhistoire, cédant aux sirènes du mythe du bon sauvage, à des tabous, blocages mentaux et autres billevesées, refusant de reconnaitre la violence inhérente à l’Homme ou plutôt à l’homme. Heureusement, des préhistoriens courageux, un Américain d’un côté (La guerre à la préhistoire, 2008) et deux Français, de l’autre, par des méthodes différentes, ont récemment rétabli la vérité, cette vérité que Rosny Aîné avait instinctivement saisie.

Il est d’ailleurs stupéfiant de constater à quel point un siècle de paléontologie a si peu fait avancer nos connaissances de la préhistoire. En fait, si on y réfléchit, ce n’est pas si étonnant car les paléontologues n’ont à leur disposition que des éclats de pierre et des bouts d’os trouvés dans les poubelles et les tombes de l’époque. Quand on voit les difficultés extrêmes, malgré les millions d’euros dépensés, à interpréter correctement la vie et la mort (d’une flèche, à la guerre, encore) d’Hibernatus, une momie pourtant très bien conservée, on comprend qu’ils pataugent pour des périodes plus anciennes.

Suite à la lecture de La guerre à la préhistoire, j’ai décidé d’écrire en 2012 un roman préhistorique réaliste mettant en scène guerre et chamanisme (les deux n’étant pas corrélés). J’ai consulté un certain nombre d’ouvrages sur le sujet. On peut les classer en trois catégories :

·         Les ouvrages « classiques » de préhistoire par des paléontologues. Écrits dans un jargon grotesquement abscons (sauf les livres pour la jeunesse), à quelques exceptions près, ils apportent hélas très peu de connaissances sur la préhistoire. Je me souviens d’un dictionnaire de la préhistoire emprunté à la bibliothèque : des années après sa parution, il sentait encore le neuf. Le grand public le fuyait, à juste titre.

·         Les ouvrages « pratiques ». Ils décrivent la reconstitution des techniques de l’époque par des passionnés : fabrication d’un arc, tannage, etc. Là, on commence déjà mieux à percevoir la vie quotidienne de cette époque lointaine.

·         Enfin, de loin le plus intéressant et le mieux documenté, les récits et études ethnologiques nous décrivent la préhistoire vivante. Les peuples primitifs, appelés aussi premiers, aborigènes ou poétiquement peuples de la nature, particulièrement les chasseurs-cueilleurs (du XIXe siècle et de la première moitié du XXe) nous montrent quelle fut la vie de nos lointains ancêtres. Il est d’ailleurs prodigieux de constater la similarité des coutumes de ces peuples à travers les époques et malgré des environnements géographiques complètement différents.

À propos, le site J.-H. Rosny m’a fait l’honneur de publier mon pastiche, Scène de chasse préhistorique.
 



 
 

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      Mon initiation chez les chamanes

mercredi 10 avril 2013

Juan Solo ou la bande dessinée cruelle


Tome 1 : Fils de flingue
Scénariste : Alexandro Jodorowsky
Dessinateur : Georges Bess
Éditeur : Les Humanoïdes associés
Date de parution : 1995
Genre : roman graphique noir 

Un bébé abandonné est recueilli par un nain difforme travesti et prostitué, dans un bidonville quelque part en Amérique Latine. Son enfance est un enfer. Son père adoptif, le nain, est battu à mort par des voyous sous ses yeux. Avant de s’éteindre, il lui lègue un vieux pistolet.

Alors, de victime l’enfant devient bourreau. Tel Tony Montana, il décide de gravir l’échelle asociale par n’importe quel moyen. Et ça y va : vols, viols, actes de barbarie, meurtres d’innocents. Il déchaine un enfer de violence pour parvenir à ses fins.

Le thème central est un classique : un homme à l’enfance particulièrement difficile est-il coupable de ses exactions ? Est-ce la société qui génère les pires monstres ?

Le dessin n’a rien d’exceptionnel, par contre les couleurs sont particulièrement réussies. Les teintes dominantes varient en fonction du décor mais aussi de l’atmosphère.

