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lundi 11 novembre 2013

Critique : Bakuman (manga)


Nombre de volumes : 20
Scénariste : Tsugumi Ōba
Dessinateur : Takeshi Obata
Date de parution : 2008-2012 au Japon
Genre : Shônen et romance 

Mashiro possède un don pour le dessin. Il veut suivre la voie de son oncle qui fut mangaka. Takagi, le premier de la classe, écrit des scénarios. La passion du manga et l’ambition dévorante les rapprochent. Du haut de leurs 14 ans, ils décident de devenir des mangakas professionnels. Mieux, même ! De devenir les meilleurs. Et vite ! Avant 18 ans, parce que Mashiro a hâte de se marier. Or sa romantique dulcinée lui a interdit de l’approcher tant qu’il n’a pas percé. Alors, il est motivé à fond !

Ce manga, dont un anime a été tiré, a connu au Japon un immense succès, plus de quinze millions de copies vendues. Pourquoi ?

Pas grâce au dessin, à mon avis. J’ai calculé que le dessinateur a produit un tome tous les deux mois, soit cent planches par mois ! Même avec une armée d’assistants, le résultat ne peut être que médiocre, bâclé et stéréotypé.

L’intérêt vient de l’originalité du scénario. Un manga de type shônen s’adresse aux garçons, enfants et adolescents. Or Bakuman comporte aussi un thème romance apte à séduire les jeunes filles (manga de type shôjo).

On y trouve certains stéréotypes du genre nekketsu : jeunesse du héros, rêve idéaliste, pureté, exaltation extrême. Par contre, l’univers n’est pas l’habituel fantastique manichéen affublé de monstres à combattre. L’histoire se passe dans le Japon quotidien, sans violence ni action physique. Ainsi les jeunes lecteurs peuvent s’identifier à ces deux héros ou à leur fiancée respective.

Qui n’a pas rêvé de percer comme artiste ? Devenir dessinateur ou scénariste ? Mangaka, la classe ! Ce manga du manga permet de s’instruire en se divertissant. Même si l’histoire est fictive, elle nous éclaire sur le monde professionnel des mangakas. Elle propose surtout à partir du tome 2, des pistes de réflexion sur l’art de raconter une histoire et sur le ciblage d’un public.

En outre, il est naturel que le jeune lecteur identifie les deux héros aux deux auteurs. L’impression d’autobiographie renforce habilement la crédibilité de l’histoire qui en a souvent bien besoin... Mais quoi ! Il faut bien transcender la basse réalité, et Ōba y parvient à merveille.

À noter que Ōba est un pseudo : le scénariste cache habilement sa vraie identité, on ne sait même pas si c’est un homme ou une femme. Je dirais plutôt une femme. L’anonymat ne doit pas simplifier la promotion, mais bon…
 
 


 

jeudi 17 octobre 2013

Critique : La Princesse Noire, de Serge Brussolo


Éditeur : Le Livre de Poche
Date de parution : 2004
Genre : Thriller médiéval 

L’action se passe en Scandinavie au temps des Vikings et de l’essor du christianisme dans cette région.

Le personnage principal est une jeune fille de seize ans. Comme beaucoup d’héroïnes de fiction moderne, elle a un tempérament très masculin, comme un homme sans la force physique. Orfèvre dans la boutique de sa mère, elle s’ennuie et rêve d’aventure. Son vœu est exaucé : elle est capturée par des Vikings et vendue comme esclave. Une mystérieuse princesse noire l’achète, direction son château sur une île rustique.

Là, notre héroïne doit s’occuper d’enfants infirmes que la châtelaine recueille. Elle se rend compte que les enfants sont négligés et qu’en plus, il y en a d’autres, aveugles, dans les souterrains sous le château. Dans la lande, un monstre ailé sème la terreur. Enfin, les villageois colportent sur la princesse noire les pires rumeurs. Sans se frapper, notre héroïne aux nerfs d’acier va démêler l’écheveau des mensonges, des superstitions et des bassesses de chacun.

Comme dans tout bon thriller, Brussolo multiplie les fausses pistes. La figure de style principale du thriller est respectée : chacun n’est pas celui qu’on croit.

Le style de l’auteur est vivant et sans fioriture. Pas brillant, certes, mais efficace et précis.

L’ambiance est oppressante, la peur et la superstition (donc la religion) règnent. Ce n’est pas la première fois que Brussolo met de façon lucide en scène la fondation de légende, mythe et finalement, l’invention de dieux par un groupe d’humains ignorants et écrasés par l’angoisse (cf. Shag l’idiot).

Même s’il met en évidence la bassesse de l’âme humaine, préférant réalisme à humanisme, Brussolo a le grand mérite d’éviter tout manichéisme. Chaque personnage, aussi maléfique qu’il paraisse, a de bonnes raisons d’agir comme il le fait. À part le personnage principal trop masculin et trop robuste nerveusement, voire trop malin, la psychologie des autres personnages tient vraiment la route.

Serge Brussolo, le maître français de la littérature de genre, signe une nouvelle fois une œuvre originale et marquante.
 
 


 

mercredi 18 septembre 2013

Critique : La Patrouille du Temps par Poul Anderson


Injustement peu connu en France, Poul Anderson fait partie des grands maîtres américains de la science-fiction du XXe siècle. Son abondante bibliographie s’est couverte d’honneurs et de nombreux prix littéraires (Nebula, Hugo et tant d’autres).

La Patrouille du Temps, parue initialement dans The Magazine of Fantasy & Science Fiction en 1955, est sûrement la série la plus connue de Poul Anderson.

Dans le futur lointain, l’Homme a inventé le voyage dans le temps. Seulement voilà, cette invention merveilleuse en théorie est en pratique une source terrible de tracas. En effet, certaines personnes sont tentées de changer le cours de l’Histoire, anéantissant du coup l’humanité telle que nous la connaissons. Aussi la mission de la Patrouille du Temps est de veiller à ce que personne n’altère l’Histoire, une tâche dangereuse, grandiose, démesurée et bourrée d’aventures uchroniques.

