mercredi 31 octobre 2012

Critique littéraire de : Le petit bleu de la côte Ouest par J.P Manchette


Date de parution : 1976 
Genre : Néo-polar

 Jean Patrick Manchette fut le pionnier français du genre néo-polar dans les années 70. En plus d’écrivain, il exerça une foule de métiers connexes. À la fin de sa vie, il souffrait d’agoraphobie et ne pouvait quasiment plus sortir de chez lui. C’est cette forme de trouble mental plutôt handicapante qui m’a inspiré le personnage de La Mangaka française.

C’est quoi le genre néo-polar ? Selon Wikipédia : « L'ambiance du néo-polar est souvent violente et macabre : il dénonce la société contemporaine, les scandales politiques, affectionne le monde des marginaux et des exclus. Son terrain de prédilection est la ville et plus spécialement l'univers glauque des banlieues, il n'y a pas nécessairement d'enquête, mais la mort y est présente sous une forme souvent dure, œuvre de psychopathes et de tueurs en séries effrayants. »

Le style Manchette déconcerte de prime abord avec ses répétitions et ses tournures bizarres qui ressemblent à des fautes de syntaxe, mais sont, bien sûr, voulues. Des néologismes syntaxiques, en quelque sorte. Au début, ça fait décrocher de l’histoire. Puis on s’habitue et on s’aperçoit que son style ne manque pas de… style. Il a une façon de décrire systématiquement les fringues des personnages qui souvent n’apporte rien (comme de préciser la musique qu’ils écoutent), mais parfois le narrateur en déduit quelque chose sur le caractère du personnage, et alors c’est bon. Manchette aime aussi décrire les faits et gestes prodigieusement anodins des persos, sûrement pour les humaniser et apporter une touche de réalisme : genre, j’y étais, voilà exactement comme ça s’est passé, tous ces détails, je ne peux pas les avoir inventés…

L’intrigue ? Pas réaliste comme toutes les fictions genre thriller et apparenté. Ce n’est pas ce qu’on lui demande. Un cadre rangé conduit un blessé à l’hôpital. Alors sa vie bascule : deux tueurs tentent de le supprimer. Il ne sait pas pourquoi, le pauvre bougre. Ça chauffe, il se sauve ; ainsi débute son errance sanglante.

Durant ses pérégrinations, le personnage principal s’interroge sur sa vie. En effet, au lieu d’aller à la police, il a tout plaqué : femme, enfants, boulot… Que souhaite-t-il faire de sa vie ? Et que peut-il ?

Globalement, ce court roman a un style unique, des personnages attachants, une intrigue bondissante. C’est du bon. Du très bon. Il est considéré comme le meilleur roman de Manchette, avec La position du tireur couché.

 

 

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jeudi 25 octobre 2012

Nouvelle courte : La romancière boulimique


Elle publia son premier roman à vingt ans, aussitôt propulsé en tête des ventes françaises. Son second roman devint un best-seller mondial. À trente ans, elle était la romancière la plus vendue du monde et de tous les temps. Ses histoires, racontées avec des mots simples, possédaient le don de toucher l’âme de tous : des enfants aux vieillards, de l’Amérique à l’Asie. Ses œuvres offraient plusieurs niveaux de lecture, en fonction de la sensibilité du lecteur. Elle écrivait des œuvres tout public et tout média : ses récits s’adaptaient à merveille en films, bandes dessinées, séries animées et pièces de théâtre. Cette multiplication des supports accroissait d’autant sa notoriété et ses ventes.

Toutefois, elle n’avait pas la plume facile. Elle passait de longues heures à écrire devant son PC chaque jour. Et quand elle n’écrivait pas, elle lisait. Pour l’inspiration, pour la recherche, pour disposer du bon schéma mental et se rassurer.

Ces heures de labeur l’épuisaient. Alors elle fumait, car la nicotine est un stimulant cérébral ; elle buvait, car l’alcool retarde la fatigue. De plus, elle grossissait car elle était sédentaire à l’extrême, toujours assise à sa table de travail, la seule source d’inspiration qui la visitait.

À trente-cinq ans, son hygiène de vie exécrable engendra un cancer des voies digestives. Le grand cancérologue qui la sauva fut consterné : à peine convalescente, encore à l’hôpital, elle reprenait déjà ses mauvaises habitudes.

Il tenta de la raisonner ; en vain. Elle courait à sa perte. Il lui conseilla de changer de cadre de vie, de rompre avec ses habitudes, d’arrêter d’écrire même, car, affirmait-il, une belle histoire ne vaut pas une vie ; sans succès. Grand admirateur de l’écrivain et tombé très amoureux de la femme après quelques mois à la soigner, le professeur l’enleva et la retint captive dans son manoir isolé au cœur des montagnes suisses. Le public croyait qu’elle avait disparu volontairement pour se ressourcer.

