mardi 27 décembre 2011

Critique : Journal d’un soldat français en Afghanistan

           Titre : Journal d’un soldat français en Afghanistan

            Auteur : Sergent C. Tran Van Can, avec N. Mingasson

            Éditeur : Plon + Le Figaro Magazine

            Date de parution : Avril 2011

            Genre : Carnets de guerre


Tran Van Can est sergent dans une unité de combat française. Il raconte les six mois intenses qu’il a passés en Afghanistan en 2010, suivi par un journaliste du Figaro.

Le sergent est volontaire pour partir en « opex » (opération extérieure) 6 mois en « Afgha ». Pendant de long mois préparatoires, il s’entraîne dur avec ses camarades. Il est chef d’un groupe de combat, un poste charnière. Il doit encadrer ses  hommes : ordonner, motiver, aider, donner l’exemple.

Le but est de ramener tout le monde (pas de gagner la guerre, diraient les détracteurs de la coalition).

Avant même le départ, l’état-major est d’une rare et louable franchise. Il les prévient que certains ne reviendront pas. En arrivant en Afgha, notre sergent est tout de suite dans l’ambiance. Il croise ceux qu’il est venu relever. Il espère une discussion, un passage de témoin et un retour d’expérience, un contact quoi ! Il déchante. Les hommes qu’il croise sont des zombies : gris de saleté et de fatigue, la tête baissée, muets. Certains pleurent !

Le sergent et ses hommes sont affectés dans l’est du pays, dans une vallée infestée de talibans. La FOB (base avancée) est confortable, surtout par rapport aux conditions de vie de l’ennemi. Cependant, de temps en temps, il faut courir aux abris pour échapper aux tirs d’artillerie des insurgés. Un blessé grave est d’ailleurs évacué d’urgence. Des tirs en plein dans la base ! On est effaré de constater à quel point la coalition est malmenée par les insurgés.

Les soldats, au début de leur mission, s’ennuient. Ils sont partagés entre d’une part le désir d’en découdre, d’accomplir ce pour quoi ils sont là, et d’autre part, la crainte fondée d’avoir des pertes.

L’armée (le contribuable, diraient les détracteurs, celui qui paie les opex aux quatre coins du monde, pour le prestige de la France et tant qu’elle arrive à assumer sa dette écrasante) a fait un réel effort pour équiper correctement les soldats français qui n’ont plus à rougir vis-à-vis des Américains. On apprend que le gilet pare-balles Ciras est réellement efficace mais en contrepartie, il pèse 18 kg. L’ensemble du barda dépasse les 30 kg. Les fantassins sacrifient leur mobilité. On se retrouve en quelque sorte au moyen-âge, du temps des cottes de maille (pas tout à fait quand même du temps des armures de plaque, mais cela viendra peut-être…).

Dans un bel élan de franchise, l’auteur écrit qu’à cause des mesures de sécurité, aucun rapprochement n’est possible avec la population. La coalition est perçue comme une armée d’occupation. Il ajoute que s’il était à leur place, il prendrait les armes contre l’envahisseur !

Quand le sergent retourne à l’arrière, il est ulcéré du manque de soutien et de compréhension des officiers bureaucrates planqués. On retrouve le thème commun à toutes les guerres (notamment 14-18) des embusqués et de l’indifférence de l’arrière aux souffrances des combattants.

Ma conclusion est que l’armée française en Afgha fait preuve d’un réel professionnalisme. Elle fait tout ce qu’elle peut, avec les moyens dont elle dispose, pour remplir sa mission. En comparaison de la campagne de France de 1940 et de Dien Bien Phu, il n’est pas exagéré de dire qu’elle se couvre de gloire (après des débuts difficiles compréhensibles) et qu’elle redore son blason.

À lire absolument pour comprendre comment cela se passe concrètement pour nos troupes en Afghanistan. Et, diraient les détracteurs de la coalition, se rendre compte que la guerre est perdue pour la coalition.



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mardi 20 décembre 2011

La musculation : mes trois conseils de base

      Pour changer des critiques littéraires, voici un billet sur la muscu. Les revues de bouquins, aussi intéressants soient-ils (les bouquins, pas les revues) génèrent peu de commentaires. De plus, j’en rédige pas mal en ce moment sur l’Afghanistan parce que j’écris un thriller avec la guerre d’Afghanistan en toile de fond. Or l’Afgha est un sujet qui intéresse peu les Français et j’imagine qu’il en va de même pour les autres communautés francophones.

 Donc, la muscu : trois conseils en or. En fréquentant les salles de sport, je m’aperçois qu’un certain nombre d’adeptes de la fonte passent à côté de l’essentiel.

 1. Il est impératif de faire un sport cardio en complément. La musculation entraîne tous les muscles, sauf le plus vital (au sens propre) : le muscle cardiaque. Se cantonner à soulever de la fonte, c’est risquer un infarctus la soixantaine venue. Les sports cardios sont ceux qui font travailler le souffle en endurance : course à pied, vélo, natation, roller, etc…

2. Il est important de se muscler les jambes. Beaucoup mettent la priorité sur le haut du corps et c’est une erreur. Esthétiquement, c’est pathétique d’avoir un torse d’orang-outang monté sur des jambes-allumettes. En outre, la vraie force du corps est dans les jambes et le bas du dos. Même pour des sports comme la boxe anglaise. L’important, ce sont les appuis.

3. Faire des abdos ne fait pas fondre la graisse du ventre, contrairement à un mythe tenace. Travailler les abdos renforce les muscles abdos. Pour brûler les graisses, du ventre et des autres zones, il faut faire un sport cardio (voir conseil 1). Et il faut forcer. No pain, no gain, comme disent les Américains. On n’a rien sans rien.

jeudi 15 décembre 2011

Critique littéraire : La couleur de l’œil de Dieu, de Chris Simon

Éditeur : Éditions du Réalisme Délirant

Format : ebook sur Amazon, iBookstore

                
Ce recueil de six nouvelles nous invite à suivre les pérégrinations d’autant de personnages, entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Les thèmes abordés concernent l’errance et l’abandon, mais aussi le divorce, la mort et la quête de l’identité.

Le style est vivant et alerte. L’auteur a le sens des belles métaphores originales qui sonnent juste. L’ambiance est empreinte de poésie, mélancolique ou joyeuse selon les circonstances.

Dans la nouvelle qui a été donné son nom au recueil, le personnage principal est un aveugle qui visite une amie mourante. Avec grand talent, l’auteur nous montre comment l’aveugle compense dans la vie quotidienne la perte de la vue par le développement et l’exploitation des quatre autres sens.

