Date de
parution : 1893
Genre : Court
essai philosophique profond
Le Russe
Pierre Kropotkine (1842-1921) fut un géographe de notoriété internationale et
un des grands penseurs de l’anarchisme.
La morale anarchiste, court essai
philosophe, est remarquable. Je ne suis pas d’accord avec tout. J’ai toutefois
noté trois idées justes de l’auteur :
La nature profondément égoïste de
l’individu. Une idée lucide déjà émise par Max Stirner en 1845 dans L’Unique
et sa propriété, un des textes fondateurs de la pensée libertaire
individuelle. Stirner affirme que les altruistes ne sont que des égoïstes qui
cherchent leur plaisir dans celui des autres. Kropotkine ne dit pas autre
chose. Il illustre fort bien son propos :
« Lorsqu’une femme se prive du dernier morceau
de pain pour le donner au premier venu, lorsqu’elle ôte sa dernière loque pour
en couvrir une autre femme qui a froid, et grelotte elle-même sur le pont du
navire, elle le fait parce qu’elle souffrirait infiniment plus de voir un homme
qui a faim ou une femme qui a froid, que de grelotter elle-même ou de souffrir
elle-même de faim. »
L’énergie passionnelle et créatrice. Les
grands hommes qui semblent sacrifier leur vie pour une grande cause, la science
par exemple, expriment en fait une surabondance de vie :
« Le sentiment moral du devoir, que chaque
homme a senti dans sa vie et que l’on a cherché à expliquer par tous les
mysticismes. Le devoir n’est autre chose qu’une surabondance de vie qui
demande à s’exercer, à se donner ; c’est en même temps le sentiment d’une
puissance.
Toute force qui s’accumule crée une pression
sur les obstacles placés devant elle. Pouvoir agir, c’est devoir agir. Et toute
cette ‘obligation’ morale dont on a tant parlé et écrit, dépouillée de tout
mysticisme, se réduit ainsi à cette conception vraie : la vie ne peut se
maintenir qu’à condition de se répandre.
‘La plante ne peut pas s’empêcher de
fleurir. Quelquefois fleurir, pour elle, c’est mourir. N’importe, la sève monte
toujours !’ conclut le jeune philosophe anarchiste. Il en est de même pour
l’être humain lorsqu’il est plein de force et d’énergie. La force s’accumule en
lui. Il répand sa vie. Il donne sans compter — sans cela il ne vivrait pas. Et
s’il doit périr, comme la fleur en s’épanouissant — n’importe ! La sève
monte, si sève il y a. Sois fort ! Déborde d’énergie passionnelle et
intellectuelle — et tu déverseras sur les autres ton intelligence, ton amour,
ta force d’action ! »
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