mercredi 29 février 2012

Critique littéraire : l’esclave amoureuse de Gustave Le Rouge

Un des grands plaisirs de la lecture est de partir à la pêche aux chefs d’œuvre oubliés du passé. Je vous ai rapporté un gros poisson tout frétillant !

Gustave Le Rouge fut un romancier très prolifique du début du XXème siècle. Il s’adonna avec grand talent à de nombreux genres du roman d’évasion. Un peu oublié, il mérite vraiment d’être découvert.

L’esclave amoureuse (1904) ressemble a priori à un roman à l’eau de rose. Ne partez pas, j’ai dit ressemble… C’est l’histoire d’un riche planteur de la Nouvelle-Orléans au XIXème siècle, du temps de l’esclavage. Son épouse lubrique le trompe avec application. Quand il s’en aperçoit, c’est le drame pour tous…

En apparence, un mièvre roman exotique comme il en existait à l’époque. En fait, pas du tout ! Le Rouge brise un tabou, qui était assurément fort au début du XXème siècle : il célèbre les amours interraciaux, et, suprême insolence, ces amours sont déclassés : entre un riche Blanc et une esclave Noire.

L’esclave amoureuse est avant tout une satire croustillante et vitriolique de la société, presque un pastiche. Une comédie assurément. Tout le monde en prend pour son grade : les Noirs comme les Blancs, les riches comme les pauvres, les femmes comme les hommes, les Français comme les Américains… L’œuvre est un reflet de la noirceur de l’âme humaine.

Dans la meilleure tradition des romans d’évasion, on ne s’ennuie jamais, passant sans cesse d’une péripétie à une scène cocasse. Le style est drôle, enlevé, cynique. Terriblement efficace. La farce truculente de certaines scènes fait penser à du Molière pour adultes.

 Voici quelques échantillons de son style corrosif, cynique et sarcastique :

« Toutes petites, sans doute, après les évictions et la mauvaise récolte des pommes de terre, elles avaient dû sucer l’alcool dès le biberon ; elles ne se connaissaient pas de parents, leur mère était sans doute la Faim et leur père le delirium tremens. »

 Un homme expliquant pourquoi il évite les amours tarifées avec les bourgeoises créoles :

« — Je suis un homme pratique. Pour le même prix on a deux douzaines de quarteronnes ou d’émigrantes. Cela coûte moins cher, puis elles sont moins rances que vos créoles. Quand on n’en veut plus, on a toujours la satisfaction de pouvoir les battre ou leur tirer les cheveux, ce qu’on ne peut pas faire aux dames de « la société ».
       — Je vous admire... »

Un gigolo de dix-neuf ans et sa vieille cliente :

« Sans la plus légère hésitation il était devenu l’amant de la hideuse Vénus. À la suite d’un marché minutieusement débattu, il devait passer, chaque soir, un certain temps aux côtés de l’antique sorcière étalée au milieu de son lit comme un paquet d’entrailles sur un fumier ; il s’acquittait de cette fonction avec le même zèle ponctuel qu’un employé met à se rendre à son bureau. »

Lors d’une épidémie de fièvre jaune, dans un hôpital :

« Un grand noir, nommé William, promu au grade d’infirmier en chef, et fier de ses connaissances en médecine, assommait à coups de poing ou étouffait sous leurs oreillers les malades incurables ou mal vêtus. De cette manière, il renouvelait tous les jours d’une façon régulière, le total de ses pourboires, encore augmenté des dépouilles des morts.
— Il faut agir humainement, disait-il. Ceux que le docteur condamne, je les finis pour faire place à d’autres qui peuvent guérir. Ça me fait de la peine quelquefois ; mais il faut être un homme avant tout. C’est dans leur intérêt : pourquoi faire souffrir les gens inutilement ? »

Quand on dit qu’on ne s’ennuie jamais avec cet auteur !

Disponible en ebook gratuit à la Bibliothèque électronique du Québec, section grands classiques du XXème siècle.