Dans une autre nouvelle, qui se situe au début des années quatre-vingt dix, une adolescente est en quête de son identité « sexuelle » naissante : est-elle attirée par les hommes ou les femmes ? Un thème effleuré dans la nouvelle précédente. L’auteur traite le sujet sur le registre tragi-comique, où l’humour pointe à chaque paragraphe.

En conclusion, ce recueil de nouvelles se lit avec plaisir et invite à la réflexion. Que demander de plus ?
 

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mardi 13 décembre 2011

Roman marquant : le Feu de Henri Barbusse

         Le Feu est paru en 1916. Il remporte le prix Goncourt la même année. C’est le récit romancé, mais vécu par l’auteur et ses frères d’armes, de la vie quotidienne des Poilus de 14-18.

            Dans le domaine public, il est disponible gratuitement en ebook :




            La première force de ce roman « historique », c’est son réalisme. Avant de le lire, je voulais trouver un livre d’histoire sur la vie quotidienne dans les tranchées. Après l’avoir lu, je n’en avais plus besoin.

            La seconde force du roman, ce sont ses qualités littéraires, son style, son rythme, sa poésie, son « art ».

            La troisième et la plus grande force du roman, c’est, à mon sens, la lucidité du soldat-romancier et son courage à dénoncer les travers de ses compatriotes, la façon dont la société française gérait la guerre. Le livre est sorti en 1916, en pleine guerre ! Ses critiques firent scandale par leur justesse.

            Tout y passe. D’abord, bien sûr, l’atrocité de la vie, de la survie, et in fine de la mort du poilu en première ligne. Ce thème a été depuis traité abondamment. Il suffit de mentionner que les Poilus, aussi courageux et épris du mortel triptyque et cryptique « Travail-Famille-Patrie » fussent-ils, ils espéraient la « bonne blessure », celle qui les éloigneraient de la première ligne quelque temps sans les rendre invalides.

Mais d’autres thèmes, à cette époque étouffés par la propagande sont dévoilés : la lucidité des Poilus vis-à-vis de la propagande, justement, dont ils raillaient l’exagération grotesque destinée à ceux de l’arrière. Mais aussi, les embusqués, les profiteurs de guerre, les civils peu compatissants envers les combattants, les exécutions sommaires des malheureux qui n’avaient pas le courage de sortir de la tranchée pour se faire tuer, les frustrations sexuelles des soldats, l’insuffisance du ravitaillement, les fraternisations et tant d’autres souffrances, tant d’autres scandales : il a tout osé déballer ! Sans exagération et sans complaisance.

Le seul élément qui lui a échappé, c’est l’incompétence des généraux français et allemands qui faisaient attaquer leurs troupes au point le plus fort du dispositif de défense ennemi, sans aucune imagination. Mais comment aurait-il pu dénoncer cette aberration, en simple soldat auquel la stratégie de la guerre échappait forcément depuis sa tranchée ? Et d’ailleurs, après la guerre, et aujourd’hui encore, les Grands Bouchers Bornés ont leur nom de rue, les Joffre, Hoche et autres Foch… De Pétain seul, nous sommes épargnés à cause de ses frasques durant la revanche…

            Une œuvre époustouflante, un des plus grands roman en langue française jamais écrits.


 
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jeudi 8 décembre 2011

Critique : Être soldat en Afghanistan de S. Junger

Titre : Guerre - Être soldat en Afghanistan

Auteur : Sebastian Junger

Éditeur : Éditions de Fallois

Date de parution : 2010 pour l’édition originale en anglais, janvier 2011 en français

Genre : récit de guerre mâtiné d’un essai sur la psychologie des combattants


Le journaliste Sebastian Junger a suivi pendant plus d’un an, de 2007 à 2008, une compagnie de l’armée américaine déployée en Afghanistan. Mais attention ! Pas n’importe où ! Dans la vallée de Korengal où plus de 40 soldats US ont été tués et des centaines blessés. On ne compte pas les pertes civiles ni celles de l’Armée Nationale Afghane. Les médias à cette époque l’avaient baptisé « l’endroit le plus mortel de la planète ». L’ogre dévorait à lui seul 70 % des munitions et des bombes utilisées en Afgha par les US.

Les soldats restaient 15 mois, contre 6 pour les autres pays de la coalition. Ils opéraient à partir d’avant-postes qu’ils avaient bâtis eux-mêmes. Le confort était celui d’un bidonville : pas d’eau courante, rations de combat presque à chaque repas, mobilier quasi-inexistant, aucune distraction… Il leur arrivait de rester plus de 30 jours sans se doucher et sans changer de treillis.

Junger a partagé leur vie pendant de nombreux mois, armé de son seul caméscope. Il décrit leurs actions, les interroge, nous fait partager leurs aventures et leur ressenti. Leurs contradictions apparentes aussi. Quand ils se font tirer dessus, ils stressent, forcément. Mais quand il ne se passe rien, ils s’ennuient et souhaitent un engagement car ils sont devenus accros à l’adrénaline. Le retour à la vie civile est très difficile pour ces hommes qui souffrent souvent du stress post-traumatique du combattant.

Junger donne aussi son témoignage de journaliste en première ligne : ce qu’il ressent avant, pendant et après se faire tirer dessus et risquer sa vie. Mais sa démarche transcende le conflit d’Afghanistan. S’appuyant sur un grand nombre de références citées en annexe, comme dans un essai, il réfléchit avec profondeur sur les différents thèmes qui concernent les combattants de toutes les époques : l’héroïsme, la crainte de la mort, les séquelles psychologiques, les motivations, etc…

En 2008, juste avant que s’achève le reportage, une autre compagnie perd 9 hommes, la pire défaite US depuis Mogadiscio en 1993. C’est probablement ce qui a décidé les US à se retirer de la vallée de Korengal qui constitue pourtant un passage important de troupes et d’armes depuis la région pakistanaise sous contrôle taliban. Les US, malgré des moyens colossaux (notamment aériens) ne sont pas plus capables que les Pakistanais de contrôler cette région (la remarque est de moi, pas de Junger).

Mais les survivants de Korengal 2008 s’en moquent bien. Parmi les nombreux enseignements du livre, on apprend que la première motivation des combattants n’est pas l’idéalisme ni même la lutte pour la survie : c’est la solidarité avec le groupe.

Conclusion : cet ouvrage majeur dépasse le cadre du conflit actuel en Afghanistan, sujet qui finalement intéresse peu de gens, surtout en France.

Quelques photos de la mythique vallée de Korengal :






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lundi 5 décembre 2011

Nouvelle courte : Le crooner, sa muse.

