mardi 27 mars 2012

Revue du plus extraordinaire récit de voyage depuis Marco Polo

Titre : En Afghanistan   
Auteur : Rory Stewart
Éditeur : Albin Michel
Date de parution : 2009 en français & 2004 pour l’édition originale en anglais
Genre : Récit de voyage 

Ce jeune homme écossais est un grand voyageur : il a parcouru à pied l’Iran, le Pakistan et le Népal. Début 2002, alors que le gouvernement afghan de Karzai est tout frais, il décide de marcher de Hérat (à l’ouest) jusqu’à Kaboul : des centaines de kilomètres dans la montagne en plein cœur de l’hiver. Dans la vallée de Ghor : l’Unesco la qualifie de « ceinture de la faim » et prophétise 100 000 morts cet hiver là.

Heureusement, notre narrateur sait que les prévisions des humanitaires sont souvent de la foutaise alarmiste afin d’attirer les dons. Il part donc le cœur vaillant, avec son bâton de marche et son sac à dos. Il a un don pour les langues : il a appris le persan en Iran en discutant avec les villageois. Il arrive tant bien que mal à communiquer avec les Afghans de la région qui parlent le dari, un dialecte du persan.

À chaque village d’étape, il demande l’hospitalité que les musulmans ne peuvent refuser, même s’ils se font parfois tirer l’oreille. Il en profite pour demander des lettres de recommandation ainsi que son chemin à travers la montagne : il n’a pas emporté de carte précise par crainte de passer pour un espion. En humaniste, il discute avec les villageois pour comprendre leur mentalité, leurs coutumes, leur essence.

Leur vie est rude : souvent on ne peut lui offrir que du pain sec arrosé de thé. Il dort par terre dans une salle commune. Il n’y a ni électricité, sauf exception, ni eau courante, ni médecin. C’est marche ou crève, pour lui comme pour les autochtones, malgré la solidarité. Les villageois ont beaucoup souffert, même dans les montagnes peu accessibles, de plus de 20 ans de guerre

Les conditions climatiques du périple sont extrêmes : il a souvent de la neige jusqu’aux genoux voire plus haut, la température descend à -20°, les cols montent au-dessus de 4000 mètres. Il tombe parfois malade, se demandant s’il va mourir. Son audace, son énergie, sa débrouillarde et sa frugalité sont époustouflantes.

Le récit est aussi celui d’une très émouvante amitié entre un homme et un chien.

Sa tchatche et sa grande connaissance de l’islam combinées à sa psychologie le tirent parfois d’embrouilles avec des Afghans mal intentionnés. Mais globalement, il est traité avec respect.

Son érudition est immense. Au cours de son périple, il s’intéresse à l’histoire, à l’architecture, à l’archéologie et surtout à l’ethnologie : les humains.

Dès 2002, il explique que l’aide en Afghanistan ne peut réussir par manque de connaissance des Afghans. Les bureaucrates décideurs ne se déplacent pas dans les villages où vivent 80 % de la population. Ils déploient l’internet haut débit à Kaboul tandis que le gros de la population dans les campagnes manque de presque tout.
 

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Appui feu en Afghanistan (récit de guerre)

mardi 20 mars 2012

Critique littéraire : Suétone. Vie des douze César - Auguste

Suétone fut un érudit et historien latin du début du IIème siècle après J.C. Son œuvre principale est Vie des Douze Césars, découpée en douze livres. Le livre II est consacré à Auguste, le premier et légendaire empereur qui régna plus de quarante ans au cours du Ier siècle avant J.C.

Suétone avait accès à des sources aujourd’hui en partie perdues comme les archives impériales. C’est pourquoi son ouvrage est précieux, même si l’auteur n’hésite pas à parfois colporter des ragots, particulièrement pour les empereurs « fantasques » qui ont suivi Auguste.

Son ouvrage est découpé en rubriques qui traitent chacune d’un thème. Concernant les agissements publics d’Auguste, comme les faits ne sont pas présentés chronologiquement, il est préférable de connaître un peu ce qui s’est passé à son époque.

Mais à mon avis, ce qui est vraiment intéressant, ce sont les rubriques qui décrivent l’homme qu’il était en privé, dans l’intimité, l’envers du décor, un peu comme dans un Paris-Match antique.

Certaines révélations sont assez cocasses. On aurait pu l’imaginer bon à l’écrit en latin, d’autant qu’il écrivait des œuvres de fiction. Eh bien, pas du tout, Suétone nous informe avec diplomatie qu’il prenait beaucoup de liberté avec la grammaire.

Auguste était un moraliste austère en public : il a fait voter de nombreuses lois par le Sénat pour veiller à ce que son peuple respecte les bonnes mœurs, sans trop de succès. Or il a enlevé la femme mariée et enceinte d’un citoyen romain, celle qui est devenue sa femme Livie.

Par ailleurs il semble bien qu’il ait été homosexuel dans sa jeunesse, comme son oncle César et son successeur Tibère. On pourrait être tenté de penser que le gène de l’homosexualité courait dans la famille des Julio-Claudiens, sauf que Tibère n’avait pas de lien de sang avec Auguste, il était le fils de Livie.

Suétone rapporte aussi que Livie pourvoyait régulièrement l’empereur en maîtresses, lui qui prônait la fidélité à grands cris…

Dernière anecdote, intéressante sur le plan psychologique : Auguste raffolait de jouer aux dés, c’était son loisir favori. Il existe deux types de jeu : le jeu de hasard et son opposé, le jeu de réflexion, de compétition, comme les échecs. On peut penser qu’Auguste, grand travailleur, passait sa journée à réfléchir et décider. Aussi, pour se délasser, il lui était apaisant de laisser le hasard décider, de se retrouver à égalité avec son entourage.