Lu numériquement sur Kindle pour le Club des lecteurs numériques.



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jeudi 23 février 2012

Critique littéraire : L’Âge de Bronze par Eric Shanower

Un jeune vacher décide de se rendre dans la capitale du royaume pour participer à des compétitions sportives. Le vacher s’appelle Pâris, le roi Priam, et la capitale Troie. C’était il y a très très longtemps, à la fin de l’Âge de Bronze. Ainsi débuta la légende la Guerre de Troie.

Une légende tenace et vénérable : elle aurait été écrite il y a vingt-huit siècles. Et elle relate des faits qui se seraient passé vers 1200 avant JC.

De nombreux auteurs à travers les âges ont apporté leur pierre à l’édifice mythique. Le plus connu d’entre eux est un certain Homère, dont l’existence même est elle aussi mythique. Plus près de nous, en l’an 2001 après Jésus-Christ, Eric Shanower l’a adapté à notre temps, sous forme de bande dessinée en plusieurs volumes.

Après avoir longuement consulté les sources historiques et archéologiques sur le sujet, le scénariste-dessinateur a fait le choix d’une version la plus réaliste possible, dépouillée de l’intervention directe des dieux, chère aux Anciens. Les personnages ne sont toutefois pas dépourvus de mysticisme et de superstition, comme le sont assurément les humains de toutes les époques qui ne connaissent pas l’éclairage de la science.

L’ambiance vintage est renforcée par le dessin à l’encre de chine (en noir et blanc, donc). Le dessin est remarquable. Il offre une grande expressivité aux personnages, qui sont très beaux pour la plupart, comme des acteurs de cinéma.

La psychologie bien marquée des personnages principaux est remarquablement rendue. Achille, vaniteux mais droit. Ulysse, rusé mais impitoyable. Ajax, à l’esprit aussi épais que ses muscles. Ménélas, pitoyable et sot cocu. Les femmes, ne sont pas en reste, leur personnalité et leur esprit, appuyés par leur corps, tiennent la dragée haute aux hommes qui sont pour la plupart des héros certes mythiques mais aussi bassement humains. La très belle Hélène, objet de tant de passions dévorantes et destructrices, est un aimant maléfique qui attire malgré elle la mort et la désolation sur son passage.

Tragédie grecque, souffle épique, dessin époustouflant, réalisme historique sont les traits marquants de ce chef d’œuvre. Shanower est un héros lui aussi, trois hommes réunis en un : le chercheur, le scénariste et le dessinateur. Un artiste si complet, que dans un futur lointain, on se demandera même s’il ne s’agit que plusieurs personnes, comme Homère…

L’Âge de Bronze, ou le plus grand classique de la mythologie grecque revisité avec brio !







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dimanche 19 février 2012

Première critique de 'la libération explosive de l'âme'

Je viens de publier chez ELP éditeur un roman noir baptisé La libération explosive de l'âme.

Paul Laurendeau, linguiste, auteur et critique littéraire nous donne son avis, dans une critique perspicace et percutante :
" Ce texte simple, fraternel, brutal et franc se renifle d’un coup, comme une ligne de coke, en grognant d’aise. C’est une lecture jubilante, carrée, superbement visualisée, vraiment, à ne pas manquer. On savoure jouissivement l’abrupt déploiement de cette courte tranche de vie, que Max nomme fort judicieusement le temps de l’épanouissement carnassier. On se paie une féroce et délétère inversion collective des valeurs morales, professionnelles et comportementales, cucul-gnagnan de notre temps. "

L'ensemble du texte est ici.

vendredi 17 février 2012

Lordius publié chez ELP éditeur !

ELP éditeur, maison d'édition 100% numérique vient de publier :

La libération explosive de l'âme : une aventure de Max Peine


Il s'agit d'un roman noir.