            Tous mes amis disent que j’ai un talent fou. Effectivement, mon physique, mon oreille musicale, ma voix de crooner m’ont acquis une notoriété locale. Mon entourage prétend que je vaux mieux, que j’ai le Don. Mais ma mère me tempère : « Ne te brûle pas les ailes, tu es si jeune et si fragile ». Moi, je veux percer, car qui n’avance pas, recule !

            Ce qui manque à un chanteur de mon envergure, c’est un texte poétique, une romance à déchirer le coeur ! Alors, je tente de composer le chant d’amour ultime, celui qui sublimera le désir physique cru.

            Mais j’ai du mal à trouver l’inspiration. Mon texte n’avance plus. Je suis même obligé de me battre avec le papier pour que les mots ne reculent pas. Biffer, c’est reculer. « Qui n’avance pas, recule », un aphorisme obsédant et angoissant, finalement. Ah l’angoisse ! Elle me dévore ! Ô maman, toi qui, dans ta sagesse, me conseillais d’accepter mon sort, je vais te faire de la peine : je veux devenir célèbre ou me consumer. Les deux peut-être.

            Je prie, j’implore ma muse, la tête sur l’oreiller, les yeux clos mais l’âme censée être ouverte. Ouverte sur les mots. Les mots qui font avancer les textes. C’est ma prière.

Enfin, je m’endors. Un rêve mystique me visite, fruit de ma prière nocturne. La déesse de l’inspiration m’apparaît ! Une magnifique jeune femme nue, la poitrine énorme. C’est parce que je n’ai pas connu l’amour depuis longtemps, obsédé que je suis par l’écriture qui ne veut pas avancer, qui me résiste plus que la femme la plus inaccessible et pourtant la plus désirable.

— Ô muse, console-moi ! imploré-je.

— Une muse ne console pas, répond-elle, elle inspire.

— Tu m’inspires le désir.

— Le désir ?

— Le désir de toi.

— Tu as déjà un toit. Ce qu’il te manque, c’est l’inspiration.

— Du désir, insisté-je.

Elle fronce ses sourcils divins.

— Ne sois pas obtus. C’est pour cela que l’inspiration créatrice te boude. Et cesse de me tutoyer, impertinent garnement !

— Que dois-je faire, maîtresse ? demandé-je, suspendu à ses lèvres pulpeuses et sages, douloureux oxymoron.

— Hum ! Tu peux m’appeler maîtresse, mais attention au double sens du mot ! Tu dois transcender ton désir charnel pour l’élever, pour produire un texte puissant.

— Mais aussi, maîtresse ! Quelle idée de m’apparaître nue ! Vous tentez mes bas instincts.

— Insolent ! Crois-tu dicter à ta muse son apparence ! Une muse ne se commande pas. Elle s’offre.

— Oh ! C’est mon plus cher désir !

Dépitée, elle secoue sa divine tête et fait la moue.

— Vous faites la moue, maîtresse ? demandé-je du ton le plus innocent possible.

— Il récidive sans vergogne ! Crois-tu que ta muse va t’inspirer si tu uses de sous-entendus graveleux ?

— Ah ! Je regrette maîtresse, vos seins m’empêchent d’élever mon âme.

— Ferme les yeux et apaise les tensions qui t’habitent.

— Ô maîtresse, voyons, ne vous y mettez pas vous aussi ! Je rentre en moi, mais je vous vois avec le cœur.

— C’est un tout petit peu mieux.

— Votre beauté est si captivante qu’elle excite tous mes sens malgré moi.

— Peut mieux faire…

— L’amour que j’ai pour vous est au-delà de l’eros grec, il tutoie la philia, l’amour inconditionnel. Votre simple présence suffit à mon contentement.

— Cette fois, tu t’élèves trop. La philia ne parle pas au commun des mortels. Tu dois écrire une chanson qui plaira à tous.

— Inspirez-moi, alors !

— Ce n’est pas facile…

— Alors, pardonnez ma franchise, mais pourquoi êtes-vous venue ?

— Pardi ! Je diagnostique ton problème et il n’est pas mince. Il est sordide. Tu dois combattre le feu par le feu.

— Quel feu ?

— Le feu de l’amour. Tu dois l’éteindre par une passion amoureuse : aime et chante ton amour !

— Oh oui ! Je me consume d’amour pour vous !

— Il recommence, l’impertinent obsédé ! Pas avec ta muse, nigaud ! Le prix à payer serait trop fort. Éteins l’incendie de l’amour vital avec une mortelle.

— L’ennui serait mortel après vous avoir connue, maîtresse.

— Encore ! La tentative de séduction par insistance ne fonctionne qu’aves les mortelles. Et encore. Je viens de te dire qu’il n’est pas question, pour ton bien, de me connaître bibliquement.

— Si vous assouvissez ma passion prosaïque pour vous, je satisferai votre goût poétique en composant, et surtout en interprétant une ode à l’amour comme aucun mortel moderne ne…

Son rire délicieux quoique moqueur interrompt ma tirade.

— Pauvre mortel ! Ta pitoyable conversation ne laisse pas présager d’un don poétique, hélas.

Humilié, les larmes aux yeux, j’entends la voix de ma maman : « Mon garçon, tu es si fragile dans ta tête, reste auprès de moi… ». Puis, l’orgueil me submerge, le besoin de prouver ma valeur, de percer, d’accomplir mon destin. Maintenant ou jamais.

— C’est parce que je suis frustré de votre amour, maîtresse. Donnez-moi ma chance…

Seul son sourire ironique me répond. Alors, je ferme enfin les yeux pour me concentrer sur l’amour vrai et je chante :



Laisse-moi t'aimer toute une nuit
Laisse-moi toute une nuit
Faire avec toi le plus long le plus beau voyage



À son tour, pour la première fois, elle ferme les yeux. Dans un souffle, elle murmure :

— Ta voix, beau crooner mortel, est si envoûtante…

Je reste coi : parler après chanter me ferait retomber de mon piédestal. Les yeux mi-clos, comme en transe, elle reprend :

 — Mais une nuit seulement ? Transcende la médiocre concupiscence de l’instant…



Laisse-moi t'aimer toute ma vie
Laisse-moi, laisse-moi t'aimer
Faire avec toi le plus grand de tous les voyages



Elle soupire. Son doux visage devient mélancolique.

— Écoute Mike, tu possèdes la beauté, la voix et tu tiens ta première grande chanson, celle qui pourrait te rendre immortel auprès des mortels. Peu d’artistes sont autant bénis des dieux.

