mardi 25 septembre 2012

Sketch : L’hommage posthume à Patrick R.


Patrick représentait la quintessence de l’autodidacte à la française. Quand un self-made-man à l’américaine entre dans une firme sans diplômes, il en devient le dirigeant après vingt ans de dur et brillant labeur. Patrick lui aussi entra dans l’entreprise sans diplômes, mais se révéla plus foudroyant qu’un Américain : en cinq ans à peine, il prit la succession du patron… son papa Paul.

Patrick et son papa se sont battus toute leur vie pour défendre les traditions françaises les plus ancestrales. De toutes leurs forces, ils ont lutté contre le déclin de la consommation d’alcool en France. Aujourd’hui le peuple français mange de plus en plus, mais boit moins, hélas ! S’il se trouvait encore parmi nous, Patrick dirait que nous sommes devenus comme des légumes bourrés… d’engrais, mais manquant d’arrosage. Toute sa vie, il a œuvré pour faire connaitre aux jeunes générations les joies de l’ivresse, l’insouciance de l’éthylisme et les paradis naturels des produits du terroir fabriqués avec amour, avec la passion du missionnaire prosélyte. En effet, Patrick était un prêtre de la religion moderne, la philanthropie : ne proposait-il pas aux pauvres, tel un Saint-Vincent-de-Paul moderne, le seul paradis à la portée des bourses indigentes ? Oui ! Patrick s’est montré solidaire des plus démunis !

De plus, son humanisme désintéressé débordait des frontières hexagonales : dans un élan visionnaire prophétique de profits, il a internationalisé son sacerdoce, baptisé généreusement de son goupillon calibre 45 % anisé, au nom de son père, de lui-même et du spiritueux tant de peuples qui souffraient de soif à l’heure du réchauffement climatique et de l’ennui angoissé au temps du chômage.

Alors, bien sûr, Patrick restait un être humain avec ses défauts. Confessons-le sans ambages : c’était un salaud de riche. Toutefois, il a toujours payé ses impôts en France, ou du moins les réinvestissait-il aussitôt dans son entreprise. Et puis il a créé et, fait rarissime, maintenu des emplois locaux. Car l’alcool, comme les armes, constitue un produit stratégique que la France, au nom de sa souveraineté nationale et en vertu de ses ingérences internationales, ne peut pas se permettre de sous-traiter à l’étranger. Surtout, Patrick sacrifia son corps à son entreprise, en goûtant lui-même les produits à la sortie de l’usine : honorons sa conscience professionnelle et son souci de contrôle-qualité.

Et puis, Patrick possédait une profonde conscience sociale, un civisme irréprochable. Alors que les caisses de retraite prennent l’eau de toutes parts parce que les vieux refusent de mourir, Patrick a donné l’exemple en nous quittant juste avant la retraite, pour sauver les jeunes générations de la dette écrasante qu’il leur faudra oublier en buvant et surtout éponger à la sueur du front, si possible, de la génération suivante. Il a tiré sa révérence après avoir accumulé le double d’annuités de travail d’un salaud de privilégié, ratpiste fumiste ou député sans valeur ajoutée.

Bill Gates, un autre philanthrope, donne un peu de son argent. Patrick, Christ moderne, donna son corps tout entier en sacrifice à l’humanité !
 

 

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mardi 18 septembre 2012

Critique : Trente jours de nuit (bande dessinée)


Scénariste : Steve Niles
Dessinateur : Ben Templesmith
Éditeur : Delcourt
Date de parution : 2003 pour la version originale anglaise
Genre : horror survival, horreur / épouvante
 

Il existe deux types principaux d’histoires de morts-vivants : les zombies depuis 1968, année du film culte La nuit des morts-vivants et les vampires depuis 1897, année du roman mythique Dracula de Bram Stoker.

Trente jours de nuit traite du second cas. Au fin fond de l’Alaska, dans un petit village isolé, des vampires attaquent. La nuit arctique y dure un mois, ce qui fait bien les affaires des vampires qui craignent la lumière du soleil.

