Je l’ai tué
parce qu’il me battait. En attendant mon jugement, j’ai été écrouée dans une
prison pour femmes. Les autres détenues étaient dures. Le temps était lent.
Alors je me suis mise à dessiner pour m’évader. J’étais prof de dessin. Il y
avait plein de mangas à la bibliothèque de la prison. C’est comme ça que j’ai
démarré.
Dessiner des
mangas que personne ne lit, à quoi bon ? C’est pourquoi j’ai passé mes
créations à mes codétenues. Leur enthousiasme m’encouragea. Elles sont devenues
plus douces. Mes histoires s’inspiraient des grands classiques japonais :
de l’action violente stylisée saupoudrée d’humour, de beaucoup d’humour car
j’avais besoin de rire et de faire rire. Les personnages devaient se montrer
attachants, les péripéties haletantes, et surtout les bonnes idées recyclées
sans cesse et sans vergogne. C’était la recette éprouvée de mes maîtres
japonais. J’ajoutai ma touche personnelle : un peu de romantisme dans ce
monde manga de brutes.
J’ai eu le
temps de m’entraîner, de peaufiner mon art : trois ans de préventive avant
le jugement. J’ai envoyé mes planches à des éditeurs. Glénat, le plus
prestigieux éditeur de mangas en langue française, m’a acceptée juste quand je
passais aux assises. La justice est lente comme le temps en détention.
Heureusement pour moi, elle est clémente envers les femmes, peut-être parce que
les juges sont souvent des femmes. Je fus acquittée. Glénat me publia. Le
succès fut immense. On saluait en moi la
Toriyama française, la nouvelle Takahashi.
De toute part,
on me pressait de poursuivre mon œuvre. Hélas, il y avait trop de distractions
en liberté. Je n’arrivais pas à me concentrer. Page blanche. Ma vie sans
création devint insipide. Je me mis à penser à la prison avec nostalgie. Je
décidai d’y retourner. Je défrayai la chronique de mes frasques, comme tant de
stars perturbées. Mais on refusa de m’enfermer. En désespoir de cause, je
cherchai même un amant à tuer. Sans succès. Alors je me suis enfermée chez moi.
L’inspiration revint à ce prix.
Je ne peux
plus sortir maintenant. C’est la rançon de ma créativité. Les blouses blanches
ont diagnostiqué un cas sévère d’agoraphobie. Ces pauvres psys sont jaloux de
ma gloire. Ils ne comprennent pas le fardeau de mon génie artistique.
Le salon dans
lequel je dessine mes mangas est devenu trop vaste. Il fait fuir mon
inspiration. C’est décidé : demain je m’installe dans la salle de bain.
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