— Pourtant je végète… Et l’amour m’échappait, jusqu’à votre apparition.

— Je peux exaucer ton souhait de réussite. Mais tu devras payer un lourd tribut : ta vie sur Terre sera intense mais brève. Car le succès immense accentuera ta fragilité. Le cygne, après son chant, s’éteint. L’argent, l’amour des mortelles et toutes ces futilités qui passionnent les hommes ne trouveront plus grâce à tes yeux. Tu souffriras puis tu partiras en pleine gloire. Et alors, nous serons ensemble pour l’éternité, toi et moi.

— Qui n’avance pas, recule ! C’est mon plus cher souhait, de vous aimer pour l’éternité…

— Tu ne sais de quoi tu parles : l’éternité, c’est bien long. Mais qu’il en soit ainsi. Voici l’étincelle qui te manque : quitte ton petit pays. À bientôt, Mike, mon cygne d’amour.

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jeudi 1 décembre 2011

Roman marquant : Black Beauty d’Anna Sewell

            Ce roman de 1877 raconte les péripéties d’un cheval en Angleterre. Le narrateur est Black Beauty. Il dialogue avec les autres chevaux, mais pas avec les humains. Au fur et à mesure qu’il vieillit, le cheval doit changer de maître et de fonction. Il est confronté à la cruauté des hommes mais aussi à leur amour.

            Dans son unique roman, Anna Sewell a voulu dénoncer les pratiques cruelles dont étaient victimes les chevaux à son époque. Objectif accompli puisque l’ouvrage a fait sensation et a contribué à améliorer les conditions de vie des animaux d’attelage. Handicapée, l’auteure se déplaçait souvent en calèche et possédait une profonde connaissance des chevaux d’attelage. Elle n’a pas connu le succès de son roman : elle est morte cinq mois après la parution de l’œuvre de sa vie qui lui a demandé six ans de labeur entrecoupé de problèmes de santé.

            Chaque épisode se termine par une morale, concernant le traitement des chevaux, mais aussi parfois l’alcoolisme qui ravageait l’Angleterre de l’époque. Mais attention ! Le livre n’est pas ennuyeux. Au contraire ! Il est touchant et se lit avec facilité.

            Il est de nos jours destiné à la jeunesse. Mais Anna Sewell l’a écrit à l’origine pour les gens qui s’intéressent aux chevaux, quel que soit leur âge. Je note au passage comme certains romans tout public du XIXème siècle sont faciles à lire, par exemple les Aventures de Tom Sawyer ou Heidi de Johanna Spiri, alors que les romans pour adultes étaient assez souvent des pavés indigestes, débutant par des dizaines de page de portraits psychologiques, descriptions et autres passages rasoirs, tous exercices imposés de l’époque.

            Émouvant mais pas mélo, facile à lire mais pas mièvre, véhiculant des messages mais pas barbant, Black Beauty n’est pas sans raison un best-seller mondial, une des plus grosses ventes de tous les temps.



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lundi 28 novembre 2011

Critique littéraire : La Germanie de Tacite

Tacite était un historien romain. Vers 100 après J.C, il a écrit un petit traité sur les peuples germaniques, vivant pour la plupart hors des frontières de l’empire Romain.

Il s’agit d’une mosaïque de peuplades et de tribus, possédant des caractéristiques parfois fort différentes. Néanmoins, on peut dégager quelques traits communs aux Germains : ils sont pauvres, libres, guerriers pillards, chasseurs, peu travailleurs. Tacite affirme qu’ils pratiquent peu l’agriculture, laissée aux soins des femmes et vieillards.

En fait, Tacite est à la fois fasciné par la noblesse de certaines de leurs mœurs (hospitalité, liberté, monogamie) et dégoûté par d’autres aspects (indigence extrême, intempérance, sacrifices humains religieux).

Leur mode de vie est semblable à celui de certains peuples du néolithique de l’Âge de Fer : semi-nomades, chasseurs, pillards (la paix est synonyme d’oisiveté), paysans à l’occasion, éleveurs de troupeaux parfois.

Pour l’anecdote, Tacite décrit même une tribu de chasseurs-cueilleurs issue du paléolithique : ils ne possèdent aucun objet sauf peaux de bête et arcs dont les pointes de flèches sont en os.

L’historien insiste sur les redoutables qualités guerrières des Germains, rappelant les maintes défaites qu’ils ont infligées aux puissantes légions romaines.

À la lecture de l’ouvrage, on arrive à la même conclusion que César dans La Guerre des Gaules, 150 ans plus tôt : les Germains sont inassimilables à l’empire Romain, car ils ne produisent pas de richesses susceptibles de payer l’impôt et d’apporter une valeur ajoutée à l’empire.



Disponible en ebook gratuit :

 

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vendredi 25 novembre 2011

L’impasse afghane de G. Chaliand

      Titre : L’impasse afghane

Auteur : Gérard Chaliand

Éditeur : éditions de l’Aube

Date de parution : mai 2011
 

Selon Wikipédia, Gérard Chaliand, né en 1934, est spécialiste de l'étude des conflits armés et des relations internationales et stratégiques. Ses axes de recherche concernent essentiellement les conflits irréguliers (guérilla, terrorisme) dont il est devenu l'un des plus éminents spécialistes et théoricien mondial.

Après cette introduction dithyrambique de Wikipédia, passant au livre. Ce court essai lucide se propose d’expliquer pourquoi l’Afghanistan est un bourbier pour la Coalition, sans espoir de vaincre les talibans.

L’auteur commence par analyser avec pertinence pourquoi au XIXème siècle les guerres coloniales réussissaient là où, de nos jours, les conflits néo-coloniaux (Vietnam, Irak, Afghanistan) sont un fiasco cuisant.

L’auteur rappelle, à juste titre, que le terrorisme est un phénomène certes très médiatique et psychologiquement important, mais secondaire stratégiquement. Il est grand temps de s’affranchir de la propagande initiée par l’administration Bush et de prendre la mesure d’un phénomène qui ne peut rien changer au statu quo mondial.

Les raisons de l’échec sont nombreuses. La première et plus importante est, selon l’auteur, le gouvernement du président afghan Karzai. Corrompu jusqu’à la moelle, réélu à la manière d’une république bananière, il ne fait presque rien pour le peuple. Il est si décrédibilisé qu’il constitue de fait une raison pour les Afghans de rejoindre les forces talibanes. On se demande au passage pourquoi les Américains ne remplacent pas cet épouvantail.

L’armée afghane est mal équipée, peu motivée et souffre de désertions massives. Elle est encore loin d’être capable de prendre le relais de la coalition. La police est très corrompue mais c’est naturel : compte tenu de son salaire trop faible, elle est obligée de rançonner la population pour vivre.