Tabac et alcool lui furent interdits. Elle n’avait le droit d’écrire qu’après avoir fait une heure d’exercice quotidien. Cette nouvelle hygiène de vie améliora sa santé physique. Par contre, la romancière manquait de stimulants et ses textes s’en ressentaient : son roman en cours n’avançait pas, son moral miné minait par effet domino son inspiration.

Elle essaya d’attendrir son geôlier pétri de bonnes intentions. Elle plaida qu’il était vain d’aider l’humanité malgré elle ; sans succès. Elle voulut monnayer ses faveurs contre un peu de substances psychoactives ; le chaste médecin se montra incorruptible, malgré son désir ardent. Elle tenta de s’évader par deux fois ; échec. Alors, la plus adulée et la plus riche des romancières, mince, poumons aérés et foie régénéré, se pendit dans sa cellule.
 

 

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mercredi 17 octobre 2012

Critique de Weëna (bande dessinée)


Scénario : Corbeyran
Dessin et couleurs : Alice Picard
Éditeur : Delcourt
Date de parution : 2003 pour le volume 1
Genre : Bande dessinée de Fantasy

 L’univers de la Fantasy, c’est la magie omniprésente, des humains affublés d’oreilles pointues, des animaux bizarres comme des mutants, qu’on dit fantastiques, une civilisation oscillant entre l’Âge de Fer et le Moyen Âge. Très classique, jusque-là.

L’histoire est dramatique : quand le bébé nommé Weëna nait, une prophétesse (on ne sait pas si c’est une sorcière ou un Esprit, mais elle est puissante, rancunière et pas commode du tout) affirme que si elle vit, le village dont son père est chef sera exterminé et des tonnes de malheurs s’ensuivront. Le papa envoie paître le rapace de mauvais augure, il aime son bébé et refuse la prophétie. Malheur à lui ! Malheur aux siens !

Mais pas tout de suite. L’enfance et l’adolescence de Weëna sont heureuses, elle s’éprend d’un berger, qui lui ne pense qu’à devenir guerrier, car il en a marre de garder ses bêtes bizarres dans la montagne. Il est en fait aussi bizarre que les herbivores qu’il garde : il n’est pas obsédé sexuel, comme beaucoup de jeunes hommes. Son trip, c’est de tuer d’autres hommes, mais des méchants bien sûr, des barbares qui menacent le royaume. La jeune fille envie sa liberté et sa solitude, mais lui s’ennuie et veut changer de vie, car on désire souvent ce qu’on n’a pas, alors que le bonheur de l’amour lui tend les bras, là, tout près. Par les Esprits ! Quel nigaud !

Weëna, qui est très attirante malgré ses cheveux gris (couleur cendre froide, d’après les dialogues) lui fait des avances qui tombent à l’eau. Alors elle l’embrasse par surprise, parce qu’elle a un caractère somme toute très masculin : énergique, rebelle, dragueur, presque agressif. Bon, quand il découvre le goût du baiser, le pâtre niais en redemande. Hélas ! C’est à ce moment que le super-méchant débarque… Il nous bousille la romance avec la dernière énergie…

Souffle épique, romance pas mièvre, tragédie, action violente, conflits et tensions de partout : l’histoire est prenante.

Le dessin est bon, mais pas transcendant. On a droit à la couleur, c’est quand même mieux qu’un manga, sur ce point au moins. Parce que si le dessin n’est pas extraordinaire, la couleur rattrape le coup.

Une très bonne BD globalement. Essayez le tome 1, vous verrez !
 


 

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mardi 9 octobre 2012

Critique : Le roi Léo par Osamu Tezuka (manga)


Éditeur : Glénat pour l’édition française
Titre original : Janguru Taite (L’empereur de la jungle)
Date de parution : 1950 pour la version originale (premier volume)
Genre : manga d’aventures animalières fantaisistes 

De son vivant, Osamu Tezuka était surnommé le dieu des mangas par ses compatriotes. Au début de sa carrière, il fut inspiré par les œuvres de Walt Disney, notamment Bambi dont il aurait vu le film 80 fois ! En retour, il inspira Le roi Lion. La boucle était bouclée.

L’histoire ? Au fin fond de l’Afrique, dans la jungle où règne la loi du même nom, un lion nommé Pandja, très fort, mais surtout très intelligent, lutte contre l’avancée dévastatrice des hommes blancs et noirs. Longtemps, il les tient en échec. Un jour, il tombe amoureux d’une lionne et les diaboliques hommes en profitent pour le tuer. La lionne a un bébé, Léo, qui parvient à s’échapper de captivité. Après bien des péripéties, il revient sur le territoire de son père. Hélas ! Les hommes lui ont inculqué d’autres valeurs que celles des animaux sauvages. Il doit mener un combat à la fois intérieur et contre les méchants humains tout en préservant les humains qui l’ont aidé. Un défi grandiose et titanesque l’attend.