Avec une grande habileté, Poul Anderson réussit à justifier autant qu’il est possible cette construction de l’esprit humain qu’est le voyage dans le temps, remplie de paradoxes insurmontables en pratique. Mais pas pour Poul, le magicien de l’assemblage des mots ! Ainsi il introduit des lois de causalité et de conservation associées au principe de discontinuité : si un agent de la Patrouille du temps tuait ses parents, il continuerait cependant d'exister. De plus, le cours de l’histoire ne se déforme pas aisément : il est élastique. Ainsi si vous tuez un lointain ancêtre d’un homme célèbre, il existera quand même car il est le fruit d’une multitude de gènes. Par contre, si vous tuez Scipion, le seul général romain valable de l’époque, alors Hannibal triomphe, Rome tombe, et la civilisation celte triomphe (même si les Carthaginois étaient des Phéniciens donc des Sémites, mais bref, l’histoire du monde est chamboulée). Et c’est dans ces cas dramatiques là que la Patrouille du Temps doit intervenir.

 La maîtrise narrative de l’auteur est remarquable. Comme le récit est destiné à paraître par épisode dans un magazine, Poul Anderson arrive à rappeler au lecteur l’essentiel du contexte en quelques phrases habiles disséminées au début de chaque épisode. Ses connaissances historiques et surtout l’efficacité de son écriture tiennent du prodige : il est capable de brosser des tableaux historiques convaincants, que ce soit l’ambiance d’une ville du temps de l’empire perse, ou bien une bataille entre Rome et Carthage.

Le thème sous-jacent des épisodes est souvent l’amour romantique. Non sans humour, il met ses personnages masculins dans des situations inextricables et devant des contradictions à la fois pitoyables et réalistes, pour les beaux yeux d’une femme.

Cette plongée dans le passé de l’humanité, outre les connaissances historiques, apporte des réflexions d’une profondeur insoupçonnée. La Patrouille du Temps est bien plus qu’une œuvre de science-fiction : elle aborde les genres de la romance, du roman historique, de la (contre) uchronie et même, oui, même du conte philosophique.
 
 
 

mercredi 19 juin 2013

Un grand classique : La maison aux pignons verts (Tome 1 de la saga d’Anne), de Lucy Maud Montgomery


Lucy Maud Montgomery fut une romancière canadienne. Paru en 1908, son premier roman publié devint un best-seller mondial, plus de 50 millions d’exemplaires vendus selon Wikipédia.

C’est l’histoire d’un frère et d’une sœur assez âgés qui décident d’adopter un garçon orphelin pour les aider aux travaux de la ferme. Or par erreur, c’est une fille nommée Anne qui se présente. La sœur veut la renvoyer, mais elle finit par s’attacher à l’enfant.

Car Anne n’est pas une fille de onze ans comme les autres. Elle a quelque chose de « piquant », comme un supplément d’âme. Sensible, enthousiaste, ardente, passionnément romantique, théâtrale, elle déborde d’imagination et de verve. Cette imagination lui permet de transcender la réalité, de se réfugier dans un monde enchanteur afin de supporter les grandes difficultés de sa vie d’orpheline. Comme elle fait preuve d’un caractère indomptable et d’un orgueil à la mesure de son intellect, alors, lecteurs, attendez-vous à des zones de turbulence tantôt amusantes, tantôt déchirantes.

Le récit de Montgomery fleure bon la poésie. Son style n’apparait pas désuet, peut-être grâce à une traduction dépoussiérée. Certains passages sont vraiment intenses, touchants, bouleversants, sans tomber dans la mièvrerie moralisatrice. La psychologie des personnages principaux est crédible, le récit bien mené, les descriptions (prisées à l’époque) sont digestes grâce à la plume poète de l’auteur. Il y a même de l’humour.

La maison aux pignons verts n’est pas un roman pour la jeunesse, non, c’est un roman pour tout public, les plus difficiles à écrire, dans la veine de Heidi de Johanna Spyri et de Black Beauty d’Anna Sewell, mais encore mieux si la chose est concevable.

Bien sûr, cette enfant de onze ans s’exprime vraiment très bien pour quelqu’un qui a très peu fréquenté l’école. La licence romanesque permet de transcender la réalité, à la manière de l’imagination de l’héroïne. Anne est un super-enfant, magnifiant les qualités mais aussi les travers si attendrissants de l’enfance.

Les Japonais ne s’y sont pas trompés : La maison aux pignons verts est une figure imposée de leur cursus de littérature étrangère depuis 105 ans.
 





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mercredi 8 mai 2013

Critique : Shag l’idiot, de Serge Brussolo


Titre : Shag l’idiot. Tome 1 : Le clan du Grand Crâne
Auteur : Serge Brussolo, alias D. Morlok
Date de parution : 1998
Genre : Science-Fiction

Serge Brussolo est un maître prolifique de la littérature de genre. Pour adultes et pour la jeunesse, il a abordé avec brio la plupart des genres : science-fiction, fantastique, horreur, thriller et roman historique.

Sur une planète qui ressemble à la Terre, mille ans après une apocalypse nucléaire, les hommes sont revenus à l’Âge de Pierre. Les Dieux appelés les Juges les ont maudits : pour les punir de leur folle agressivité, leur cerveau dégénère, les rendant progressivement aussi stupides que leurs cousins singes. Hommes-bêtes, ils ne risquent plus de redevenir civilisés et de construire de nouvelles armes de destruction massive. Pour combattre le fléau de l’idiotie, un seul remède : manger la cervelle des plus intelligents. Gare aux malins dans ce monde impitoyable !

Serge Brussolo est un conteur né : dès les premières pages, on entre dans l’histoire, prenante et bien écrite. Peu de temps morts, une ambiance flippante, de l’action, parfois de l’humour et même quelques invitations à la réflexion.