Alors ils massacrent et se gavent de sang après avoir coupé les communications entre le village et le reste du monde. Seule une poignée de villageois se terre. Arriveront-ils à trouver un stratagème pour survivre ? L’amour entre un homme et une femme peut-il les sauver ?

Thème classique, mais histoire prenante. Le dessin paraît particulier au premier abord. Il est blur, flouté. Les couleurs prédominantes sont le rouge du sang et le gris de la nuit enneigée arctique. On se rend vite compte que ce dessin contribue grandement à l’ambiance oppressante de l’histoire. Un peu comme une peinture artistique : plutôt que d’imiter la réalité, il la transcende pour faire naître en nous des émotions.

Une excellente bande dessinée de vampires, bourrée de bonnes idées scénaristiques, pour lecteurs assez avertis (16 ans à mon avis).

Un film américain de David Slade a adapté cette bande dessinée en 2007.



 

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mardi 11 septembre 2012

Nouvelle courte : Le Maître des Ours


Osamu avait huit ans quand sa mère mourut dans les bombardements au Japon, en 1943. Depuis, sa mamie s’occupait de lui. Un an après, son père était revenu du front, en permission. Osamu rayonnait de joie ! Il croyait que son papa resterait toujours. Quand celui-ci avait annoncé qu’il devait repartir, Osamu avait beaucoup pleuré. À l’école, l’instructeur militaire avait expliqué qu’il fallait combattre l’ennemi américain de toutes ses forces. C’est ce qu’Osamu avait fait. Il avait perdu toutes ses forces quand sa maman était morte. Maintenant, il n’en avait plus, des forces, pour laisser mourir son papa. Osamu avait décidé que celui-ci ne retournerait pas à la guerre. Il aimait le Japon, il était patriote comme disait l’instructeur, mais il aimait son père encore plus.

En ces temps troublés, on ne pouvait pas circuler au Japon sans papiers. Osamu était très malin : il vola les papiers de son papa, laissa à la place un petit mot pour le rassurer, et s’enfuit dans la grande forêt. Il ne reviendrait au village qu’à la fin de la guerre. Il craignait de vivre seul dans la forêt, mais l’idée de perdre son papa l’effrayait encore plus.

Les villageois le cherchèrent. En vain : il s’était dissimulé dans les hauteurs d’un grand arbre.

Il avait peur, la nuit surtout. Il faillit rentrer au village après avoir enterré les papiers sanguinaires, quand il se lia d’amitié avec un autre habitant de la forêt : une ourse brune qu’il avait délivrée d’un piège mis en place par des chasseurs. Souvent, il jouait avec elle. Il avait même réussi à force de patience, comme seuls les enfants en sont capables, à lui faire comprendre une trentaine de mots, car les ours sont très intelligents. Quand la nuit était froide, il dormait même lové dans la fourrure de l’animal.

Osamu connaissait les plantes comestibles de la forêt, comme tous les villageois, et, à sa surprise, mangeait mieux en forêt qu’à la maison où de terribles rationnements sévissaient. Il avait toute la journée pour cueillir, alors qu’au village il fallait aller à l’école et suivre les cours d’instruction militaire si ennuyeux.

Un jour, grâce à son odorat aiguisé, l’ourse l’informa de l’arrivée d’intrus sur leur territoire. Ils suivirent la piste et se hâtèrent en entendant des cris : deux soldats étaient en train de rouer de coups un civil.

Le cœur tremblant, Osamu reconnut son père. Il n’eut qu’un mot à dire, et l’ourse se jeta par surprise sur les deux soldats. Elle les tua, car il le fallait.

— N’aie pas peur, papa ! cria Osamu. L’ourse est mon amie.

— Osamu, que… que fais-tu là ?

Le garçon ressentait tant de bonheur de revoir son papa ! Il se jeta dans ses bras. L’ourse les regardait comme si elle comprenait leur bonheur.