Concernant les soldats de la coalition, leurs faiblesses sont nombreuses. Pour éviter les pertes humaines, on a recours aux frappes aériennes qui font des victimes civiles et liguent la population contre eux. Ensuite, l’auteur mentionne le thème classique mais juste de la civilisation qui amollit, du confort qui affaiblit : les talibans, pauvres et frugaux, confortés par leurs idéaux messianiques, ont une capacité à endurer, à supporter la souffrance et à faire preuve de fermeté psychologique bien supérieure à leurs adversaires.

Ayant vu des documentaires sur la vie quotidienne des soldats occidentaux, j’appuie l’analyse de G. Chaliand : ils sont là pour 6 mois, enfermés dans leur camp retranché confortable. Ils pratiquent la musculation, surfent sur le net et restent en contact quotidien avec leur famille. Ils ne sortent que pour de rares et dérisoires patrouilles à quelques centaines de mètres de leur bastion assiégé. Pas de véritable contact avec la population, dont on ne connaît ni la langue ni les coutumes. Ils restent entre eux, consomment leurs produits importés et restent psychologiquement en transit. Il y a peu de vrais combattants.

Et les talibans dans tout ça ? Ils ont importé avec succès les méthodes de combat de leurs « frères » d’Irak : attentats-suicides et surtout IED, notamment les mines antipersonnel, responsables du gros des pertes coalisées : un soldat qui marche dessus s’en tire au mieux avec une amputation des deux jambes à mi-cuisse. Les talibans pratiquent aussi des embuscades, parfois en infériorité numérique, toujours en infériorité d’armement.

Avec la population, ils usent de persuasion et de coercition. Les collabos sont exécutés. Les autres sont persuadés de rester au moins dans une neutralité bienveillante. Les talibans rappellent qu’ils viennent délivrer le pays des étrangers infidèles. Leur politique d’asservissement des femmes est en accord avec les traditions des populations rurales. Ce sujet est d’ailleurs un autre écueil de la coalition : il n’est pas bon de heurter de front les traditions ancestrales.

Ils se financent avec l’argent de la drogue florissante, qu’aucun camp ne souhaite ou peut éradiquer. Ils ont mis au point un système de prime pour motiver leurs troupes : les têtes de leurs ennemis (soldats étrangers, soldats afghans, collabos interprètes…) sont mises à prix.

L’auteur prétend que les services pakistanais aident les talibans. Je ne le rejoins pas sur ce point, car le Pakistan combat durement les talibans pakistanais. Le pays a d’ailleurs perdu plus de soldats que l’ensemble de la coalition. Il parait difficile d’armer les uns tout en combattant les autres alors les deux « espèces » de talibans sont en contact…

Avec raison, l’auteur affirme qu’il faut prendre garde à la propagande de son propre camp. Je ne serais pas surpris que le mythe de l’aide pakistanaise a été inventé pour justifier les échecs de la coalition… On a souvent besoin d’un bouc émissaire.

En conclusion, un essai passionnant qui permet d’y voir clair sur le pot de pus afghan.



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mercredi 23 novembre 2011

Lordius citoyen d’honneur de Yumington !

     De notre correspondant permanent à Yumington, Mick Rhofone. 

Lordius vient d’acquérir la précieuse citoyenneté de la Cité-État de Yumington. Il fait partie des rares personnalités, triées sur le volet, auxquelles cet honneur a été accordé. En effet, le Gouverneur de Yumington n’accorde la citoyenneté qu’au compte-goutte. Pas plus de dix certificats sont octroyés chaque semaine :


« J’ai conscience de faire partie d’une élite. C’est la récompense de mes années d’enquêtes dangereuses et sensationnelles sur le terrain de tous les périls. » nous a déclaré Lordius, le célèbre – et modeste – journaliste d’investigation.


Rappelons que Lordius s’est fait remarquer par le Gouverneur de Yumington à la suite de son retentissant article sur le Waldgänger. Il a frôlé la mort et le prix Pulitzer pour cet exploit. Notre aventurier moderne a bien voulu revenir sur sa prouesse :

« J’ai pris des risques fantastiques pour réaliser cette interview, plus dangereuse qu’un reportage en Afghanistan dans une zone infestée d’insurgés opiomanes et misogynes. Il faut savoir que Blake dit le Waldgänger, à l’époque, ne maîtrisait pas encore ses superpouvoirs. Quand j’ai enquêté sur ses faits et méfaits, le surhomme venait tout juste d’assassiner à mains nues le petit ami de sa propre fille. Alors, quand il s’est mis à parler dans mon micro, vous imaginez mon effroi quant aux possibles dommages collatéraux. »


Un bon journaliste doit toujours vérifier ses sources. Même quand il s’agit d’un collègue. Surtout quand il s’agit de Lordius, journaliste-écrivain célèbre pour sa mythomanie maladive qu’il rebaptise volontiers en créativité.

Vexé de sa mauvaise réputation, mais digne dans la souffrance, Lordius nous a fourni la preuve :



Lordius Lordius, comme Humbert Humbert, le narrateur de la Lolita de Nabokov. En moins détraqué, ou différemment…

lundi 21 novembre 2011

J'arrive, mon amour ! (nouvelle courte)