Le début de cette trilogie ressemble à un roman préhistorique à rebours. Dans un roman préhistorique classique, l’un des thèmes principaux est souvent le progrès. Ici, c’est le contraire : l’Homme décline, atteint dans son essence : son esprit. Le thème est celui de la régression qui seule permettra à l’humanité de survivre. Il faut fuir à tout prix le progrès délétère. Une idée classique mais traitée admirablement.

D’autres thèmes intéressants sont abordés, comme l’interprétation biaisée des vestiges archéologiques (rappelons-nous comme les premières études sur Hibernatus étaient erronées malgré les moyens mis en œuvre et la bonne conservation de la momie), et la naissance des croyances et des religions (le processus par lequel les humains s’inventent des dieux).

Une œuvre noire d’un cynisme crû et jubilatoire. Le meilleur de la littérature de genre à la française.
 



  
 

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mardi 16 avril 2013

J.-H. Rosny aîné et la préhistoire


L’excellent site J.-H. Rosny présente une abondante et savante bibliographie de Rosny Aîné (ainsi que de son petit frère) richement documentée.

Loin d’avoir tout lu de cet écrivain prolifique, j’ai été particulièrement époustouflé par ses trois romans préhistoriques, La guerre du feu, Le Félin Géant et Helgvor du Fleuve Bleu. Le style déjà frappe : coloré, poétique, magnifique. Sur le fond surtout, Rosny Aîné a étudié la préhistoire pendant dix ans avant de devenir un précurseur du genre roman préhistorique, le roman des âges farouches comme il le désignait si joliment. Ce qui me stupéfie, c’est sa vision si juste de la préhistoire, dès le début du XXe siècle. Il met en scène guerres et cannibalisme avec un réalisme saisissant.

Depuis, un certain nombre de préhistoriens ont remis en cause le passé violent de la préhistoire, cédant aux sirènes du mythe du bon sauvage, à des tabous, blocages mentaux et autres billevesées, refusant de reconnaitre la violence inhérente à l’Homme ou plutôt à l’homme. Heureusement, des préhistoriens courageux, un Américain d’un côté (La guerre à la préhistoire, 2008) et deux Français, de l’autre, par des méthodes différentes, ont récemment rétabli la vérité, cette vérité que Rosny Aîné avait instinctivement saisie.

Il est d’ailleurs stupéfiant de constater à quel point un siècle de paléontologie a si peu fait avancer nos connaissances de la préhistoire. En fait, si on y réfléchit, ce n’est pas si étonnant car les paléontologues n’ont à leur disposition que des éclats de pierre et des bouts d’os trouvés dans les poubelles et les tombes de l’époque. Quand on voit les difficultés extrêmes, malgré les millions d’euros dépensés, à interpréter correctement la vie et la mort (d’une flèche, à la guerre, encore) d’Hibernatus, une momie pourtant très bien conservée, on comprend qu’ils pataugent pour des périodes plus anciennes.

Suite à la lecture de La guerre à la préhistoire, j’ai décidé d’écrire en 2012 un roman préhistorique réaliste mettant en scène guerre et chamanisme (les deux n’étant pas corrélés). J’ai consulté un certain nombre d’ouvrages sur le sujet. On peut les classer en trois catégories :

·         Les ouvrages « classiques » de préhistoire par des paléontologues. Écrits dans un jargon grotesquement abscons (sauf les livres pour la jeunesse), à quelques exceptions près, ils apportent hélas très peu de connaissances sur la préhistoire. Je me souviens d’un dictionnaire de la préhistoire emprunté à la bibliothèque : des années après sa parution, il sentait encore le neuf. Le grand public le fuyait, à juste titre.

·         Les ouvrages « pratiques ». Ils décrivent la reconstitution des techniques de l’époque par des passionnés : fabrication d’un arc, tannage, etc. Là, on commence déjà mieux à percevoir la vie quotidienne de cette époque lointaine.

·         Enfin, de loin le plus intéressant et le mieux documenté, les récits et études ethnologiques nous décrivent la préhistoire vivante. Les peuples primitifs, appelés aussi premiers, aborigènes ou poétiquement peuples de la nature, particulièrement les chasseurs-cueilleurs (du XIXe siècle et de la première moitié du XXe) nous montrent quelle fut la vie de nos lointains ancêtres. Il est d’ailleurs prodigieux de constater la similarité des coutumes de ces peuples à travers les époques et malgré des environnements géographiques complètement différents.

À propos, le site J.-H. Rosny m’a fait l’honneur de publier mon pastiche, Scène de chasse préhistorique.
 



 
 

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      Mon initiation chez les chamanes

mardi 2 avril 2013

Critique : L’indic et le commissaire


Auteur : Lucien Aimé-Blanc (commissaire) assisté de Jean-Michel Caradec’h (écrivain et journaliste)
Éditeur : Plon
Date de parution : 2006 (manuscrit achevé le 14 septembre 2005)
Genre : Mémoires mémorables d’un flic 

Lucien Aimé-Blanc est un brillant policier français dont la carrière s’étend sur 30 ans à partir de 1961. Connu surtout pour sa participation à la traque de Mesrine (ses révélations sur le sujet publiées en 2002 ont fait du bruit), il a œuvré en tant que commissaire dans différents services de lutte contre le grand banditisme : la Brigade Mondaine, l’OCRB, la BRI, les Stups…

Dans ce livre, il décrit les affaires marquantes sur lesquelles il a travaillé de 1961 à 1983. Ses révélations sont à la fois fracassantes et effarantes. Pour résumer, l’État français via les services secrets a régulièrement recours à des tueurs de la pègre pour perpétrer des assassinats politiques. Des exemples ? Enlèvement d’un opposant marocain (affaire Ben Barka) ; assassinat d’un gauchiste turbulent (affaire Pierre Goldman, le frère de Jean-Jacques) ; assassinat d’un militant tiers-mondiste (Pierre Curiel) ; assassinat de leaders corses indépendantistes (Guy Orsoni). À noter que l’État espagnol n’est pas en reste, avec les commandos GAL chargés d’éliminer en toute impunité des dizaines de membres de l’ETA.