En conclusion, cet ouvrage est assez passionnant parce qu’on a l’impression de toucher du doigt l’homme qu’était Auguste derrière la façade de l’empereur tout-puissant.

Lu sur Amazon Kindle pour le club des lecteurs numériques.
 
Disponible en ebook gratuit.


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mardi 13 mars 2012

Critique de Hellblazer : Hard Time (BD)

Titre : Hellblazer
Sous-titre : Hard Time
Dessinateur : Richard Corben   
Scénariste : Brian Azzarello
Genre : Comic noir abyssal – Pour lecteurs avertis
 

Hellblazer alias John Constantine est un anti-héros, truand louche et antipathique. On ne sait pas trop s’il est magicien, sorcier ou simplement très débrouillard. Il est énigmatique et dévastateur.

Quand il arrive dans une prison glauque à vomir, tout ce qui l’intéresse, c’est de fumer en paix. Il est obligé de mettre au pas plusieurs bandes bien trash : les musulmans, les néo-nazis, etc… C’est facile pour lui au début, donc très pénible pour les bandes qui lui cherchent des noises. Mais quand il tombe sur le parrain de la prison, ça se gâte. Le parrain, il a rien à perdre : il est déjà condamné à perpète. Alors un meurtre de plus ou de moins…

L’univers carcéral décrit est si sordide, crû, violent, trash et malsain que j’ai dû faire attention en choisissant les planches d’illustration. Soyez avertis, donc, c’est du vitriol pour les yeux les plus sensibles…

Le scénario aux dialogues croustillants est mis en valeur par le dessin époustouflant. Le corps des personnages boudinés est humoristique. L’expressivité de leur visage est admirable.

Efficace, accrocheur, prenant aux tripes, voilà une BD américaine marquante.








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mercredi 7 mars 2012

Critique de livre : Appui feu en Afghanistan

Titre : Appui feu en Afghanistan
Auteurs : Sergent Paul Bommer Grahame & Damien Lewis
Date de parution : 2010 pour l’édition originale en anglais ; 2011 en français
Éditeur : Nimrod
Genre : autobiographie militaire – récit de guerre

L’action se passe en Afghanistan en 2008. Bommer est un sergent britannique. Il est JTAC, contrôleur d’appui feu aérien. Posté au sol, au plus près des combats qu’il doit avoir en visuel, il dirige par radio les frappes aériennes.

Cette fonction n’est pas nouvelle mais c’est en Afghanistan qu’elle est exploitée au mieux. Bénéficiant de la suprématie aérienne (les insurgés n’ont ni aviation ni défense anti-aérienne), la coalition cause quasiment l’ensemble des pertes ennemies par frappes aériennes. Les soldats au sol ont beau tirer comme des malades, ils ne réalisent que des tirs de couverture qui ne touchent presque jamais l’adversaire. Celui-ci a aussi son arme de prédilection, dans cette guerre profondément asymétrique : l’essentiel des pertes coalisées sont le fait d’IED (les engins explosifs improvisés) et, rarement, de tirs de snipers.

Voila comment se déroule une frappe aérienne typique. Le JTAC commence par donner au pilote les coordonnées GPS des troupes amies. La plus grande hantise de l’attaque aérienne, ce sont les tirs amis. Ensuite, le JTAC indique la position de la cible (en général quelques insurgés faiblement armés) à bombarder. Les bombes à guidage GPS (JDAM) ont besoin des coordonnées GPS. Après, il indique au pilote la munition à utiliser. La bombe ne doit pas être trop grosse pour ne pas risquer de toucher les troupes alliées à proximité. Enfin, le JTAC indique la direction d’attaque que doit suivre l’avion pour éviter l’effet de souffle aux troupes alliées. Après l’explosion, le pilote refait une passe pour évaluer les dégâts.

Bommer travaille, suivant la disponibilité, avec un grand nombre d’appareils de diverses nationalités coalisées : avions de chasse F-15, F-16, F-18, Mirage, Harrier ; bombardiers A-10, B-1B ; hélicoptères d’attaques Apache et Lynx ; drones Predator. Détail cocasse, Bommer apprécie tous les pilotes, sauf les Français qu’il trouve médiocres.

L’un des objectifs de l’ouvrage est de glorifier les armées britanniques. Les auteurs en font des tonnes : les soldats anglais n’ont jamais peur, ont toujours le moral, etc… On se demande même pourquoi la guerre piétine militairement avec de telles troupes d’élite…

Mais en fait, sans le vouloir, les auteurs couvrent de gloire les insurgés. Ces hommes sont écrasés sous les bombes, de jour comme de nuit, dès qu’ils se manifestent. Ils sont en immense infériorité d’armement, de logistique, de soins et de moyens de communication. Leurs communications sont d’ailleurs interceptées par la coalition et traduites en temps réel par les interprètes. Les insurgés acceptent des taux de perte de 1 contre 100. Malgré cela, ils tiennent bon et ne cessent de harceler les soldats de la coalition.

Chaque camp met dans la balance les ressources dont il dispose. Pour les insurgés, des vies humaines. Pour la coalition, des milliards et des milliards de dollars. Comme les dettes des États de la coalition sont en bout de course, il sera difficile de se lancer à l’avenir dans de nouvelles guerres néocoloniales. N’est-ce pas un effet positif des déficits budgétaires ?

Un ouvrage passionnant sur la guerre moderne. On veillera juste à ne pas se laisser intoxiquer par l’aspect propagandiste.



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       Journal d’un soldat français en Afghanistan