mercredi 2 novembre 2011

Nouvelle courte : La genèse d’une star

            L’homme entra d’un pas décidé. Son regard balaya la pièce avec irritation. Où diable était ce petit crétin ? Il faillit laisser échapper un cri de surprise : le jeune était agenouillé dans un coin, les yeux clos, les mains jointes. Il marmonnait. L’homme donna un coup de talon sec sur le sol.
            — Que dites-vous, jeune homme ?
            — L’occident chrétien est mort, faute de croyants. De même, la guerre va s’arrêter faute de combattants.
            L’homme fronça les sourcils. Il décida d’opter pour la diplomatie. Dans un premier temps…
            — Cela ne vous empêche pas d’adorer Dieu, répondit-il d’une voix douce, si c’est votre conviction. Mais restez discret. Nos dirigeants sont athées.
            — Pire ! Ce sont d’infâmes païens ! Pourtant, ils inscrivent sur leur ceinturon « Dieu est avec nous ». Les sots ! Ils ne pourront jamais gagner la guerre sans l’aide du Seigneur…
            L’homme en uniforme se caresse le menton, pensif. Il va lui falloir biaiser pour convaincre ce freluquet dogmatique et fanatique.
            — Jamais ils n’y arriveront ! aboie l’adolescent, toujours à genoux dans son coin.
Il se met à ricaner nerveusement. Les bottes du soldat martèlent le sol. Leur propriétaire s’approche, tend sa main gantée et aide le dévot à se relever. Il vrille son regard dans celui de l’adolescent pour y déceler la conduite à tenir. Son poing gauche se crispe, comme pour maîtriser une forte émotion. Impatience, colère, frustration, envie de meurtre… Son âme est ravagée par les pulsions destructrices mais son beau visage d’ange aryen reste impassible. Il parvient même à esquisser un demi-sourire.
— En effet, mon jeune ami, elle est perdue. À moins d’un miracle. Il faudrait, comme vous dites, que Dieu nous vienne en aide.
— Jamais ! crache derechef le jeune homme. Jamais Il n’écoutera les infidèles que nous sommes… Notre peuple est proscrit ! Maudit ! Nous devons porter notre croix !
— Pour attirer l’attention du Seigneur, il faut un acte de foi ! Nous devons frapper fort !
— Prier fort, vous voulez dire, Herr Hauptmann ?
Le capitaine soupire et secoue la tête comme s’il avait affaire à un arriéré mental. C’est lui qui porte sa croix en ce moment… Il reprend d’une voix vibrante :
— À l’heure du péril ultime, quand notre patrie est menacée par l’hydre rouge, le Führer a besoin de tous ses soldats. Même les plus jeunes, même les plus… euh… même les plus mystiques !
— Je suis un soldat du Christ ! hurle le jeune homme. Je refuse d’être embrigadé dans les jeunesses hitlériennes !
Il faut vraiment que nous soyons acculés, songe le capitaine SS, pour tenter de mobiliser des abrutis pareils, des sous-hommes dégénérés qui mériteraient l’euthanasie libératrice. Cette engeance est embrigadée, pour reprendre sa rhétorique, par sa religion passéiste.
Il répond avec le plus de conviction possible :
— La pureté de la race et de la jeunesse des Hitler Jugend peut nous concilier les bonnes grâces du Seigneur et nous aider à négocier une paix séparée avec le Satan Communiste, le Diable Rouge.
— Ah ? C’est vrai que mon âme est pure. J’ai eu une vision récemment grâce à la pénitence et à une volonté de fer. Je crois que… je suis l’ange du Seigneur…
— Oui, oui, renchérit le capitaine en tapotant affectueusement l’épaule du garçon, votre vision est juste, vous commencez à comprendre le rôle que Dieu vous a concocté, dans son infinie grandeur. Tenez, un verre de schnaps. Il vous aidera à élever votre âme. C’est le sang du Christ.
Les deux protagonistes trinquent. Lequel trinquera, in fine ? se demande le capitaine en remplissant de nouveau les verres. Les deux Allemands restent silencieux plusieurs minutes. Le jeune respire bruyamment, ses yeux brillent. Sa mâchoire tremble légèrement.
L’officier ferme les yeux, comme s’il tentait de communier avec l’au-delà. Il essaie en fait de composer un visage exalté. C’est difficile quand le fou-rire guette. Pas maintenant, s’encourage-t-il en pensée. Rira bien qui rira le dernier. In fine
— Je peux vous faire sortir d’ici si vous acceptez d’effectuer le rituel salvateur.
— Rituel ? Zu Befehl ! À vos ordres, mon capitaine !
C’est un garçon qui a besoin de certains mots-clés appartenant à son univers obsessionnel, accompagnés d’une substance propre à le mettre en transe, se dit le capitaine. Un vrai SS ne doit pas se laisser aller à la pitié des faibles. Mais il est si jeune, si malléable encore, pourvu qu’on entre dans son délire de primitif.
— Très bien !  Sehr gut ! Vous prenez le chemin de la rédemption. Votre âme sera sauvée si vous acceptez de risquer votre corps !
Le garçon retombe à genoux. Sa mâchoire tremble de plus belle. Il se met à baver. Le capitaine ne peut s’empêcher une grimace de dégoût.
— Jésus a dit : celui qui perdra sa vie pour moi la gagnera dans l’au-delà ! Sauver mon âme, Ja ! Mon corps mortel et abject, je le sacrifie pour le Christ. Je suis son ange !
— Vous êtes son ange exterminateur ! rugit le capitaine. Celui qui a anéanti Sodome sous un bombardement de pierres ! Vous êtes le bras du Dieu vengeur tout-puissant ! Dieu est avec VOUS !
— Oui, Seigneur… Mon capitaine… Quel est le rituel à accomplir ? Ordonnez et j’obéirai…
— Il faut revenir aux sources, aux rituels bibliques anciens, du temps des Croyants Puissants.
— Oh oui, oui, mon capitaine ! Ach ! Retrouver la pureté et la puissance originelles !
— Sacrifices humains ! hurle le capitaine en levant les bras et les yeux au ciel.
Le garçon, toujours à genoux, glousse. Des larmes de joie ruissellent sur ses joues imberbes. Le capitaine écarquille les yeux : le jeune est en train de s’uriner dessus.
— Dieu vous ordonne d’immoler tous les ennemis soviétiques athées que vous trouverez sur votre glorieux passage. Leur âme est perdue, de toute façon.
Pas de réaction.
— C’est la volonté du Seigneur tout puissant ! rugit le capitaine en tapant du pied. Suis-je bien clair ?
Le jeune homme ne répond pas. Il pleure comme une madeleine. Il semble en transe. Finalement, il acquiesce de la tête.
Gut ! fait le capitaine. Je vous vous faire sortir de ce purgatoire, de cet hôpital psychiatrique. Un grand destin s’ouvre à vous, Herr Ratzinger !


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2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup. Style direct et agréable, vocabulaire riche, sujet difficile abordé avec simplicité et profondeur à la fois, ce qui n'est pas un exercice facile dans une nouvelle brève. Et surtout : orthographe correcte ! Bravo.

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  2. Merci d'être passée, Liliane ! Il s'agit d'une nouvelle quelque peu sarcastique...

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