À propos de l’affaire Ben Barka, l’auteur divulgue des écoutes téléphoniques, prouvant que le Premier Ministre de l’époque (Pompidou) était au courant du projet d’enlèvement…

Pour recruter les tueurs de la pègre, l’État dispose de plusieurs moyens : paiement cash par contrat, protection des activités illégales du tueur (prostitution, jeu), réduction de peine. En Espagne, on a même parfois fait sortir des criminels de prison pour les enrôler dans les commandos GAL.

On comprend mieux, à la lecture de ces révélations, pourquoi l’opinion publique adhère souvent à la théorie du complot : c’est parce que les crimes d’État parsèment l’histoire de notre beau pays démocratique et parce que des complots, il y en effectivement parfois, et des bien répugnants.

L’autre aspect intéressant du livre, c’est la description des rapports nécessaires et troubles entre la police et les indicateurs. Sans indic, pas de police, c’est bien connu. La difficulté pour les policiers consiste à ne pas franchir la ligne jaune, les relations avec les indics étant illégales. Pour bien faire son métier, le policier est obligé d’enfreindre la loi.

Laissons la conclusion à Aimé-Blanc :

Dans la police, il faut choisir : ou bien prendre des risques pour lutter contre les criminels, ou soigner sa carrière en évitant la moindre vague. En fin de parcours, on retrouve beaucoup plus de directeurs qui n’ont jamais arrêté personne que d’hommes de terrain. Ce n’est pas une caractéristique propre à la police.

En effet, il s’agit là d’une caractéristique typiquement bureaucratique et étatique : en général mieux vaut ne rien faire d’audacieux, d’innovant ou de créatif ; juste se concentrer sur le pain quotidien : dépenser l’argent du contribuable, sans oublier de pleurnicher sur le manque de moyens…
 



 

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jeudi 21 mars 2013

Critique : Des femmes qui tombent, de Pierre Desproges


Le seul roman de l’humoriste Pierre Desprogres, publié en 1985. Desprogres, on le sait, c’est avant tout un humour caustique et anticonformiste. De nos jours, les sujets mêmes qu’il traitait ne passeraient plus, victimes de la censure politicorrecte, notamment ses saillies à propos du racisme. Le Luron, Coluche, les Inconnus, Desprogres : les années 80, c’est l’apothéose de l’humour français, avant que la chape de plomb politiquement correcte émascule les comiques. 

De l’humour grinçant, donc, mais aussi une fantastique aisance littéraire qui lui permet des métaphores culturelles savoureuses et des néologismes désopilants. Résultat : un style unique et époustouflant. Exemple :

Elle était moyenne avec intensité, plus commune qu’une fosse, et d’une banalité de nougat en plein Montélimar. Hormis le chat gris mou qui dormait sur son lit, personne ne se retournait sur elle, et encore moins dessous. […] À la Libération, elle avait un peu tressailli dans les bras durs d’un SS en déroute qui remontait d’Oradour et bandait ferme encore. Il l’avait écartelée contre le grand chêne torturé qui glande toujours par-delà son jardin, entre la Dordogne et la Haute-Vienne. Parfois, en suçant sa tisane au crépuscule, elle regardait cet arbre immuable et revoyait les yeux battus aux cils brûlés de son bourreau vaincu qui sentait la fumée froide, la poudre et la mort, et l’alcool à cochons. On ne lui connut jamais d’autre liaison, pour la bonne raison qu’elle n’en eut point ; sa fadeur naturelle l’abritait puissamment de l’amour autant que des mépris.

Ou encore :

À part les six enfants Poinsard, qui vouaient à leur mère une adoration plate dont les fondements reposaient en réalité sur un manque d’objectivité d’origine génétique, personne à Cérillac ne pleura cette gargouille municipale. Son époux, Henri Poinsard, doux artisan et pêcheur à la ligne qu’elle chevauchait à tout bout de lit dans l’espoir qu’il l’ensemençât de petits rouges, car elle militait même par le cul, dut se retenir de chanter l’Internationale à l’annonce de l’écrabouillage ferroviaire qui le précipitait conjointement dans le veuvage, la liberté de penser, de parole et d’action, et l’étalement des vacances au niveau de ses « masses laborieuses », selon l’expression qu’elle avait inventée pour désigner ses couilles.

Pierre Desprogres connaissait bien la télé, pour laquelle il a travaillé :

La télévision derrière le bar diffusait l’image dernière d’une speakerine nationale prenant congé de ses veaux. On lui avait coupé le son, mais son beau regard suintant d’imbécillité et l’indicible vulgarité de son sourire de césarienne en disaient assez sur l’indigence de son propos.

Sa vision du peuple de France, acerbe mais pertinente :

Et puis la foule anonyme du peuple de France, bien collée ventre à cul par grappes puantes d’imbécillité féroce, avec des Polaroïd pour filmer du sang, du sperme et peut-être du pus, et des enfants petits épuisés sur ses épaules carrées de peuple travailleur aux muscles injectés de pastis mortels et de mauvais vins noirs, le peuple populaire indécrottable et meuglant, aux yeux soufflés cholestériques éperdus de voyeurisme sale, le peuple si massif et si peu aérien, et si naïf aussi, le peuple définitif qui croit vraiment que c’est lui qui a pris la Bastille et gagné à Verdun.

Malgré un humour dévastateur à chaque paragraphe, cette œuvre n’est pas une suite de sketchs mais bien un roman. Les personnages possèdent une profondeur psychologique indéniable, et l’histoire n’est guère plus loufoque que celle de n’importe quel roman de science-fiction ou de fantastique.