— Tu es venu à ma recherche ? demanda Osamu.

— Non, j’ai déserté. Je me cachais dans la forêt quand ces deux soldats m’ont rattrapé.

Osamu lui raconta sa fugue et lui rendit ses papiers. Son père déclara :

— Nous resterons tous les deux dans la grande forêt tant que la guerre durera.

— Tous les trois, corrigea l’enfant.

C’est ainsi que naquit la légende d’Osamu, le Maître des Ours appelé aussi l’Enfant Roi de la Forêt, un héros mythique très connu au Japon et même en Chine.

 

En hommage à l’enfant que fut Osamu Tezuka.

 

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mardi 4 septembre 2012

Critique de : Un voyage chez les Aïnous


Titre : Un voyage chez les Aïnous
Sous-titre : Hokkaïdo - 1938
Auteurs : Arlette et André Leroi-Gourhan
Date de parution : 1988
      Genre : essai d’ethnologie / anthropologie
 
Les Aïnous sont les premiers habitants du Nord du Japon, arrivés à la préhistoire bien avant les peuples mongoloïdes. On ne sait pas exactement d’où ils viennent. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne ressemblent pas aux Japonais. Ils sont de type caucasien : peau pâle, yeux non bridés, système pileux très développé.

Quand le couple d’anthropologues belges Leroi-Gourhan va les étudier en 1938 sur la grande île Hokkaïdo, ils mènent encore la vie de leurs ancêtres, même s’ils importent quelques produits japonais comme le saké, les pointes de flèche en métal ou pour les plus riches, le fusil.

Sur Hokkaïdo, gibier et poisson abondent. L’hiver se fait particulièrement rigoureux, l’océan allant jusqu’à glacer près des côtes. Les sédentaires Aïnous sont regroupés en villages de huttes construites en paille, roseau et bois. Ils ne cultivent pas la terre.

Comme tous les peuples aborigènes, ils opèrent une nette division du travail entre sexes. Les femmes pratiquent la cueillette, s’occupent des enfants et tissent. Les hommes chassent, pêchent et travaillent le bois qui est leur matériau de base pour tous les objets. Suivant la saison, ils chassent l’ours à l’arc avec des flèches empoisonnées à l’aconit, le cerf, pêchent le saumon, le phoque, et jusqu’au XIXe siècle, ils pêchaient même la baleine au harpon sur de frêles barques en bois.

Ils pratiquent la religion animiste (qui est encore de nos jours la quatrième au monde). Ils croient que toutes les manifestations de la nature sont animées par un esprit. Ça leur fait beaucoup d’esprits à honorer et surtout à ne pas fâcher. Comme tous ceux qui croient en l’au-delà, ils sont superstitieux, souffrent des contraintes imposées par les rites et se consolent en espérant la vie après la mort. Il n’y a ni prêtre ni chaman, aucun guide spirituel, car la spiritualité est suffisamment forte en eux.

Ils pratiquent (de moins en moins) la fête de l’ours. Quand ils chassent les ours adultes, ils ramènent au village le bébé. Il est alors élevé dans une famille, allaité par la mère comme le bébé humain ! Quand il devient trop fort, on le met en cage. Puis on organise une grande fête qui dure trois jours, pendant laquelle on invite les parents d’autres villages, on boit force saké, on met l’ours à mort au cours d’une cérémonie religieuse et on le mange.

Le livre est bien écrit, sans longueurs ni jargon abscons (contrairement à beaucoup de livres sur la préhistoire) et remarquablement illustré par des photos et des dessins. On déplore juste quelques sujets non traités, comme la régulation des crimes.

Les Japonais ont essayé d’introduire chez les Aïnous l’agriculture, et plus généralement le mode de vie civilisé. Mais les Aïnous préféraient rester libres et pauvres, plutôt que d’obtenir le confort au prix des contraintes aliénantes de la civilisation.


Famille Aïnou, 1904
Chasse à l'ours

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