Bob avait les mains crispées sur les commandes du petit avion de tourisme, un Piper. Il fronça les sourcils tandis qu’il scrutait le tableau de bord. Son jeune et beau visage grimaça d’inquiétude : l’horizon artificiel ne fonctionnait plus ! Il ne pouvait plus guère naviguer aux instruments.
Détachant à regret son regard du tableau de bord défectueux, il reporta son attention sur l’extérieur. Difficile de piloter à vue en pleine montagne par ce temps épouvantable…
Malédiction ! Il n’aurait pas dû partir dans ces conditions météo défavorables. Une goutte de sueur froide perla à son front plissé par la concentration. Il esquissa un faible sourire et haussa ses épaules massives : Bill, son cher ami Bill, l’attendait. Hier soir,  il l’avait appelé et lui avait déclaré sous l'empire d'une envolée lyrique :
— Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la montagne, je partirai !
— Oh oui ! avait répondu Bill. Viens vite, je t’attends.
Ah, la fougue de la jeunesse ! Voilà dans quelle souricière elle l’avait mené… Il risquait de s’écraser en montagne à cause de son impatience.
Bill… Ils avaient fait les 400 coups ensemble pendant la guerre. Depuis, il n’était plus le même. Les femmes ne l’intéressaient plus vraiment. Elles lui semblaient fades, insignifiantes à côté du brillant et dynamique Bill. Sa fraîcheur de corps et d’esprit, et… Oui ! sa beauté même l’attirait.
Il rougit et jura. La honte le submergea. Bob était juif. Or le Dieu de la Bible, de l’Ancien Testament, était homophobe. Il exigeait la peine de mort pour l’échange de plaisirs entre hommes. Bah… Au diable la religion aliénante et les traditions arriérées ! pensa Bob. Il y avait bien assez d’humains sur Terre de nos jours. Trop même ! Bientôt, l’homosexualité sera recommandée pour raisons écologiques…
À l’heure du péril, il osait enfin voir clair dans son cœur. S’il devait mourir dans ces montagnes, que ce soit dans la franchise et la vérité ! L’urgence l’aiguillonnait.
Il aimait Bill. Il aimait son caractère, leurs loisirs communs qu’aucune cruche de femelle ne pourrait lui apporter, et puis aussi… Oui ! Le brouillard des cieux chassait celui de son cœur : il aimait le beau corps mince et musclé de son ancien compagnon d’armes. Sa vigueur qui… Oui ! Il s’avoua enfin que la vigueur virile de Bill promettait de lui donner un plaisir nouveau. Il avait toujours soif de nouveaux horizons et de découvertes. La douceur de Bill, aussi, touchait l’âme de Bob. Il voyait Bill à la fois comme un homme et comme une femme, le compagnon idéal.
Au téléphone, il avait bien senti à la voix de Bill que l’amour était réciproque. D’ailleurs, il n’avait jamais vu son ami avec une femme. Il devait brûler d’un désir ardent. À cette pensée, Bob sentit poindre un émoi physique.
Mais ce n’était pas le moment de rêvasser, que diable ! Il devait se concentrer sur le délicat pilotage. Il devait vivre. Pour Bill ! Pour leur couple à venir. Oui ! Ils allaient vivre la plus ardente histoire d’amour depuis Achille et Patrocle, Alexandre et Héphaïston, Simon et Garfunkel, tous ces couples flamboyants et immortels qui sont à des années-lumière des médiocres couples hétéros pourtant si nombreux.
L’homme et la femme ne se comprennent pas. Ils sont trop différents. Ils s’assemblent, péniblement, pour de sordides nécessités de perpétuation de l’espèce.
Tandis que deux hommes sont sur la même longueur d’onde ; la même longueur d’homme ! Surtout deux hommes jeunes qui ont fait la guerre ensemble, soudés comme les antiques guerriers spartiates. Deux hommes qui ont tué l’un pour l’autre. Quel couple hétéro peut connaitre cette extase, cette connivence, ce lien unique ? Tuer pour sauver, puis être à son tour secouru par le bras puissant de l’être aimé.
Ô Bill ! J’arrive, mon amour ! hurla-t-il intérieurement.
La tension physiologique devint insupportable, avivée par le frisson du risque, le danger de mort, comme à la guerre.
Bob jura tandis qu’il inclinait l’avion in extremis pour éviter une crête rocheuse. S’il s’en sortait, ce serait un signe. Le signe de l’amour ! Ses larges épaules nouées lui faisaient mal. Sa formidable poitrine était serrée par l’angoisse et le stress du pilotage.
Enfin la vallée ! Il éclata de rire pour libérer la tension nerveuse et se trémoussa pour tenter de diminuer celle de son bassin. Par radio, il demanda et obtint l’autorisation d’atterrir sur le petit aéroport.
Il retint son souffle au moment de poser les roues du coucou sur la piste : sans horizon artificiel, c’était chaud les marrons, comme disait Bill ! Mais il en avait vu d’autres à la guerre. Il avait fait preuve de courage à l’épreuve du feu. Saurait-il avoir l’audace de déclarer sa flamme ?
Ouf ! Il a réussi à atterrir. Il consulte sa montre : 30 minutes d’avance. Il a speedé à cause de la tempête. Bill sera-t-il à l’aéroport, à l’attendre ? Comme il est en avance, il va lui faire la surprise ! Un instant, il songe à lui offrir des fleurs. Mais non, voyons, cela ne se fait pas entre hommes !
Son cœur bat la chamade. Son cœur d’amoureux transi. Et si Bill le repousse ? Son cœur accélère encore, mais d’angoisse à présent, tandis que son émoi physique s’estompe. Non ! Cela ne se peut !
Vite, il quitte l’avion et il court jusqu’à la salle d’attente du petit aérogare. Bill est déjà là ! Il devait être tellement impatient qu’il est arrivé en avance. C’est bon signe !
Bill ne le voit pas à travers la vitre. Bob ressent l’envie de hurler son amour mais sa pudeur le retient. Soudain, il s’aperçoit que Bill parle avec un homme. Tiens, curieux... C’est alors que Bob a l’impression de prendre un formidable coup sur le crâne. Il titube, se retient de hurler sa douleur. L’inconnu serre brièvement la main de Bill en riant. La complicité entre les deux hommes n’échappe pas à la sagacité amère de Bob : ils sont amants !
Des larmes coulent sur ses joues. Il les essuie, secoue la tête avec dignité, comme un boxeur sonné qui s’accroche à la station verticale.
Quel crétin naïf ! Il s’est fait un film, comme un pitoyable héros de romance pour femelle…
Choqué, désemparé,  il va faire demi-tour. Mais Bill l’a vu ! Il lui fait signe. Alors, stoïque, le visage défait, il respire profondément et s’avance dans l’arène pour se faire déchiqueter par le lion de l’amour cruel et perfide.
— Mon pauvre Bob ! Tu en fais une tête !
— Oui… Euh… J’ai essuyé une tempête et mes instruments ont lâché…
— Ah ! Quelle joie de te voir sain et sauf, commandant !
C’est une vieille blague entre eux. Bill l’appelle commandant en souvenir de son grade pendant la guerre et Bob alors rétorque que c’est du passé. Mais cette fois, Bob reste silencieux.
— Prince des cieux, reprend Bill, je te présente quelqu’un qui brûlait de faire ta connaissance. Je lui ai tant parlé de toi, mon cher Bob.
Bob ne répond rien. Sa gorge est nouée. Sa volonté est tendue pour réfréner les larmes. Quelle pitié, pour un vétéran de la guerre, couvert de médailles militaires ensanglantées…
— C’est mon frère John !
Bob relève la tête, comme en transe. Il ne dit rien. Il prend Bill dans ses bras et l’embrasse sur la bouche.