On ne trouvera jamais l’équivalent…
 



 
 

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vendredi 15 mars 2013

Critique : Mon initiation chez les chamanes, de Corine Sonbrun


Sous-titre : Une Parisienne en Mongolie
Éditeur : Albin Michel
Date de parution : 2004
Genre : Récit de voyage mystique et ethnologique
 
Corine est une grande voyageuse mystique. En Amazonie, lors de sa première rencontre avec un chamane, elle a entendu en rêve un chant diphonique. Seuls les chamanes mongols le pratiquent : alors cette fois, direction la Mongolie.

Un chamane est une personne qui entre dans un état de conscience altéré (la transe), volontairement, afin de contacter et d’utiliser une réalité cachée en vue d’acquérir connaissance, pouvoir et faculté de guérison, selon Michael Harner (1979). Pilier des peuples primitifs, le chamane cumule souvent les fonctions de prêtre, guérisseur, devin et médiateur. Médiateur entre les hommes, mais surtout entre le monde réel et celui des Esprits.

Corine se moque pas mal de l’aspect social et thérapeutique. Comme tous les humains, elle cherche à satisfaire son intérêt égoïste. Elle est depuis trois ans en deuil de son amoureux et n’arrive pas à l’oublier. Au point d’espérer entrer en contact avec lui grâce à la transe !

Elle réussit à assister à une cérémonie chamanique. Et là, paf ! Uniquement en écoutant les battements du tambour magique (180 battements par minute, comme la musique techno), elle entre en transe. Celle-ci s’obtient généralement par l’ascèse ou les produits psychotropes (amanite tue-mouche dans nos régions). Mais pour certains, la musique appropriée suffit : la preuve. Peut-être le deuil inconsolable augmente-t-il la perception de Corine, ou peut-être sa santé mentale s’est-elle altérée par le chagrin…

Pendant la transe, elle ne sent plus la douleur. Elle devient un esprit, un loup, et voyage dans le monde des Esprits. Elle voit un vieillard. Surtout, elle voit une porte, qu’elle n’ose franchir car c’est dangereux. La transe est-elle un voyage intérieur ou bien vers une autre dimension ? La question reste ouverte.

Corine fait la rencontre d’une chamane expérimentée qui accepte de la former. Alors elle vit en semi-nomade avec la famille de la chamane, dans la steppe. Tous logent dans un tipi. Ils élèvent des rennes, possèdent chiens et cheval. Corine apprend à traire les rennes, les regrouper, couper le bois, résister au froid. Bref, vivre comme nos ancêtres du néolithique, vodka en plus. Que ne ferait-elle pas pour retrouver son chéri ?

Sous la houlette de la chamane mongole, elle effectue plusieurs voyages intérieurs. Elle ose enfin ouvrir la porte du son, comme elle la nomme. Mais, grosse déception, le défunt chéri n’est pas derrière cette porte. La vie et l’apprentissage continuent.

Il est passionnant de constater que le phénomène du chamanisme ne semble pas culturel : une Française peut avoir ce don. Il s’agit donc d’un phénomène universel.

Le chamanisme est la première religion de l’humanité, depuis l’aube des temps. Certains affirment que les croyances et les mythes fondateurs des grandes religions actuelles et passées viennent des visions des chamanes en transe. C’est eux qui nous ont communiqué la notion de l’au-delà.

Un témoignage unique sur le phénomène de transe, un récit ethnologique saisissant, un style et un ton vivants : Corine Sonbrun signe un livre exceptionnel et passionnant.



 
 

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mardi 26 février 2013

Mon avis sur American Sniper, de Chris Kyle (autobiographie guerrière)


Kyle est un Navy SEAL (unité d’élite de la marine américaine entrainée pour combattre dans tous les environnements). De 2003 à 2008, il sert en Irak, où il s’illustre en devenant le tireur d’élite le plus mortel de l’histoire de l’armée américaine : 160 ennemis tués confirmés par le Pentagone, plus de 250 en réalité.

Voilà un témoignage bouleversant car incroyablement contrasté. D’un côté, l’homme possède une mentalité, des convictions vraiment abjectes et complètement à côté de la plaque, et de l’autre le militaire est d’un courage proprement époustouflant, un héros de guerre.

Dès le début de son engagement en Irak en 2003, le ton est donné : il abat une femme qui préparait une action kamikaze. Il n’a pas de mots trop durs pour qualifier ses ennemis : savages, despicable evil, scum. Une rhétorique simpliste et manichéenne caractéristique des pires égarements paranoïaques et belliqueux des années Bush, mais qui fait encore des ravages. Or cette femme lui ressemble : elle a donné sa vie pour libérer son pays, comme lui qui clame à tout bout de champ qu’il est prêt à mourir pour l’Amérique, en patriote fanatique. D’ailleurs, il reconnait plus loin que les insurgés en Irak ont des motivations plus nationalistes que religieuses. Comme en Afghanistan. Et comme au Vietnam : il s’agissait d’une guerre de réunification nationaliste qui passait bien avant l’idéologie communiste.

Bien sûr, il a besoin de se démarquer de l’ennemi pour pouvoir le tuer. Tout de même, il dépasse tous les niveaux de mauvaise foi et de propagande pitoyable quand il affirme que l’armée américaine a trouvé des armes de destruction massive chimiques en Irak. On ne l’aurait pas révélé, prétend-il, pour ne pas embarrasser les alliés français et allemands qui avaient livré ces armes à Saddam Hussein ! Bullshit ! D’une part, s’il avait eu des armes chimiques, Saddam s’en serait servi. D’autre part, Bush n’aurait fait aucun cadeau à ses alliés qui s’étaient opposés à cette guerre absurde.

American Sniper classe l’armée américaine selon deux catégories. Ses collègues et en général les unités combattantes qui font preuve de courage. Ce sont les bad-asses, les durs à cuire. Et puis il y a les pussies, les femmelettes, lavettes, fiottes : les politiciens et surtout l’état-major de l’armée pusillanime dans l’offensive militaire pour éviter les pertes. Mais sans prendre de risque, on n’arrive à rien.

