vendredi 23 septembre 2011

Nouvelle courte : La légende est en marche

            Le Maître est assis sur une chaise, les épaules voûtées, les traits défaits. Jamais son disciple ne l’a vu aussi accablé. D’autres disciples font mine d’entrer dans la pièce. D’un geste, il leur fait signe de rester à l’écart.

            — Nous sommes pourchassés comme des bandits ! s’insurge le disciple.  Il y a peu, des foules nous suivaient. À présent, nous en sommes réduits à mener une vie clandestine ! Les ingrats ! Comment peuvent-ils vous pourchasser après tout le bien que vous avez fait ? Tous ces malades que vous avez guéris, les aveugles, les possédés, les épileptiques, les lépreux, les…

            — Je n’ai jamais guéri de lépreux ! La rumeur enfle les faits…

            — La légende est en marche, Maître !

            — J’ai déjà dit que je voulais persuader les foules par la parole, et non grâce à mes talents de guérisseur.

            — Les foules sont parties. Elles attendaient un roi capable de prendre la tête d’une insurrection contre l’envahisseur.

            Le Maître secoue la tête, comme s’il s’entretenait avec un cancre fini. Il soupire et reprend :

            — Loin de moi le pouvoir temporel corrupteur ! Je fais le bien et non le mal, je suis la Loi et ne prêche pas la révolte contre l’envahisseur.

            — Vous prêchez contre les autorités religieuses. Elles veulent votre mort.

            Le visage du Maître se crispe et s’empourpre. Il serre les poings et se lève.

            — Les hypocrites ! Les hommes de peu de foi ! Avec formalisme ils pratiquent, mais leur cœur n’y est pas. Ils ne comprennent pas qu’il faut dépoussiérer la morale archaïque.

            — Mais Maître, les écritures sont sacrées…

            — Voudrais-tu lapider un homme qui ramasse du bois pendant le sabbat, qui insulte ses parents ou pratique l’adultère ? Allons ! Nous ne sommes plus au temps de Moïse ! J’ai prêché une morale plus douce, empreinte de plus de sollicitude et de fraternité.

            —Vous leur avez maintes fois fermé la bouche ! Mais votre morale est difficile à appliquer.

            — C’est un idéal vers lequel tendre. La perfection n’est pas donnée aux hommes.

            Les deux hommes gardent le silence. Puis le disciple dit :

— Nous sommes recherchés pour trouble à l’ordre public depuis la bagarre générale avec les vendeurs du Parvis.

            Le Maître pâlit, se rassoit. Il cligne des yeux nerveusement.

            — Je me suis emporté ce jour-là… Un démon m’a poussé. Mes nerfs éprouvés ont lâché. J’ai agi contre le bien : j’ai été violent, moi qui suis là pour apaiser ; j’ai jugé, moi qui suis sur Terre pour sauver…


Fin de la première partie

2ème et dernière partie

7 commentaires:

  1. Quel talent !
    Tu as réussi à dépoussiérer une page de l'histoire de l'Humanité.
    J'attends la suite avec impatience bien que je la connaisse...

    RépondreSupprimer
  2. J'adore cette dramatisation, qui fleure bon le style de la SF d'il y a trente ans.

    Ne pas oublier quand même «Tu aimeras ton prochain comme toi-même" du Lévitique 19-18. Il faut parfois que je rappelle cela à des juifs qui trouvent que le christianisme «a quand même apporté quelque chose».

    La propagande fonctionne bien.

    jchr.be

    RépondreSupprimer
  3. Je découvre ton espace dans lequel je ne manquerai pas de revenir, bien que je sois présente en pointilés en ce moment sur notre belle blogosphère :)
    C'est avec plaisir que j'accepte l'échange de lien, merci ! Tu trouveras de quoi te régaler de mots parmi les liens sur mon blog si le coeur t'en dit, poésie ou mini histoire, à toi de voir ...
    Les mots, les mots tourbillonnent délicieusement ici, sans doute un des effets de l'automne non ? :D
    Bravo pour ton travail
    @ bientôt

    RépondreSupprimer
  4. @jchr.be
    Merci pour ton commentaire.
    C'est comme le commandement "Tu ne tueras point" de l'Ancien Testament : en fait, selon certains spécialistes, il ne concerne que les juifs. C'est à dire qu'un juif n'avait pas le droit de tuer un autre juif, mais il pouvait tuer un "paien".
    Le Nouveau Testament étend le message de non-violence à toute l'humanité.

    @Chris : merci pour ta visite et ton mot très sympa. Je mets en place le lien dès le début de la semaine prochaine.

    RépondreSupprimer
  5. Salut. Si tu vois le prophète, dis-lui un mot pour moi ;-)

    RépondreSupprimer
  6. @Chris : voilà, le lien est en place.
    Attends-toi à une explosion du trafic sur ton blog :-)

    @anonyme : merci d'être passé.
    Peut-être verrons-nous le prophète dans la seconde partie :-)

    RépondreSupprimer