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jeudi 17 novembre 2011

Critique littéraire : Les Américanoïaques de Rezvani



Né en 1928, Serge Rezvani est un artiste complet. Peintre, écrivain (romans et pièces de théâtre), auteur-compositeur de chansons. C’est lui qui a écrit pour Jeanne Moreau « Le tourbillon de la vie » et « J’ai la mémoire qui flanche ».
« Les Américanoïaques », publié en 1970, est une nouvelle burlesque, une délicieuse farce. Un couple de vieux clochards poivrots liquident à Cannes des marins américains à coups de bouteille, de « chopine ». Le style est délicieusement argotique. C’était l’âge de gloire de l’argot « littéraire » sous la férule du maître, San-Antonio et son Dard.
Rezvani a un talent humoristique sans égal, qu’il exprime merveilleusement dans la première partie. La seconde partie, plus sombre, se mue en satire politique et sociale, frôlant même le conte philosophique.
Comme son nom l’indique, l’œuvre est profondément américanophobe. Cependant, il doit être compris dans son contexte, la guerre du Vietnam.
Rezvani a indiqué qu’il n’écrirait plus un tel « pamphlet ». Mais sa déclaration date de l’an 2000, juste avant les invasions américaines d’Irak et d’Afghanistan…
Un texte à lire pour sa verve, son style exceptionnel, son humour vitriolique.

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lundi 14 novembre 2011

Roman marquant : Terre des Hommes de Saint-Exupéry

Ah, Saint-Exupéry, dit Saint-Ex ! Le plus grand ambassadeur de la littérature française. Son chant du cygne, Le Petit Prince (1943) s’est vendu à plus de 130 millions d’exemplaires à travers le monde. Qui arrive en second ? Loin, loin derrière, La Peste de Camus avec 12 millions. Dans le monde, s’il y a un seul livre français que les gens ont une petite chance d’avoir lu, c’est Le Petit Prince. 
Peu après l’achèvement de son conte philosophie et poétique, Saint-Ex a tiré sa révérence en 1944. Il s’est très vraisemblablement suicidé en jetant son avion dans l’eau à grande vitesse à la verticale.
Mais parlons de « Terre des Hommes », publié en 1939. Dans cette œuvre autobiographique, l’auteur rend hommage aux pionniers de l’aviation française, les mythiques Mermoz et Guillaumet qui furent ses amis.
Saint-Ex raconte ses rencontres aériennes avec la terre, et terrestres mais aussi affectives avec les hommes. Les récits sont l’occasion pour l’auteur de nous faire partager sa vision sur de nombreux thèmes philosophiques : l’argent, la mort, l’héroïsme, la liberté, l’amour, le progrès, la vie citadine sédentaire (qu’il a en horreur) comparée à la vie en communion avec la nature, la terre. Saint-Ex philosophe ainsi sur la condition humaine, avec en toile de fond, son humanisme fervent.
Plusieurs passages de cette œuvre sont restés célèbres. « Ce que j’ai fait, je te le jure, aucune bête ne l’aurait fait. » :  Guillaumet à Saint-Ex, juste après son sauvetage miraculeux dans les Andes. Et aussi la tirade finale sur « Mozart qu’on assassine ».
Une œuvre profonde, touchante, marquante, philosophique. Un grand classique du XXème siècle.
Ce roman est dans le domaine public au Canada. Pour la France, il faut patienter…


