mercredi 9 mai 2012

Critique : L’Unique et sa propriété de Max Stirner


Date de parution : 1845
       Genre : essai philosophique sur la nature humaine

Max Stirner fut un philosophe berlinois de la première moitié du XIXème siècle. Son ouvrage majeur, L’Unique et sa propriété a dès sa parution provoqué des débats houleux. Il a influencé de nombreux penseurs dont Marx, Albert Camus et bien d’autres. Il fait partie des ouvrages fondateurs de l’anarchisme individualiste. Il aurait eu aussi une influence sur le nihilisme de Nietzche et sur l’existentialisme.

Dans la première partie, Stirner nous fait prendre conscience des chaînes qui emprisonnent l’esprit humain. Ces entraves sont les idées, les concepts, les idéaux qui aliènent l’individu depuis l’aube des temps.

D’abord il y eut les dieux puis Dieu, dont le joug fut écrasant (dogmes, concept de péché donc de culpabilité, pratiques religieuses, etc…). Depuis la période moderne (en Occident, s’entend), d’autres idéologies nous aliènent : patriotisme, communisme, étatisme, humanisme…

Stirner émet une idée intéressante : la religion classique a été progressivement remplacée par celle de l’Homme, de l’humanité : « La religion de l'humanité n'est que la dernière métamorphose de la religion chrétienne ». L’Esprit Saint ne se trouve en pratique que dans les humains, les seuls à posséder un esprit. Cela explique pourquoi les mœurs sont de plus en plus clémentes depuis l’Antiquité, l’esclavage a disparu et la peine de mort recule : il est péché d’asservir ou de tuer les représentants du dieu humanité.

Stirner refuse la sacralisation de ces idées, rejette tout ce qui prétend se situer au-dessus de l’individu. Ce sont les hommes qui ont créé ces idées. Elles ne lui sont donc pas supérieures. Pourtant, elles se sont détachées de leur créateur qui les a placées à tort au-dessus de lui.

Dans la seconde partie, Stirner nous éclaire sur la nature profonde de l’individu. C’est l’égoïsme. Les humains sont tous mus par leur intérêt propre. Les altruistes ne sont que des égoïstes qui cherchent leur satisfaction dans celle des autres. Stirner s’emploie à transformer ce terme d’ordinaire péjoratif en quelque de sain et surtout de naturel : c’est ainsi que nous sommes.

Mais égoïste ne signifie pas isolé ni nuisant aux autres. En fait, les humains s’allient souvent en associations d’égoïstes pourvu que chacun y trouve son compte.

Cet égoïsme revendiqué et assumé se base aussi sur la notion d’unicité de l’individu, qu’il nomme l’Unique. L'Unique est souverain, il ne s'aliène à aucune personne, ni aucune idée, et considère l'ensemble du monde comme sa propriété dans le sens où il s'approprie tout ce que son pouvoir lui permet de s'approprier.

Un ouvrage majeur, très en avance sur son temps et sur le nôtre. Nous ne sommes pas prêts de briser nos chaînes ni d’accepter notre vraie nature. Stirner aide à faire un pas sur le long chemin de l’Unique vers la liberté.
 
Quelques citations classées par thème :

Sur le sacré :

« Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une ‘dévotion’ ; aucun sentiment n'est sacré (il n'y a pas de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel, etc.), aucune foi n'est sacrée. Pensées, sentiments, croyances sont révocables et sont ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la crée. »
 

Sur l’État :

« Ce sont mes tyrans État, Religion ou conscience qui sont libres, et leur liberté fait mon esclavage. Il va de soi qu'ils mettent en pratique, pour me réduire, le proverbe ‘la fin justifie les moyens’. Si le bien de l'État est le but, le moyen d'y pourvoir, la guerre, se trouve sanctifié ; si la justice est le but de l'État, le meurtre comme moyen devient légitime et porte le nom sacré d'’exécution’, etc. La sainteté de l'État déteint sur tout ce qui lui est utile. »

« La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'Eglise : l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité. »



Sur l’Unique :

« J'aime Moi aussi les hommes, non seulement les individus mais chacun. Mais je les aime avec la conscience de l'égoïsme : parce que les aimer Me rend heureux et qu'aimer M'est naturel, parce que cela Me plaît et je ne connais pas de ‘commandement de l'amour’ ».

« Sans doute ai-je des ressemblances avec les autres, mais elles n'ont de valeur que pour la comparaison et la réflexion: en fait, je suis incomparable et unique. Ma chair n'est pas leur chair, mon esprit pas leur esprit. »
 

Sur l’amour (s’adressant à sa partenaire amoureuse) :

« J'ai découvert en toi le don d'ensoleiller et d'égayer ma vie, et j'ai fait de toi ma compagne. Il se pourrait aussi que j'étudiasse dans le sel la cristallisation, dans le poisson l'animalité, et chez toi l'humanité, mais tu n'es jamais à mes yeux que ce que tu es pour moi, c'est-à-dire mon objet, et en tant que mon objet, tu es ma propriété. »
 

Et le bouquet final, sur la continuité de la religion :

« La crainte de Dieu proprement dite est, depuis longtemps ébranlée, et un ‘athéisme’ plus ou moins conscient, reconnaissable extérieurement à un abandon général du culte, est devenu involontairement la note dominante. Mais on a reporté sur l'Homme ce qu'on a pris à Dieu, et la puissance de l'Humanité s'est accrue de ce que la piété a perdu en importance : ‘l'Homme’ est le Dieu actuel, et la crainte de l'Homme a remplacé l'ancienne crainte de Dieu. Mais comme l'homme ne représente qu'un autre être suprême, l'être suprême n'a fait que se métamorphoser, et la crainte de l'Homme n'est qu'une autre forme de la crainte de Dieu. Nos athées sont de pieuses gens. »




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2 commentaires:

  1. Oui, d'accord avec tout ce que vous dites. Dommage que Stirner ne soit pas plus connu, plus lu, car ses thèses se confirment aujourd'hui.
    Bon, si on pousse la logique à fond, on en arrive à une idée difficile à mettre en application. Cette idée, cet individualisme (ou égoïsme) en question, revient à dire : le maître parle de tous à tous. Comment échapper à cette position de maître alors que l'on ne cesse de se référer au collectif ?
    D'une autre façon, avec d'autres buts, Sade a aussi poussé l'idée d'égoïsme aussi loin que possible.
    On s'amuse : http://planetdsaintje.unblog.fr

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  2. Je n'ai pas tout saisi mais merci de votre passage.

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