Parmi l’œuvre immense et marquante du père des mangas modernes, Le roi Léo fait figure de classique voire de chef-d’œuvre. À sa parution en 1950, c’était d’une nouveauté et d’une fraîcheur renversante. Aujourd’hui encore, l’œuvre est saisissante. Combien de bandes dessinées de 1950 ont réussi cet exploit ?

L’humour y est omniprésent par le dessin presque animé comme par le texte. Les péripéties sont haletantes. Les personnages sont habilement ambivalents, comme dans toute l’œuvre de Tezuka. Le chasseur qui a tué Pandja, par exemple, est un ancien bourreau nazi. Mais il se révèle aussi un père de famille modèle et ses scrupules moraux l’honorent en maintes circonstances.

Comme beaucoup de grandes fictions, l’œuvre recèle plusieurs niveaux de lecture. Elle cible bien sûr les enfants. Toutefois sa profondeur en fait aussi une satire sociale voire un conte philosophique qui régaleront les adultes.

Trop peu connue des adultes français rebutés à juste titre par certains titres de mangas pour la jeunesse, l’œuvre de Tezuka mérite vraiment d’être découverte.


 
 

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mardi 2 octobre 2012

Critique : Pacifico, de Comte Kerkadek


Pacifico est le premier roman du Comte Kerkadek publié au format numérique par les dynamiques Éditions de Londres.

L’histoire loufoque est une suite de péripéties rocambolesques et surréalistes qui, en comparaison, catapulte les pieds nickelés dans la catégorie des œuvres d’introspection psychologique. Deux jeunes Français exilés aux États-Unis (car la recherche d’emploi en Royaume de France se situait à mi-chemin entre la flûte de Pan station Glacière et la mendicité) travaillent dans une chaine de fast-food. Or il vient à leurs oreilles que le fondateur de cette chaine, un nain qui a disparu du jour au lendemain, détiendrait un manuscrit ésotérique qui explique le sens de la vie.

Pacifico est un roman drôlement noir, c’est-à-dire bourré d’humour (noir) et en même temps empreint d’un pessimisme nihiliste (le pire est à crainte quant au sens de la vie), certes réaliste mais dévorant. Pour paraphraser un chanteur, l’auteur joue de la dérision comme d’un fusil de précision, voire parfois d’un lance-flamme qui ne grille pas que les poulets du fast-food.

Voici une très juste description de la France, pays d’origine du Comte, qui illustre le sens de la métaphore de l’auteur :

Notre République aux institutions trop grandes pour son corps, trop étriquées pour son âme, une sorte de pays médiocre passé au régime Weight Watchers de l’Histoire mais sans un sou vaillant pour refaire sa garde-robe oubliée sur des cintres comme des libertés à des crocs de boucher.

L’Amérique, terre d’aventure de nos antihéros, n’est pas en reste :

La bouffe américaine était à l’image de sa classe moyenne : copieuse, gueularde et sans imagination. Elle était égalitaire, économique, une bouffe rapide et efficace, sans préambules. Une bouffe pornographique.

Le récit fleure bon les idées libertaires :

Le dossard socialiste, c’était la meilleure invention de la bourgeoisie pour ne rien changer à une société figée.

— Tous perpétuent la même oppression, dit Léo, Bakounine appelle cela « la fiction liberticide du bien public représenté par l’État », Hölderlin parle du pêché qui consiste à faire de l’État une école des mœurs, et déplore que l’homme ait fait de l’État un enfer, à vouloir en faire son paradis.

Mais comme disait Céline, les idées, c’est pas le plus important. On en trouve des tonnes dans l’Encyclopédie. Ce qui compte, c’est le style. Or notre aristocrate fait preuve dans ce domaine d’une facilité qui tutoie la virtuosité. Il passe avec fluidité de l’élan lyrique à la description poétique puis enchaine par une logorrhée contrôlée. Contrôlée, car contrairement au jeune Spiderman qui découvre ses balbutiants superpouvoirs, notre noble superhéros de la plume acerbe sait tisser la toile capable de retenir le lecteur. Exemple :

On croisa des individus d’un autre âge, enfants couverts de brûlures, cherchant l’éther dans des sacs, putains décharnées, clochards analphabètes, des paquets de nerfs et de sang bercés par une bise tuberculeuse, tourbillonnant dans un abysse noir à la rencontre des monstres oubliés de la création, des créatures macrocéphales au sang ammoniaqué, ramenés à la vie par des cauchemars nuit de poudre blanche.

On se régale à la lecture de cette œuvre originale, burlesque et mélancolique à la fois, sublimée par un style éblouissant.

Allez, je ne résiste pas à une petite dernière :

J’ai connu une fille qui était si courte sur pattes qu’elle faisait les pompiers sur une échelle.

 

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