Le point fort de cette BD, c’est le scénario. Glauque, dur, hyper violent mais percutant. L’histoire est rondement menée, sans pour autant bâcler la psychologie des personnages. Du grand art. Dépaysement exotique sanglant garanti. Pas de risque de s’attacher à un personnage plus qu’un autre : tous des salauds amoraux, à commencer par Juan Solo. C’est peut-être le reproche qu’on peut faire : tous plus mauvais les uns que les autres à part le père adoptif de Solo qui conserve une once d’humanité. Peut-être est-ce Juan Solo qui attire les méchants durs à cuire partout où il passe, laissant derrière lui une trainée sanglante.

Tout est montré crument, sexe comme meurtres. Pas de tabous ni de chichis.

Pour personnes majeures à l’ancienne (21 ans).

 


 

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mardi 2 avril 2013

Critique : L’indic et le commissaire


Auteur : Lucien Aimé-Blanc (commissaire) assisté de Jean-Michel Caradec’h (écrivain et journaliste)
Éditeur : Plon
Date de parution : 2006 (manuscrit achevé le 14 septembre 2005)
Genre : Mémoires mémorables d’un flic 

Lucien Aimé-Blanc est un brillant policier français dont la carrière s’étend sur 30 ans à partir de 1961. Connu surtout pour sa participation à la traque de Mesrine (ses révélations sur le sujet publiées en 2002 ont fait du bruit), il a œuvré en tant que commissaire dans différents services de lutte contre le grand banditisme : la Brigade Mondaine, l’OCRB, la BRI, les Stups…

Dans ce livre, il décrit les affaires marquantes sur lesquelles il a travaillé de 1961 à 1983. Ses révélations sont à la fois fracassantes et effarantes. Pour résumer, l’État français via les services secrets a régulièrement recours à des tueurs de la pègre pour perpétrer des assassinats politiques. Des exemples ? Enlèvement d’un opposant marocain (affaire Ben Barka) ; assassinat d’un gauchiste turbulent (affaire Pierre Goldman, le frère de Jean-Jacques) ; assassinat d’un militant tiers-mondiste (Pierre Curiel) ; assassinat de leaders corses indépendantistes (Guy Orsoni). À noter que l’État espagnol n’est pas en reste, avec les commandos GAL chargés d’éliminer en toute impunité des dizaines de membres de l’ETA.

À propos de l’affaire Ben Barka, l’auteur divulgue des écoutes téléphoniques, prouvant que le Premier Ministre de l’époque (Pompidou) était au courant du projet d’enlèvement…

Pour recruter les tueurs de la pègre, l’État dispose de plusieurs moyens : paiement cash par contrat, protection des activités illégales du tueur (prostitution, jeu), réduction de peine. En Espagne, on a même parfois fait sortir des criminels de prison pour les enrôler dans les commandos GAL.

On comprend mieux, à la lecture de ces révélations, pourquoi l’opinion publique adhère souvent à la théorie du complot : c’est parce que les crimes d’État parsèment l’histoire de notre beau pays démocratique et parce que des complots, il y en effectivement parfois, et des bien répugnants.

L’autre aspect intéressant du livre, c’est la description des rapports nécessaires et troubles entre la police et les indicateurs. Sans indic, pas de police, c’est bien connu. La difficulté pour les policiers consiste à ne pas franchir la ligne jaune, les relations avec les indics étant illégales. Pour bien faire son métier, le policier est obligé d’enfreindre la loi.

Laissons la conclusion à Aimé-Blanc :

Dans la police, il faut choisir : ou bien prendre des risques pour lutter contre les criminels, ou soigner sa carrière en évitant la moindre vague. En fin de parcours, on retrouve beaucoup plus de directeurs qui n’ont jamais arrêté personne que d’hommes de terrain. Ce n’est pas une caractéristique propre à la police.

En effet, il s’agit là d’une caractéristique typiquement bureaucratique et étatique : en général mieux vaut ne rien faire d’audacieux, d’innovant ou de créatif ; juste se concentrer sur le pain quotidien : dépenser l’argent du contribuable, sans oublier de pleurnicher sur le manque de moyens…
 



 

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