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jeudi 10 novembre 2011

Nouvelle courte : Le dernier match

            L’arbitre s’apprête à donner le signal de jeu, le snap. La foule hurle. Ma tête va exploser. C’est le coup que j’ai pris tout à l’heure. Toute réflexion m’est douloureuse. Il faut pourtant que j’annonce à l’équipe la tactique de jeu.
            Mon esprit est scotché par le score : 20-25, 20-25, 5 de moins… On a 20 secondes pour marquer un touchdown, un essai. Le gros lot ou la dérouillée.
            — Yellow, Red, two ! hurlé-je le code en grimaçant.
            Feinte de passe et jeu au sol.
            Non, c’est con comme idée. Trop tard. Si seulement j’arrivais à réfléchir. C’est le rôle du coach, normalement. Mais avec le coup sur le crâne que j’ai encaissé, je me rappelle plus ses instructions. Bah, qu’il aille au diable. JE suis la tête pensante de l’équipe. Le quaterback est l’âme du jeu. D’un bref regard, j’embrasse l’équipe sur le banc de touche. Debout à la limite du terrain, un vieux gros se trémousse, sur le point de manger sa cravate saugrenue. Sacré Coach, pile électrique hurlante, pantin pitoyable au cœur fragile.
            L’arbitre siffle. Mes wide receivers, ailiers éloignés, s’élancent. Pour de faux, puisque nous feignons. Mais ils font bien semblant. Ils jouent le jeu. Pour moi, ce n’est pas un jeu. C’est très sérieux. Si on gagne ce dernier match, on monte en NFL. La consécration, à mon âge !
            J’esquisse le geste de lancer et je donne discrètement au running back. Mais la défense n’est pas dupe. Elle se rue sur le porteur du ballon.
            Je ne raisonne plus. Seule une intuition venant de mon inconscient, de mon expérience, me traverse. L’instinct ancestral. Prémonition fulgurante ou bourde monumentale ? Moi, le quaterback, je cours derrière mon running back et le précieux joyau qu’il couve. On n’a jamais vu ça, dans aucun cahier de schémas de jeu d’aucun coach. Mais j’emmerde les coachs. Comme j’emmerde ceux qui prétendent que je suis fini.
            Notre running back se transforme en stop down : il est plaqué avec vigueur par deux malabars bardés de muscles d’acier et d’acier grillagé protecteur. Le choc est si fort qu’il lâche le ballon. Fumble, ça s’appelle !
            Mais le vieux Joe est là, en embuscade : son intuition vaut bien la vigueur de la jeunesse. Je récupère le ballon avant l’adversaire. Ouf ! L’arbitre siffle. La foule est en délire. Mes joueurs sont aux anges. C’est mon heure de gloire. Si seulement je pouvais prendre un antalgique… Ma tête… Et mon épaule gauche aussi… Ces fumiers ont tenté de la déboîter. Une chance que je sois droitier.
            Restent 15 secondes, 3 tentatives pour grappiller 8 yards.
            J’ai besoin d’un temps mort. J’en peux plus dans mon corps, dans ma tête. Faut recharger mes munitions intuitives. Mais on a pris tous nos temps morts, gaspillés par ce crétin de coach au gros cul, qui fait rien que me prendre la tête. Oh, ma pauvre tête… Il est trop dans ses schémas théoriques, gras-double. Ce qui compte, c’est l’humain. Et l’intuition.
            Il me fait des signes depuis le banc de touche, frénétique et pathétique vieillard sédentaire. On dirait un parkinsonien en phase terminale. Théoricien autiste. Moi aussi, j’ai envie de lui faire un geste. Mais pas devant les 2000 spectateurs. Et faut penser au moral de mes troupes.
            L’humain… Le jeu… Qui n’en est pas… La gloire… La douleur…
            — Blue, Red, One ! je braille.
            Ce sera une passe. C’est ce que tout le monde attend. C’est pourquoi ça peut marcher. Ou pas… J’aurais besoin de temps pour analyser… Et faire passer la douleur dans ma tête.
            Signal de jeu, indique monsieur l’arbitre. Les linemen se castagnent dur. Les ailiers s’éloignent à toutes jambes. Du coin de l’œil, je vois un joueur adverse se ruer sur moi. Je me débarrasse du ballon trop vite. Passe ratée. Déjà bien qu’il y ait pas eu interception.
3ème essai. Encore 2 chances. Et 12 secondes. Coach est tout rouge. Il va nous faire une apoplexie. Ça nous ferait des vacances. Carnassiers, nos adversaires sourient derrière leur armure faciale. Ils me font des signes moqueurs et menaçants. Ils croient tous que le vieux Joe est bon pour la casse. C’est le score que le vieux Joe va casser ! Montre-leur, Joe. Casse leurs espoirs ! Enflamme la foule et les pom-pom girls.
Merde ! Une douleur déchirante à la poitrine ! J’ai jamais ressenti ça. Dernier match de la saison, heureusement. Ensuite révision générale avant la prochaine saison en NFL. Ah ! La prestigieuse National Football League ! Ou bien la retraite… Non ! Plutôt crever ! Le jeu, c’est ma vie. Sans le foot, j’existe plus. Faut gagner coûte que coûte. Ma volonté est tendue à m’en déchirer le cœur.
Allez, une annonce de couleurs et chiffres, comme au casino :
— Red, Black, three !
D’ailleurs ma tactique est aussi aléatoire que le casino. La raison m’échappe. Reste la souffrance. Et l’instinct.
Passe longue, plus le choix. Les excités d’en face le savent. Ils salivent à la perspective de la curée. Le vieux cerf est blessé, mais il va échapper aux chasseurs. Courage, vieux Joe.
Signal de jeu. Les receveurs filent. Pas UN de démarqué ! Bougez-vous, jeunesse ! Vite ! Ah, voilà ! J’arme le lancer. Choc formidable ! Dans mes côtes. Saqué grave. Au sol. Pas lâché ballon. Monde autour. Plus mal tête. Mal poitrail. Longtemps couché. Soigneurs relèvent cerf. Hurlent un truc. Pige pas. Mais devine. Hoche tête. Apte ! Tenir… Encore un peu…
Dernière tentative. Coach est fâché à mort. À mort… Je donne pas de code cette fois. Tous savent que ce sera un ave maria : passe en profondeur pour couvrir les 40 yards d’un coup. Quitte ou double, comme au casino. Ruiné ou la banque explose.
C’est ma poitrine qui est explosée. Tenir… Ma main tremble. Bonjour la passe précise… C’est cuit. Alors buvons le calice de sueur jusqu’à la lie du sang.
Signal de jeu. Les receveurs foncent. Encore marqués ! Empotés ! Linemen tiennent. Quand même ! Peux pas tout faire ! 40 yards. Énorme ! Une ouverture. Aucun quaterback ne courrait 40 yards. Donc peut marcher ! Fonce, Joe ! 6 secondes !
10 yards : cris adverses. Longs à piger. Gros muscles, petits cerveaux.
20 yards : Un gusse tente plaquage. Je bloque. Du bras gauche. Épaule gauche disloquée. Adrénaline max. Cœur à fond.
30 yards : Vais être pris en sandwich. Accélère. Ma poitrine…
38 yards : Il plonge. Sur moi. Je plonge. En avant. Touchdown ! Plaqué. Poitrine broyée.

Écran noir.

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lundi 7 novembre 2011

Critique littéraire : Une sacrée mamie, vol. 1 (manga)

Scénario : Yoshichi Shimada
            Dessin : Saburo Ishikawa
Date de parution au Japon : 2006. En France : 2009
            « Une sacrée mamie » est tiré d’un roman de Youshichi Shimada vendu à plus de 4 millions d’exemplaires et adapté en série télévisée et au cinéma.
           
            C’est l’histoire d’un enfant dont la maman est si pauvre qu’elle doit le confier à sa mère (la mamie donc) qui vit à la campagne, au Japon, en 1958. La mamie est très pauvre aussi, et la vie est très difficile, mais le garçon s’adapte courageusement. Mais attention ! Quand on dit pauvre à cette époque, ça n’a rien à voir avec les pauvres actuels, chômeurs souvent bedonnants et râleurs. Dans notre société, seuls les SDF connaissent cette pauvreté du Japon de 1958 qui flirte avec la disette : le garçon est obligé parfois de sauter le repas du soir. Et les protéines animales sont un luxe rare.
            À cette époque, il n’y avait pas de congés payés et les gens travaillaient deux fois 35 heures par semaine. Aussi, sa maman a mis une année avant de trouver le temps de passer deux jours avec son jeune fiston. On est à des années-lumière des « aventuriers » pitoyables de Koh-Lanta qui pleurnichent quand ils n’ont pas vu leur progéniture depuis une semaine…
            Le thème principal du manga est la dignité dans la pauvreté. L’enfant apprend qu’il n’est pas honteux d’être pauvre, de s’habiller avec des vêtements reprisés et de ne pas pouvoir pratiquer les sports à la mode (judo, kendo) par manque d’argent.
            Un autre thème est la solidarité campagnarde. La mamie, pourtant très démunie, donne parfois de la nourriture à une famille qui en a encore plus besoin. À l’école, il n’y a pas de méchant élève pour pourrir la vie du héros, comme c’est souvent le cas dans les romans de jeunesse afin de créer une tension, un conflit. Inutile ici, car le grand ennemi est la misère.
            On manque de tout, sauf de joie. Jamais l’histoire ne sombre dans la mièvrerie mélodramatique. Les personnages, suivant l’exemple de la mamie, sont heureux de vivre dans l’adversité, là où chez nous, qui croyons que tout nous est dû, une telle situation déclencherait des émeutes contre la faim et une grève générale, pas seulement chez les fonctionnaires.
            Le dessin offre une grande expressivité des visages des personnages. Mais assez écrit, place aux illustrations :





           
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