Sur ce point, je le rejoins : no pain, no gain. On n’a rien sans rien. Si on refuse les pertes, il vaut mieux rester à la maison et éviter les guerres de confort. Un facteur que j’avais pu constater à la lecture d’Appui feu en Afghanistan.

Afin d’humaniser le tueur professionnel (comme il se qualifie lui-même), il nous raconte sa vie de couple. Qu’est-ce qu’on en a à faire des difficultés d’accouchement de sa femme et de ses problèmes de jardinage ? Grand, immense guerrier, mais petite tête : il a recours à la méthode Coué. « J’aime ma femme » répète-t-il à longueur de paragraphe. Pourtant, dès qu’il peut, il retourne à la guerre, sa grande passion. La guerre, c’est fun ; tuer les bad guys, il adore ça. Il vit littéralement pour tuer. Il est tellement conditionné à tuer que sa violence déborde hors du champ de bataille : il passe son temps à se bagarrer dans les bars (peut-être un effet secondaire du dopage). Vers la fin, il souffre d’hypertension artérielle. Les médecins s’aperçoivent que sa tension ne baisse que quand il combat ! Ils n’ont jamais connu un cas pareil, dit-il. En effet, l’homme est unique. Il s’ennuie tellement dans le civil. Il a un mal fou à décrocher malgré un corps épuisé. La bête de guerre sombre temporairement dans l’alcoolisme quand elle décroche enfin en 2009, tant lui manque l’adrénaline du combat.

Chris Kyle n’est pas seulement un sniper exceptionnel, il est avant tout un soldat d’un courage époustouflant. Durant la bataille de Falloujah, quand il n’y a plus assez de cibles pour lui comme sniper sur les toits, il descend dans la rue aider les Marines à ratisser chaque maison, une tâche particulièrement dangereuse. Il se porte toujours au plus près de l’action pour faire avancer les choses. Jamais il ne craint de s’exposer. Une fois, il traverse un pont que les renseignements indiquent piégé. Il a peur mais il y va après avoir inspecté le pont et n’avoir pas trouvé d’explosif. Il se couvre de gloire et de médailles au cours de maints faits d’armes. L’archétype du super soldat, le guerrier ultime.

Et le métier de sniper ? Première qualité nécessaire : l’observation. Ensuite, le stalking : se déplacer sans être vu, se camoufler. Et enfin vient l’habileté au tir. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne vise pas la tête, mais la poitrine, cible plus large. Il ne corrige pas les effets du vent car il souffle souvent en rafale. American Sniper ajuste en fonction de la distance, à peu près, car à la guerre on a très peu de temps pour viser. Son record de distance de tuerie : environ 1900 mètres. Le record du monde est à 2400 mètres.

Les armes, toujours les armes, sa passion. Ce fanatique commence à entrainer son fils à l’âge de deux ans ! Il aide les vétérans déboussolés à revenir à la vie civile. Pour ça, il les amène tirer, la catharsis. Mal lui en prend : il se fait abattre par un déséquilibré en février 2013. Les insurgés l’ont eu finalement. La guerre a détraqué le vétéran qui lui a fait la peau. La devise d’American Sniper était : « La guerre résout les problèmes. » Son Dieu, auquel il se réfère souvent, l’a entendu.

Dans Voyage au bout de la nuit, Céline écrit qu’on se réjouit souvent de la mort d’un homme, car ça fait toujours un salaud de moins. Good bye American Fanatic !



 

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mercredi 6 février 2013

Géronimo, le dernier chef apache, par Leigh Sauerwein (biographie)


Titre : Géronimo
Sous-titre : Le dernier chef apache
Auteur : Leigh Sauerwein
Genre : Biographie un peu romancée
Cible éditoriale : Tout public 

Beaucoup de mystères auréolent cet homme extraordinaire devenu une légende de son vivant. Dans sa jeunesse, les Apaches vivaient en Arizona dans les montagnes aux confins du Mexique et des États-Unis. Ils avaient été chassés des meilleures terres par les Mexicains et s’en accommodaient par des compensations. Ils organisaient des raids économiques pour voler un peu de bétail aux Mexicains, préférant souvent la fuite à la violence quand ils étaient découverts.

En 1858, les militaires mexicains exterminent sa famille. Il devient « Celui qui a tout perdu » : sa femme, ses trois enfants en bas âge et sa mère sont massacrés. Alors les raids de vol se transforment en expéditions punitives. Les Apaches massacrent les Mexicains au cours d’une bataille, ils vengent les leurs. Le jeune homme devient Géronimo, le chef de guerre. Les Apaches sont satisfaits. Pas Géronimo, qui multiplie les raids guerriers, animé par sa haine des Mexicains et sa soif de vengeance inextinguible jusqu’à la fin de sa vie.

Les Apaches étaient un peuple guerrier car ils menaient contre les Mexicains une guerre ancestrale, depuis la colonisation espagnole. D’autres grands chefs apaches ont comme Géronimo tracé leur sillon sanglant en territoire mexicain : Juh, Nana et Victorio.

Quelques années plus tard, les Américains s’en prennent aux Apaches, grignotant leur territoire. Ces Blancs sont des ennemis plus coriaces. Les Apaches qui ne sont qu’une poignée, se retrouvent submergés par le nombre : plus ils en tuent, plus d’autres arrivent, bien nourris, bien armés.

Les tribus apaches, sous la houlette de grands chefs, déploient des trésors de résistance. Mangus Colorado, le géant juste. Cochise, le sage dont un simple regard pouvait faire taire le guerrier indien le plus féroce. Et leur successeur, le dernier chef Apache, Géronimo.

Peuple de montagne, ils marchent 14 heures par jour dans la rocaille, 70 kms. Ils incarnent la quintessence de la guérilla : ils frappent par surprise et disparaissent. Les meilleurs cavaliers américains n’arrivent pas à les rattraper, même quand les Apaches sont à pied.

