Chroniques de la haine ordinaire,
diffusé sur France Inter le 24 avril 1986
J’ai pris le plus grand soin à retranscrire verbatim
le texte à partir de l’enregistrement audio. La typographie et la ponctuation
sont donc de moi. Merci de me signaler les erreurs éventuelles.
Mes chers
amis,
C’est avant
tout en tant que président de l’Association des non-handicapés de France que je
m’adresse à vous ce soir. C’est vers vous, les non-vieux, les non-jeunes, les
non-chômeurs, les non-femmes, les non-affamés, les non-immigrés, les
non-homosexuels, les non-infirmes, les non-mongoliens, c’est vers vous que vont
ce soir toutes mes pensées.
Nous formons mes
chers amis, dans ce pays, une minorité, certes ! Mais cette minorité, comme les
autres minorités, a le droit de se faire entendre et, pour cela, nous devons
nous unir et montrer au monde que nous existons, avec nos différences, certes !
Mais ces différences, les autres doivent, au nom de la solidarité nationale,
les reconnaître et les accepter.
Nous sommes
des hommes comme les autres. Nous ne gênons personne en allant travailler tous
les matins la tête haute sans canne blanche ni béquille. Si la nature nous
pousse à avoir des rapports intimes avec des personnes du sexe opposé au nôtre,
en quoi cette singularité dérange-t-elle le bourgeois ?
Nous devons
dénoncer le racisme dont nous sommes de plus en plus souvent les victimes !
J’en parle en connaissance de cause. Pas plus tard qu’hier, mon fils, qui vient
d’avoir sept ans, est rentré de l’école en larmes :
— Papa,
m’a-t-il dit, qu’est-ce que c’est qu’un blanc ?
Je dois dire
que je ne m’attendais pas à cette question si tôt. Oh, je savais bien qu’un jour
ou l’autre nous devrions en passer par là. Mais pas si tôt. J’étais désemparé.
— Pourquoi
me demandes-tu cela, mon garçon ? ai-je demandé en le prenant sur mes genoux
pour le consoler.
— Ben à
l’école, les autres se sont moqués de moi, ils m’ont montré du doigt en criant :
« Ah le blanc, ah le blanc ! » C’est quoi, papa, un blanc ?
— Un
blanc, c’est… c’est un homme comme un autre !
— Alors
pourquoi les autres ils se moquent ?
— Ben ils
ont tort ! Vois-tu, nous avons… nous avons nos coutumes, notre religion qui ne
sont pas tout à fait les mêmes que les leurs. Nous portons des pantalons, nous
mangeons avec des fourchettes, nous buvons du vin et, c’est vrai qu’il y a dans
le vin comme un goût primitif qu’on ne retrouve pas dans l’eau ! Cela peut
surprendre… Mais tu ne dois en aucun cas, mon enfant, en avoir honte. Nous
sommes blancs, descendants des Gaulois et des Francs et alors ! Les raisons de
nous en féliciter ne manquent pas : le franc est stable et jamais les
Gaulois n’ont donné la gale aux Romaines ; nos Charolais sont laids, mais
nos Bordelaises sont girondes ; l’Alsace nous a donné ses Ballons, Sophia
nous a donné la Lorraine ; nos ancêtres du Berry nous ont donné le béret
et nos ancêtres basques, les baskets… L’art blanc, mon enfant… l’art blanc
existe autant que le lard fumé ! La Joconde, Versailles, le Cid, le jeu des mille
francs, c’est nous ! La bombe H et le Mistral gagnant, c’est nous ! Austerlitz,
c’est nous ! Auschwitz, c’est loin… Mon enfant, nous sommes blancs et nous
devons assumer notre blanchitude !
— Mais pourquoi
on est blancs, papa ?
— C’est
naturel… C’est Dieu qui l’a voulu ainsi ! D’ailleurs, l’été nous ne sommes plus
très blancs, il nous suffit d’aller au soleil et de ne plus bouger, c’est
chiant, mais ça banalise !
— Oui papa,
mais eux ils ont du pot, ils ont même pas besoin d’aller au soleil.
— Oui,
mais ça c’est un autre problème, c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens, ils
gaspillent tout leur argent en nourriture… Vois-tu mon chéri, nous ne sommes
pas tellement à plaindre !
J’ai réussi à
consoler cet enfant… mais pour combien de temps ? Combien de temps encore
devrons-nous subir les humiliations des minorités handicapées de ce pays ?
L’affaire Jean
Dupont a certes, secoué les torpeurs et ému les esprits. Mais il aura fallu ce
drame pour que le gouvernement vote enfin le décret de reconnaissance publique
de l’Association des non-handicapés de France.
Les faits sont
connus de tous, mais nous les répèterons une fois de plus à l’intention du
grand rabbin nègre non-comprenant, de l’Association pour le racisme et contre
l’antisémitisme qui a tenu à être des nôtres ce soir pour montrer à tous qu’à
ses yeux, nous étions des Français à part entière.
Lors des
derniers Jeux olympiques pour handicapés, la finale du quatre cents mètres
haies mettait aux prises une équipe de trente chômeurs immigrés cancéreux
non-voyants à la colonne vertébrale brisée à tout jamais, et un non-handicapé
de quarante ans, Monsieur Jean Dupont, Auvergnat, hétérosexuel et cadre.
Ce dernier
arriva le premier avec trente-neuf heures, douze minutes et six secondes
d’avance sur le second. Par la suite, Jean Dupont devait reconnaître qu’il
avait été distrait et qu’il était fatigué le jour de la compétition, c’est
cette distraction qui lui avait fait oublier qu’en pareil cas, le non-handicapé
doit attendre les handicapés. De même qu’à l’école, les surdoués doivent
attendre que les tri-chromosomiques aient compris « un et un égalent
deux », avant de passer le mois suivant à « deux et un égalent trois ».
Mais cela
n’excuse en rien que de retour aux vestiaires, les chômeurs immigrés cancéreux
non-voyants à la colonne vertébrale brisée à tout jamais aient roué le
malheureux de coups de canne blanche avant de lui rouler sur le corps jusqu’à
ce que mort s’ensuive en chantant la chanson pour l’Éthiopie.
N’ayons pas
peur des mots mes amis : c’est une attitude qui est contraire à l’esprit
de la Déclaration des Droits de l’Homme. Jean-Marie Le Pen ne me contredira pas
sur ce point. Et c’est bien ce qui m’emmerde !