Elle publia
son premier roman à vingt ans, aussitôt propulsé en tête des ventes françaises.
Son second roman devint un best-seller mondial. À trente ans, elle était la romancière
la plus vendue du monde et de tous les temps. Ses histoires, racontées avec des
mots simples, possédaient le don de toucher l’âme de tous : des enfants
aux vieillards, de l’Amérique à l’Asie. Ses œuvres offraient plusieurs niveaux
de lecture, en fonction de la sensibilité du lecteur. Elle écrivait des œuvres
tout public et tout média : ses récits s’adaptaient à merveille en films,
bandes dessinées, séries animées et pièces de théâtre. Cette multiplication des
supports accroissait d’autant sa notoriété et ses ventes.
Toutefois,
elle n’avait pas la plume facile. Elle passait de longues heures à écrire
devant son PC chaque jour. Et quand elle n’écrivait pas, elle lisait. Pour
l’inspiration, pour la recherche, pour disposer du bon schéma mental et se
rassurer.
Ces heures de
labeur l’épuisaient. Alors elle fumait, car la nicotine est un stimulant
cérébral ; elle buvait, car l’alcool retarde la fatigue. De plus, elle
grossissait car elle était sédentaire à l’extrême, toujours assise à sa table
de travail, la seule source d’inspiration qui la visitait.
À trente-cinq
ans, son hygiène de vie exécrable engendra un cancer des voies digestives. Le
grand cancérologue qui la sauva fut consterné : à peine convalescente,
encore à l’hôpital, elle reprenait déjà ses mauvaises habitudes.
Il tenta de la
raisonner ; en vain. Elle courait à sa perte. Il lui conseilla de changer
de cadre de vie, de rompre avec ses habitudes, d’arrêter d’écrire même, car,
affirmait-il, une belle histoire ne vaut pas une vie ; sans succès. Grand
admirateur de l’écrivain et tombé très amoureux de la femme après quelques mois
à la soigner, le professeur l’enleva et la retint captive dans son manoir isolé
au cœur des montagnes suisses. Le public croyait qu’elle avait disparu
volontairement pour se ressourcer.
Tabac et
alcool lui furent interdits. Elle n’avait le droit d’écrire qu’après avoir fait
une heure d’exercice quotidien. Cette nouvelle hygiène de vie améliora sa santé
physique. Par contre, la romancière manquait de stimulants et ses textes s’en
ressentaient : son roman en cours n’avançait pas, son moral miné minait
par effet domino son inspiration.
Elle essaya
d’attendrir son geôlier pétri de bonnes intentions. Elle plaida qu’il était
vain d’aider l’humanité malgré elle ; sans succès. Elle voulut monnayer
ses faveurs contre un peu de substances psychoactives ; le chaste médecin
se montra incorruptible, malgré son désir ardent. Elle tenta de s’évader par
deux fois ; échec. Alors, la plus adulée et la plus riche des romancières,
mince, poumons aérés et foie régénéré, se pendit dans sa cellule.
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Belle histoire, comme quoi on ne peut aider une personne que si elle le veut bien.
RépondreSupprimerExactement ! On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif...
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