Géronimo entraine lui-même les jeunes à devenir des guerriers endurcis, les faisant repousser sans relâche les limites de la douleur, de l’endurance et de la frugalité. Ils sont les insaisissables guerriers ultimes, à la fin 18 seulement contre 5000 tuniques bleues, sans compter les Mexicains à leurs trousses !

Le général Crook, chargé de les défaire, utilise leurs méthodes. Il s’entoure d’éclaireurs apaches pour les pister. Il les pourchasse avec des commandos mobiles et bien approvisionnés (contrairement aux Apaches démunis). Il combine les atouts de la civilisation et les tactiques de ses ennemis. Courageux, il prend tous les risques, à la façon des Apaches.

Géronimo est insaisissable. Partout où il passe, il exécute les témoins, y compris femmes et enfants, afin de ne pas être repéré. Il applique la seule morale valable à la guerre : faire ce qu’il faut pour survivre.

Après plusieurs redditions suivies d’évasions, l’épopée sanglante prend fin. Les femmes, les enfants et même les guerriers apaches sont fatigués de fuir à travers les montagnes de la Sierra Madre. Ils décident de se rendre. Géronimo s’incline, il suit la décision de son peuple, même s’il préfèrerait continuer la lutte. Car l’homme a deux passions dans sa vie : la haine des Mexicains et l’amour de la liberté.

Après s’être couvert de gloire au cours de maints combats dont il est sorti indemne (8 blessures tout de même, dont il a mis plusieurs mois à se remettre pour certaines) pendant 30 ans, comme s’il était invincible, comme s’il avait le pouvoir magique que lui prêtent ses frères apaches, Géronimo, le guerrier ultime mourra en captivité, déporté dans l’Oklahoma à 80 ans. Sa vie fut plus invraisemblable qu’une fiction, étonnante illustration du fait qu’il n’y a pas besoin d’espérer pour combattre.



 
 

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mercredi 16 janvier 2013

Critique de : Suzanne et les ringards, par Jean-Bernard Pouy


Jean-Bernard Pouy fait partie des maîtres du néo-polar, dont ce très court roman paru en 1985 constitue un classique. 35 000 mots seulement environ, le texte se situe en fait entre la nouvelle et le roman. Les anglophones utilisent le terme novella.

Elle, racontée à la troisième personne, est une actrice, une star, même. Elle se retrouve en cavale, en galère et en chagrin : son amour de producteur vient d’être assassiné et elle craint pour sa vie.

Lui, narrateur à la première personne, se révèle un anarchiste gauchiste très violent. Un marginal, rejeté à cause de la tache de naissance qui le défigure et en raison de son passé trouble de taulard. Il constitue le service d’ordre d’un groupe de rock en tournée en France. Une groupie nommée Suzanne se fait assassiner. La police, comme souvent, n’est bonne à rien, mais alors à un point caricatural. Donc notre costaud révolté, qui en pinçait pour la jeune Suzanne, enquête auprès de la petite troupe pour dénicher le coupable.

Elle et lui, leurs chemins vont se croiser. Ça va faire des étincelles.

L’intrigue est faible : j’ai deviné l’identité de l’assassin 80 pages avant la fin. Fâcheux pour un polar, même néo. L’intérêt du livre réside ailleurs : les monologues intérieurs et le style brillant créent une ambiance prenante et invitent à la réflexion. Le genre se situe donc plutôt vers le rayon de la littérature générale.

Conclusion : si vous cherchez une intrigue à suspense, passez votre chemin. Si vous aimez les romans bien écrits, psychologiques, avec un zeste de philosophie, alors foncez !

 


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mercredi 9 janvier 2013

Critique : Les rois du crime, d’Alexandre Bonny


Sous-Titre : Le grand banditisme français
Éditeur : Éditions First
Date de parution : 2009
Genre : Essai journalistique 

Alexandre Bonny nous raconte d’une façon vivante et romancée la vie et la mort d’une brochette de grands criminels français : Émile Buisson, les frères Guérini, Pierrot le fou, René la canne, François Marcantoni, Albert Spaggiari, Tany Zampa, Jacques Mesrine, Francis Vanverberghe, le gang des Lyonnais, le gang des postiches, Michel Crutel, Pascal Payet, le clan Hornec, Antonio Ferrara.

Ce qui est passionnant, c’est qu’il est possible de dégager un certain nombre de points communs à ces grands criminels. Même si bien sûr il y a de nombreuses exceptions, on peut tracer une sorte de portrait-robot comportemental et sociétal du criminel doué.

Le criminel nait souvent dans un milieu social très défavorisé. Très tôt, il se lance dans des menus larcins, connait la prison pour de courtes peines. Loin d’être rédemptrice, la prison lui permet de se faire des contacts au sein de la pègre, et l’encourage en fait sur la voie du crime.

Le métier de base du grand criminel est le braquage. C’est souvent dans cette activité qu’il se fait un nom et bâtit sa fortune. Attaque à main armée de banque, poste, usine, fourgon, bijouterie, enlèvement, cambriolage, saucissonnage. Activité lucrative mais risquée. Elle a l’inconvénient d’attirer l’attention de la police. D’où cavale, parfois sans quitter la région, car avec du cash, on se planque facilement.

Ensuite, le grand criminel a deux voies possibles.

S’il est gestionnaire, comme la mafia italienne, arménienne ou américaine, il investit son capital et fait tourner son business comme un chef d’entreprise. Il a alors pignon sur rue, travaille avec des avocats et jouit du soutien de politiciens corrompus comme Jacques Médecin à Nice et Gaston Deferre à Marseille. Il prend des participations dans des discothèques, bars, machines à sous, casinos, prostitution, etc. Il lui arrive de toucher aux trafics en tous genres : armes, drogue, êtres humains. Il tombe en général quand le politicien le lâche sous la pression de l’opinion publique, après de longues années d’impunité. Ou bien il se fait prendre pour une broutille, genre fraude fiscale (comme Al Capone).