Avant, j’avais une vie rangée. Jusqu’au matin où je me suis réveillé avec le cadavre de ma femme à mes côtés. Alors, mon cœur s’est fermé à la morale et à la compassion. J’avais cru malin de plaider la folie, pensant que qu’on se fait plus facilement la belle en hôpital psychiatrique qu’en taule. J’ai rapidement déchanté. Je devais à la fois retrouver la liberté physique, la santé mentale et la compassion. Mais trois objectifs, c’était trop ambitieux. On ne peut pas gagner sur tous les tableaux… J’ai dû mettre la morale de côté pour survivre, et trancher dans le vif. Trancher dans le vif… Tel un ressort compressé à mort par l’univers carcéral, ma tension et mon âme allaient se libérer… à mort.

L'article du blog de l'éditeur

Disponible aux formats epub, pdf et mobi (Kindle) sur Immatériel.fr

mardi 7 février 2012

Critique littéraire : Raging Bull : My Story par Jake La Motta

Avec ce livre sous le bras, Robert De Niro est allé voir Martin Scorsese pour lui proposer d’en faire un film qui deviendra culte. Et en effet, la vie de Jake La Motta est une épopée digne des meilleures fictions.

« J’ai eu dans ma vie des hauts plus hauts que la plupart des gens. Mais aussi des bas plus bas. » Imaginez un jeune de seize ans, si pauvre qu’il doit voler une dinde pour Thanksgiving, au cœur de la grande dépression des années 30. Il est délinquant. Il passe 18 mois dans une maison de redressement. Heureusement il a un don qui commence comme une malédiction. Son père, violent et dur, le fait combattre dès huit ans dans des bouges pour une poignée de dollars. Ainsi, très jeune, comme Marcel Cerdan dans un contexte très différent, il développe le sens du combat à mains nues. Après la maison de redressement, il se lance dans une carrière pugilistique effrénée qui, à force de persévérance et de sacrifices, le mène au titre de champion du monde des poids moyens. Il devient pour sa plus grande gloire, the champ.

La Motta, c’est le miroir de l’âme humaine, faite de grandeur, mais aussi d’une bassesse abjecte. Dès seize ans, il bat à mort un bookmaker pour le dépouiller. Il en éprouve certes des remords. Par contre, quand il se réveille d’une cuite formidable, avec sa femme inconsciente à ses côtés, il ne se rappelle plus l’avoir tabassée. Il la croit morte et tout ce qui le chagrine, c’est de devoir passer trois ans derrière les barreaux, pour une querelle d’ivrogne. Cela flanquerait en l’air sa carrière pugiliste. Pire, quelques années plus tard, il viole une femme. Et le seul remord qu’il en éprouve, c’est qu’elle était vierge. Il est désolé. Désolé. On notera au passage que la confession de ce viol illustre la profonde sincérité de l’auteur.

Comme une caricature, une fois qu’il est champion, il se laisse aller. Comme beaucoup d’hommes - mais avec excès, car c’est un personnage de la démesure en tout au point qu’il frôle l’aliénation mentale - il n’a plus qu’une passion double : booze and broads. L’alcool et les filles…

Outre les péripéties de sa vie, ce qui rend l’ouvrage édifiant, touchant et assez profond, ce sont les réflexions presque philosophiques qui le parsèment. Car La Motta, qu’on imagine intellectuellement limité, est aidé par deux nègres déclarés, deux ghostwriters, comme disent plus élégamment les Américains : Joseph Carter, écrivain et journaliste, ainsi que Pete Savage, son ami d’enfance. Celui qu’il a tabassé un jour parce que, jaloux maladif, il croyait que Pete couchait avec sa femme. Quand on dit que cet homme est une caricature !

À trois, les auteurs ont fait un sacrément bon boulot. Ils nous invitent à réfléchir sur la condition humaine, qui oscille entre les élévations de l’âme et les bassesses animales. Le taureau du Bronx, on l’appelait, pour ses prouesses sur le ring. En dehors du ring aussi, on serait tenté de le traiter de bête. De bête grandiose.

   

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vendredi 3 février 2012