Deuxième voie : s’il est accro à l’adrénaline, il ne cesse d’enchainer braquages et cavales pendant lesquelles il claque son fric. Il sait qu’il devrait décrocher, mais il n’y arrive pas, grisé par sa puissance, la gloire. Toujours il revient en France et remet ça. Même s’il est richissime. L’argent n’est pas la seule motivation. Il tombe rarement en flagrant délit. Il sait bien qu’il va se faire prendre, mais impossible de décrocher. Un jour, il se fait dénoncer par des comparses. C’est la pègre qui fait tomber la pègre. Mais un truand isolé ne pourrait pas refourguer sa marchandise, et il faut souvent s’associer à plusieurs pour monter un coup. Ou bien il se fait tuer lors d’un règlement de compte entre bandes pour le contrôle d’un territoire.

Le grand criminel ridiculise la police, parfois pendant de longues années comme le gang des postiches et celui des Lyonnais. Malgré des moyens gigantesques, la police n’arrive à rien ou presque à cause de la corruption, des lois et de la ruse des malfrats. À noter que la corruption touche toutes les couches de l’État : police, administration pénitentiaire, justice, et bien sûr, les parrains étatiques que sont certains députés-maires.

Et la justice ? Encore plus grotesque que la police. C’est simple : la condamnation d’un malfrat est parfaitement aléatoire. Certains sont accusés pour des crimes qu’ils n’ont pas commis, d’autres sont blanchis pour ceux qu’ils ont perpétrés. En fonction de l’incompétence du juge, le petit malfrat peut prendre perpétuité, le grand criminel bénéficier d’un non-lieu. La justice française, c’est la loterie du diable.

 

 

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mardi 18 décembre 2012

Critique : Mémoire en cage, de Thierry Jonquet


Date de parution : 1982
Genre : Néo-polar

Thierry Jonquet fut un des grands romanciers du mouvement néo-polar français, dont le chef de file était Jean-Patrick Manchette. Mémoire en cage est son premier roman publié.

Ce court roman nerveux se passe dans le secteur médical, un monde que connait bien l’auteur pour y avoir travaillé. L’histoire est bien menée, prenante et très sordide : tous les personnages ou presque sont des salopards répugnants. L’histoire est effroyablement glauque, à réserver aux adultes endurcis.

Le procédé narratif est original : certaines scènes sont écrites à la troisième personne tandis que d’autres sont racontées par les personnages. Il y a donc de nombreux narrateurs, technique artificielle mais prenante.

Le style de l’auteur est à l’image du procédé narratif : percutant et assez original.

Exemple, l’inspecteur de police veut poser une question indiscrète à Isabelle :

Isabelle a eu un geste bref et impérieux de la main pour signifier peu importe, posez, posez, nous verrons ensuite.

J’aime bien cette mise en scène parlante d’un simple geste que le narrateur interprète comme une réplique entière.

L’histoire ? Dans un centre de soins, une ado gravement handicapée physiquement voue une haine farouche à l’un des médecins. Elle se fait passer pour débile mentale alors qu’elle a toute sa tête. Que mijote-t-elle ? Et ce jeune stagiaire obsédé sexuel, qu’est-ce qui le tourmente ? Le docteur n’a pas l’air net non plus. Personne n’est net, d’ailleurs. Il y a des cadavres dans les placards et leur odeur est immonde. Préparez-vous à gerber…

En conclusion, Mémoire en cage est un court roman punchy et aussi noir que l’âme humaine peut l’être.

 

 
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mardi 27 novembre 2012

Critique : Le grand Môme, d’A.D.G


A.D.G fut, avec Manchette, le chef de file du renouveau du roman noir à la française dans les années 1970 et 1980. Ce courant littéraire est parfois appelé néo-polar. Il est aujourd’hui éteint avec la mort de ses meilleurs porte-parole : Manchette, Jonquet et… A.D.G.

Le grand Môme, paru en 1977 fut adapté à l’écran par Jacques Ertaud en 1985.

Le titre est un hommage ou en tout cas un clin d’œil à l’homonyme de l’auteur, dont le vrai nom est Alain Fournier.

Le personnage principal se fait appeler Machin, car son patronyme officiel est imprononçable. Journaliste alcoolique chargé des sports dans le canard local, le cœur sur la main, il sévit à Blois, petite ville française de province où il se ne passe rien. D’habitude.

Des racketteurs font irruption dans les établissements que notre brave type d’alcoolique hante. Il fréquente le patron d’un bordel clandestin, victime du racket. Quand celui-ci fait intervenir des tueurs de la pègre, Machin tente de retrouver le premier les racketteurs, sans en parler à la police (sinon il n’y aurait pas d’histoire). Il héberge par ailleurs un homme mystérieux qui le fascine au plus haut : on dirait bien le descendant du Grand Meaulnes revenu sur Terre, dont on ne connait pas les motivations. En fait, on ne sait rien de ce garçon, sauf qu’il sait se battre comme un para et qu’il attire les sympathies les plus chaleureuses. Il prend aussi sous son aile une belle jeune femme homicide.

À Blois, Machin journaliste connait tout le monde, forcément, entre son métier et sa passion éthylique. Alors, il tente d’éteindre les flammes. Comme il se révèle très maladroit, et il faut le dire, très con (car les péripéties sont souvent à la limite de la dérision, à prendre au second degré), notre antihéros ne fait que mettre de l’huile sur le feu qui va en consumer plus d’un.

La force du roman réside dans son style unique, truculent, savoureux et vraiment drôle. Les comparaisons et métaphores à hurler de rire, les calembours si bons qu’on croirait des fautes de frappe, les audaces syntaxiques et sémantiques croustillantes, les néologismes savoureux. Le mélange de mots argotiques et soutenus tient du prodige.

A.D.G, virtuose du style, le top du top du roman noir / néo-polar à la française.
 


 
 
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